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À distance, hybride ou en présence? Stimuler des motivations de qualité dans toutes les modalités

Le « futur du travail » prendra plusieurs formes: 100 % télétravail, 100 % au bureau, ou hybride entre les deux. Quels sont les ingrédients essentiels, selon la science de la motivation, à la réussite de cette transformation?

1 décembre 2021
Jo-Annie Fortin, M. Sc. | Joëlle Carpentier, Ph. D. | Jacques Forest, CRHA, Distinction Fellow

La pandémie de la COVID-19 a forcé les organisations, et les personnes qui les composent, à changer drastiquement leurs façons de faire. Le sentiment d'urgence ressenti au début de la crise aura sans doute facilité le passage accéléré au télétravail. Maintenant que la plupart des travailleurs se sont habitués à cette forme d'organisation du travail, les organisations s'affairent à préparer la prochaine grande transformation. Le « futur du travail » prendra plusieurs formes : 100 % télétravail, 100 % au bureau, ou hybride. Quels sont les ingrédients essentiels, selon la science de la motivation, à la réussite de cette transformation?

Face à cette nouvelle transformation et à l’implantation d’une organisation révisée et repensée du travail , deux défis se présentent. Le premier défi en est un de design : pour assurer la rencontre des objectifs individuels et collectifs, chaque organisation doit choisir où placer le curseur entre télétravail et travail au bureau, de même que le degré d'autonomie octroyé à l'employé dans cette décision. Tandis que les dirigeants et gestionnaires préfèrent souvent une présence plus importante au bureau pour maintenir la culture organisationnelle et le sentiment d’appartenance, les employés semblent avoir pris goût au télétravail et à ses bienfaits.

Mode de travail privilégié

Employés

Organisations
(selon CRHA) *

Télétravail à temps plein ou pleine flexibilité

Employés 62 %

Organisations(selon CRHA) * 9 %

Bureau à temps plein ou avec seuil de présence exigé

Employés38 %

Organisations (selon CRHA)*81 %

Source : Sondage CROP - CRHA, mai 2021

*10 % des répondants organisationnels ont indiqué « Ne sait pas » en ce qui concerne leur préférence.

Le second défi en est un d'opérationnalisation : comment concilier cet écart de manière à ce que tous en viennent à accepter le mode de travail choisi et demeurent motivés par leur emploi? La théorie de l’autodétermination (TAD; Ryan et Deci, 2017), qui s’intéresse tout particulièrement à la motivation humaine, constitue un cadre utile et efficace afin de répondre à cette question.

La TAD pour mieux comprendre la qualité des motivations qui nous animent

À la base de la TAD se trouve la prémisse que la motivation puisse résulter de pressions externes ou internes ressenties par le travailleur, ou encore prendre racine dans les champs d’intérêt, les valeurs ou les objectifs d’une personne. Dans le premier cas, le comportement des gens est en quelque sorte contrôlé par ces pressions, tandis que dans le second, les personnes ont davantage le sentiment de choisir eux-mêmes leurs comportements.

La théorie propose quatre types de motivations, allant de la plus contrôlée à la plus autonome, qu’elle positionne sur un continuum :
figure autodetermination autonomie

Tel que mis en évidence dans l’article publié par Marylène Gagné et Edward Deci en 2005, de nombreux bienfaits sont généralement associés aux motivations plus autonomes, tels que de meilleures performances et un bien-être psychologique accru.

Comment s'assurer alors d’offrir le « carburant » nécessaire à la bonne motivation? Toujours selon la TAD, la satisfaction de trois besoins psychologiques essentiels favorise les types de motivation autonomes chez les employés :

  • Autodétermination ou autonomie : se sentir soi-même et en contrôle de ses actions, à l’aise d’exprimer ses opinions et de faire ses choix.
  • Compétence : se sentir efficace et apte à effectuer ses tâches.
  • Affiliation sociale : se sentir soutenu et connecté aux autres.

De quelle façon ces connaissances sur la motivation humaine, issues de la TAD, peuvent-elles aider les organisations dans leur transition actuelle vers un mode de travail hybride[1]?

