« Le temps des paradoxes ». Une œuvre de Charles Handy qui proposait déjà au moment de sa sortie en 1992 une analyse complexe, néanmoins juste, de certains grands paradoxes qui guettaient alors les organisations. Une analyse qui n’a pas pris de rides, puisqu’en 2021, nous pouvons affirmer, même fébrilement, que nos entreprises vivent plus que jamais le temps des dilemmes inévitables… des paradoxes.
Sur le plan économique notamment, 35 % des entreprises affirment à ce troisième trimestre de 2021, ne pas savoir combien de temps elles pourront continuer à fonctionner (avant d’envisager la fermeture ou la faillite). Rappelons que ce taux était de 16 % au trimestre précédent selon la dernière analyse publiée en mois d’octobre par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).
Du point de vue technologique, il semble que le télétravail et la popularité du travail hybride ont ouvert la porte au phénomène de cybercriminalité qui se serait accentué depuis 18 mois. La flexibilité des organisations a vraisemblablement entrevu une issue à des manœuvres toujours plus sulfureuses pour infiltrer les réseaux parfois obsolètes de certaines entreprises canadiennes comme partout ailleurs.
Attardons-nous maintenant sur l’aspect le plus important à savoir le volet humain. La plus récente mouture du rapport de l’indice de santé mentale des Canadiens de Solutions Mieux-être Life Works révèle que cette dernière serait toujours fragile pour ne pas dire amochée, puisque cet indice serait encore négatif à -10,7. Si l’incertitude qui accompagne les stratégies de retour au travail expliquait ce constat, d’autres analyses, plus fines, ont émergé pour justifier ce mal-être persistant.
Une chose est sûre, si le moral des travailleurs va toujours mal, ce n’est certainement pas par manque d’actions et d’attentions de la part de leurs employeurs, qui n’ont pas lésiné sur les moyens pour motiver et doper l’engagement de leurs employés. La preuve en est que 80 % se disent satisfaits quant aux mesures de flexibilité offertes par leur employeur selon un sondage récent de l’Ordre des CRHA.
En fait, en soupesant les avantages et les limites des modèles de télétravail et de travail hybride, certains dommages collatéraux ont été malheureusement inévitables. Ils sont incarnés notamment dans ce sentiment singulier, généralisé, mais inexpliqué, ressenti par beaucoup de travailleurs et qui dépasserait même leur champ rationnel et logique. Certains chercheurs se sont aventurés pour mettre un mot sur ce ressenti, en l’occurrence, Adam Grant, un professeur en psychologie à l'Université de Pennsylvanie, qui dans un récent article paru au New York Times, a mis un mot sur un phénomène complexe, ce qu’il nomme « BLAH »… SE LANGUIR.
Il affirme, je cite « It wasn’t burnout — we still had energy. It wasn’t depression — we didn’t feel hopeless. We just felt somewhat joyless and aimless. It turns out there’s a name for that: languishing ». Pour le traduire, je dirai que si vous vous sentez mal, ce n’est pas forcément à cause de la dépression, ni même en raison du désespoir. Il se pourrait tout simplement que « vous vous languissiez » et qu’une sensation de stagnation, de vide et de manque d’épanouissement vous habite. Une émotion, quelque peu nébuleuse, mais qui serait semble-t-il le sentiment dominant en 2021.
Pour terminer sur une note positive, et pour revenir à l’œuvre de Charles Handy citée en prémisse, je dirai que les entreprises qui sortiront indemnes de ce « brouhaha » causé par la crise, sont celles qui trouveront le moyen de s’accommoder de ces paradoxes. Elles devront être agiles pour contrer la complexité, assez intelligentes et créatives pour naviguer dans l’ambiguïté, clairvoyantes pour détecter les insécurités et surtout, elles devront rester bienveillantes et vertueuses pour combler le vide inexpliqué de leurs employés.