En présence de troubles de santé mentale, une attention particulière est requise par les professionnels RH en vue d’appliquer les bonnes pratiques et de respecter les obligations légales et déontologiques inhérentes à la profession. Voici donc un bref survol de quelques « pièges » à éviter quand vous rencontrez ces défis dans votre pratique.
Discrimination et langage
D’emblée, un des pièges des plus manifestes, est celui de la discrimination, de la stigmatisation et du harcèlement. L’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, par le biais des protections pour cause de handicap, protège aussi les personnes souffrant de problèmes de santé mentale contre la discrimination. Ce qui veut dire que les organisations doivent les accommoder de manière raisonnable et ce, jusqu’à la contrainte excessive. La loi sur les normes du travail dit également que « Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. » (Article 81.19) tandis que le Code de déontologie des membres de l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec (ci-après, « Code ») stipule que « Le membre doit […] tenir compte […] 3° de la protection de la santé mentale et physique des personnes qu’il a sous son autorité ou sa supervision » à l’article 6, et il ne s’agit là que de deux des lois ou règles qui nous enjoignent à créer un milieu de travail sain. Le CRHA/CRIA devra donc veiller à assurer un tel climat de travail, un climat néfaste pouvant provoquer lesdits troubles de santé mentale, ou, après leur survenue, les aggraver ou provoquer une rechute, sans oublier les coûts divers et les pertes pour toutes les parties. Notez aussi qu’une des facettes de la stigmatisation des problèmes de santé mentale est l’emploi, aussi innocent soit-il, de termes ayant un usage dans la langue courante et dans le jargon médical. Par exemple, on peut constater l’emploi de termes liés au narcissisme, à l’anxiété, à la dépression, au trouble obsessionnel compulsif (TOC ou OCD en anglais) pour décrire des gens ou commenter des situations qui sont en fait étrangères à la santé mentale. Pour des personnes réellement affectées par ces problèmes, une telle insouciance peut blesser voire empoisonner le milieu de travail, et ce, malgré l’absence de mauvaises intentions. Il faut donc tourner la langue sept fois dans sa bouche avant de parler et sensibiliser nos collègues à cette réalité. En présence d’un possible problème de santé mentale, il convient également de rappeler que le CRHA/CRIA n’est pas habilité à poser un diagnostic ou tenter de le faire, à moins d’être un professionnel de la santé y étant dûment autorisé (i.e. médecin).
Confidentialité et secret professionnel
Une autre des principales obligations des CRHA/CRIA est de « préserver le secret quant aux renseignements de nature confidentielle qui viennent à sa connaissance dans l’exercice de sa profession » (Code, article 51), une exigence qui s’applique particulièrement aux informations en lien avec les troubles de santé mentale d’un travailleur. Le Code va même jusqu’à préciser d’être vigilants en évitant « …de tenir ou de participer à des conversations indiscrètes… » (ibidem) Les professionnels doivent veiller à ce que les informations confidentielles tel le diagnostic ou les rapports médicaux ne soient jamais communiquées à des tiers qui n’ont pas à y avoir accès, et ce, incluant des collègues ou gestionnaires bienveillants qui s’enquièrent de la santé de la personne affectée.
Indépendance professionnelle
Dans la relation professionnelle que le praticien RH entretient avec une telle personne, il existe aussi certains pièges à éviter, plus particulièrement dans la compréhension et la circonscription de notre rôle. D’emblée, il faudra toujours éviter de présumer un diagnostic à une personne que l’on croit faire face à de tels problèmes de santé. Bien que nous soyons les plus aptes à agir lorsque surviennent des baisses de performance ou des changements de comportement chez celle-ci, notre rôle devrait se limiter à rappeler l’existence de ressources plus appropriées et l’y diriger, si un tel désir est manifesté (Programme d’aide aux employés, congés, mesures d’allègement de l’horaire). Il conviendra également de « sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle » (Code, article 19), notamment en étant conscient d’éventuelles relations personnelles ou de conflits d’intérêt. Il faut aussi éviter d’établir une relation d’aide ou de confidence intime (à moins d’y être habilité par le moyen d’un autre agrément professionnel, tel celui d’un psychologue) car elle peut d’un côté mettre à mal cette indépendance et de l’autre causer, ultimement, plus de tort que de bien autant à la personne affectée qu’à vous-même, professionnellement et personnellement.
Des enjeux qui évoluent
N’oubliez pas que notre compréhension des problèmes de santé mentale au travail est en constante évolution. Les lois portant sur la santé et la sécurité au travail et le projet de loi 59 les réformant ne reconnaissent explicitement que la violence, le harcèlement et le trouble de stress post-traumatique. En réalité, plusieurs autres troubles existent, avec des manifestations, des recoupements (comorbidités) et des réalités différentes et inattendues. Accueillez avec bienveillance, compréhension et curiosité cette différence pour obtenir des résultats optimaux pour vous, l’organisation et les personnes touchées. Allez chercher de l’information ou de l’aide au besoin, comme nous le demande notre code de déontologie à l’article 36 : « Si le bien du client l’exige, le membre doit, avec l’autorisation de ce dernier, consulter un autre membre de l’Ordre, un membre d’un autre ordre professionnel ou toute autre personne compétente ou le diriger vers l’une de ces personnes. »
La maladie mentale et soi
Le dernier piège qu’on ne saurait passer sous silence est la maladie mentale qui nous guette dans notre quotidien. En effet, notre profession n’est aucunement à l’abri de tels problèmes. Au contraire, à l’instar des professionnels de la santé, le focus inhérent à notre pratique envers les problèmes d’autrui peut créer un angle mort en ce qui a trait au brownout (désengagement professionnel), au burnout (épuisement professionnel), à l’anxiété, à la dépression, pour ne nommer que ceux-là. Vous devriez toujours garder en tête que des signes avant-coureurs tels la baisse de performance, l’isolement ou les changements de comportements devraient sonner l’alarme en vous comme si vous les constatiez chez l’un de vos collègues.
Deux constats se dégagent donc de cet examen de la pratique des professionnels RH quand ces derniers sont confrontés à des situations de troubles de santé mentale. Dans un premier lieu, les CRHA/CRIA devraient toujours garder en tête que même armés des meilleures intentions du monde, rien ne saurait se substituer à de bonnes pratiques et à des pratiques déontologiques. Dans le feu de l’action de notre quotidien, les entorses à nos obligations peuvent survenir très facilement. Dans un deuxième lieu, une bonne compréhension de notre champ d’action professionnel et des limites de notre rôle nous permettent d’optimiser une pratique des RH saine et pertinente pour toutes les parties. Notre crédibilité ainsi que notre impact dans les organisations s’en retrouvent ainsi grandement bonifiés. Lentement mais sûrement, nous en viendrons à être de plus en plus reconnus comme faisant partie de la solution à la question de la santé mentale au travail, progression qui augure bien pour l’avenir de la profession.