La TAD en contexte de télétravail

Dans le cadre d’une étude réalisée en collaboration avec Éric Brunelle, professeur titulaire à HEC Montréal, 211 télétravailleurs ont été comparés à 237 travailleurs au bureau au sein d’une grande firme de consultation en technologies de l’information (Brunelle et Fortin, 2021). Les résultats suggèrent que le télétravail offre un environnement plus propice à la satisfaction des trois besoins psychologiques. Les télétravailleurs ont effectivement affirmé se sentir plus autonomes, compétents et connectés socialement que leurs pairs qui travaillent au bureau à temps plein[2].

Autre nuance intéressante : les résultats de cette étude suggèrent que les trois besoins psychologiques n’ont pas le même poids sur l’aspect général de satisfaction au travail des télétravailleurs et des travailleurs au bureau. En effet, tandis que la satisfaction du besoin d’autonomie a un impact positif sur la satisfaction au travail des deux types de travailleurs, la satisfaction du besoin de compétence semble particulièrement déterminante pour la satisfaction des travailleurs au bureau. En ce qui concerne la satisfaction du besoin d’affiliation sociale, les résultats suggèrent qu’elle affecte la satisfaction au travail uniquement des télétravailleurs. 

En résumé, afin de maximiser la satisfaction au travail des employés, on doit miser sur des pratiques de gestion qui favorisent l’autonomie et la compétence des travailleurs au bureau, et l’autonomie et l’affiliation sociale des télétravailleurs. Ces résultats suggèrent qu’il est important pour les organisations de porter une attention particulière aux besoins de leurs différents travailleurs et d’adapter leurs pratiques de gestion conséquemment. Les approches rigides et de type one-size-fits-all sont donc à proscrire!

Travail hybride et besoins psychologiques

La réalité « hybride » peut apparaître comme nouvelle, mais nous n'avançons pas à tâtons vers l'inconnu. D’une part, les données d'études sur le télétravail qui ont précédé la crise (comme celle citée ci-haut) peuvent assurément nous servir de guide. En effet, avant 2020, on considérait comme télétravailleur un employé qui effectuait une portion de son travail à l'extérieur du bureau au moins 50 % du temps. En quelque sorte, ce qu’on qualifie présentement de « mode hybride » est en fait ce qu’on appelait « télétravail » avant la pandémie. La principale différence est que ce mode de travail touchera une proportion beaucoup plus importante de travailleurs. 

D’autre part, le cadre proposé par la TAD peut nous servir de boussole pour le design et l’opérationnalisation du mode de travail hybride. Un exemple concret d’un plan mis en place par une organisation québécoise en s’appuyant sur la TAD, est présenté dans le tableau suivant : 

Mode de travail envisagé par l’organisation :
Les employés doivent être au bureau au minimum 2 jours par semaine

Mesures mises en place

Impacts sur les besoins psychologiques

Mesures mises en place

Les gestionnaires et employés ont la latitude de façonner leur mode de travail (choix des 2 à 5 jours au bureau), en prenant en considération la nature des tâches, la productivité individuelle et collective, de même que l’équité.

Impacts sur les besoins psychologiques
  • Autodétermination : les gestionnaires et employés ont une certaine autonomie dans le choix du mode de travail.
  • Compétence : le choix d’un mode de travail qui correspond à sa réalité augmente les chances de succès et favorise ainsi la perception de compétence.
Mesures mises en place

Ce modèle a été positionné comme une expérimentation de quatre mois.

Impacts sur les besoins psychologiques
  • Autodétermination : les employés ont le pouvoir de changer les choses s’ils en ressentent le besoin et ne resteront pas coincés dans un modèle qui ne leur conviendrait pas.
Mesures mises en place

Des mécanismes de consultation et de rétroaction permettront le développement d’une seconde mouture qui répondra encore mieux aux besoins des employés et de l’organisation.

Impacts sur les besoins psychologiques
  • Affiliation : le fait que les employés soient consultés favorise leur sentiment d’appartenance à l’organisation et leur démontre l’importance que celle-ci leur accorde dans la définition du futur du travail.

Toujours selon la TAD, le continuum de motivation suggère que les employés qui se sentent présentement forcés de retourner au bureau (motivation contrôlée) doivent idéalement intérioriser la pertinence de ce retour afin d’avoir l’impression de choisir eux-mêmes, ou à tout le moins d’endosser, ce retour (motivation autonome). L’ingrédient clé? Vous l’aurez deviné : la satisfaction des trois besoins psychologiques. Plus les besoins seront satisfaits pendant la transition et dans les deux contextes (maison et bureau), plus la motivation envers le travail (et envers la transition spécifiquement) sera autonome et plus le milieu de travail favorisera le fonctionnement optimal de ses employés. 

Voici donc quelques suggestions à l‘attention des gestionnaires et professionnels RH, dans le cadre de cette transition vers un retour partiel ou total au bureau :

  •  Accompagner les demandes, telles que la présence au bureau, d’un rationnel
    • Ex. : lieu permettant les interactions informelles, ou la présence de ressources (outils, collègues, gestionnaire) qui peuvent contribuer à ce que l’employé se sente plus compétent.
  • Laisser des choix lorsque possible
    • Ex. : permettre à son équipe de décider de la journée au bureau.
  • Être à l’écoute des besoins et sentiments des employés, et les accepter
    • Ex. : questionner les employés sur ce dont ils ont besoin pour réussir le retour, de même que sur leurs craintes et réticences. Accueillir la perspective des employés sans les juger, et sans tenter de les convaincre de se sentir autrement.

Conclusion 

Parmi les emplois où certaines tâches peuvent être faites en télétravail, il semble y avoir à la fois des avantages au télétravail (c.-à-d., autonomie, productivité individuelle, équilibre travail/vie personnelle) et au présentiel (c.-à-d., sentiment d’appartenance, culture, innovation, ressources). La théorie de l’autodétermination nous indique que les besoins d’autonomie, de compétence et d’affiliation sont importants pour tout le monde, et ce, dans toutes les sphères de vie. Plus ces besoins sont satisfaits, et moins ils sont frustrés, plus les règles mises de l’avant seront intériorisées de manière autodéterminée. Il sera donc essentiel, dans l’implantation du choix de la modalité de travail qui sera mise de l’avant (que ce soit le télétravail, le mode hybride ou le présentiel), d’expliquer le rationnel, d’offrir des choix à l’intérieur de certaines règles et limites et, surtout, d’être empathique. Assurément, peu importe le choix, plus les pratiques de gestion permettront de satisfaire les besoins psychologiques, augmentant ainsi les chances d’atteindre un fonctionnement optimal. C’est donc « gagnant-gagnant » que de viser à satisfaire les trois besoins au cours de cette transition imminente, ainsi que dans toutes les formes d’organisation du travail.

Références

  • Brunelle É., Fortin J-A. Distance Makes the Heart Grow Fonder: An Examination of Teleworkers’ and Office Workers’ Job Satisfaction Through the Lens of Self-Determination Theory. SAGE Open. Janvier 2021. doi :10.1177/2158244020985516

  • Gagné, M., Deci, E. L. (2005). Self-determination theory and work motivation. Journal of Organizational Behavior, 26, 331–362.


Author
Jo-Annie Fortin, M. Sc. Conseillère, Formation et développement organisationnel Investissement Québec

Author
Joëlle Carpentier, Ph. D. Professeure ESG UQAM

Author
Jacques Forest, CRHA, Distinction Fellow Professeur, psychologue organisationnel, département d'organisation et ressources humaines École des sciences de la gestion (ESG)-UQÀM
Jacques Forest, psychologue et CRHA, est professeur titulaire à l’ESG UQAM. En 2006, il a reçu un prix lors du concours de vulgarisation scientifique de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) de même que le Prix de la relève professorale en recherche de l’ESG UQAM en 2011. Depuis 14 ans, il a publié 51 articles scientifiques ainsi que 18 chapitres de livre en plus d’avoir réalisé 204 interventions dans les médias et au-delà de 433 conférences et formations en entreprises, dans 13 pays différents. Il est l'un des auteurs de l'Échelle Multidimensionnelle des Motivations au Travail, un outil de recherche et d'intervention disponible en 26 langues. Ses recherches utilisent la théorie de l'autodétermination pour tenter de savoir comment il est possible de concilier performance et bien-être de façon durable.

Source : Revue RH, volume 24, numéro 5 ─ NOVEMBRE DÉCEMBRE 2021

  1. Il est important ici de mentionner que certains emplois ne peuvent être faits en télétravail (ex. : transport de marchandises, coiffure, soins de santé, etc.). Notre propos s’applique uniquement aux emplois où certaines des tâches peuvent être exécutées en télétravail.
  2. Cette étude a été réalisée avant la pandémie et peut-être que le libre choix de travailler à distance (ou pas) a permis d’accentuer les effets bénéfiques liés au télétravail.