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Relever le défi de la santé organisationnelle : une priorité pour tous, la responsabilité de tous

Préserver la santé des travailleurs, tout en favorisant leur productivité, mobilise plus que jamais. Le contexte d’incertitude et les changements nombreux et rapides introduits par la crise sanitaire, notamment dans les modes d’organisation du travail (p. ex. : télétravail ou travail hybride imposé), n’auront qu’exacerbé et diversifié les défis en santé organisationnelle (SO) que les gouvernements, les organisations, les syndicats, les professionnels en ressources humaines, les gestionnaires et les employés doivent désormais relever. Devant un portrait qui paraît alarmant, peut-être y a-t-il une occasion inespérée de faire de la santé organisationnelle une priorité pour l’ensemble des acteurs de notre système économique et social et d’en partager la responsabilité. 
24 septembre 2021
Marie-Hélène Gilbert, Ph. D., psy, CRHA | France St-Hilaire, Ph. D. | Simon Grenier, Ph. D, psy

Qu’est-ce que la santé organisationnelle?

Trois perspectives définissent la santé organisationnelle : des travailleurs en santé dans leur organisation (p. ex. : santé psychologique et physique au travail); des organisations en santé (p. ex. : efficacité organisationnelle); des organisations saines pour les employés (p. ex. : les processus organisationnels, tels que le leadership, le climat de travail)1. La perspective des organisations saines pour les employés sous-tend l'idée que l’on puisse promouvoir à la fois la santé des travailleurs et la santé de l’organisation; que ces deux finalités sont loin d’être opposées, mais seraient plutôt interdépendantes!

Quels sont les principaux défis à relever?

Si les différents secteurs et corps d’emploi vivent des réalités bien différentes devant les rajustements à apporter depuis le début de la crise sanitaire, de nombreux travailleurs auront été propulsés, du jour au lendemain, en télétravail. Graal pour les uns, long cauchemar pour les autres, cette expérience du télétravail forcé aura à la fois permis de briser des préjugés, mais également d’en soulever les limites.

Maintenir et favoriser les interactions sociales, la collaboration et l’équité en contexte hybride (présentiel et à distanciel) apparaissent comme un défi de taille. Si certains ont pu tirer profit du télétravail, entre autres par la flexibilité d’horaire, qui favorise le sentiment d’autonomie, ou par un plus grand sentiment d’efficacité 2, nombreux sont celles et ceux qui ont ressenti les effets de l’isolement social2. Ainsi, plusieurs ont pris la pleine mesure de l’importance de la présence physique pour cultiver le soutien social ainsi que pour faciliter la collaboration dans le travail d’équipe. Devant des modèles hybrides de travail qui se présentent à nous, l’un des défis de la SO sera non seulement d’assurer une collaboration efficiente, mais aussi de cultiver le soutien social en plus de favoriser le sentiment d’équité chez les employés.

Bien que l’on observait déjà bien avant la crise sanitaire une intensification du travail qui se traduisait par une charge de travail élevée et une pression du temps3, les interruptions quotidiennes, ou le sentiment de travailler à grande vitesse et avec des échéanciers serrés, se sont accentués dans la dernière année4. Horaire atypique, réduction des effectifs, multiplication des communications électroniques et virtuelles sont autant de changements que la crise sanitaire n’aura fait qu’exacerber, et qui contribuent à creuser l’écart entre le travail qui est prescrit (ou attendu) et le travail réel (ce qui est réellement fait).

Relever les défis de la santé organisationnelle : une responsabilité partagée

L’engagement et la responsabilité partagée de tous les acteurs du système économique et social, par l’adoption de mesures individuelles (I), groupales (G), ainsi que des interventions liées au leader (ou gestionnaire) (L), à l’organisation (O) [IGLO5], en plus de la contribution des organisations syndicales, associations professionnelles et des instances gouvernementales, représentent non seulement une clé de succès, mais est plus que jamais une nécessité pour relever les défis de la SO.

S’il peut paraître plus manifeste que les employés jouent un rôle de premier plan dans l'adoption de saines habitudes de vie (p. ex. : alimentation, sommeil, activité physique), ils ont également une responsabilité à l’égard de leur propre santé psychologique et leur performance. Accroître ses ressources personnelles notamment par des stratégies qui favorisent le détachement psychologique (p. ex. : prendre des pauses, se déconnecter des appareils électroniques) ou qui favorisent le sentiment de compétence6 (p. ex. : apprendre à jouer d’un instrument de musique) apparaît d’autant plus nécessaire dans un contexte où l’hyperconnexion et la charge de travail s’accentuent.

L'ensemble des employés, le groupe, contribuent également à la SO en favorisant un climat de travail sain pour leurs collègues et leur gestionnaire. Par leurs attitudes et pratiques de travail (p. ex. : contribuer lors des périodes de pointe)7, chaque employé peut collaborer à instaurer un climat de sécurité psychologique favorisant un sentiment de confiance et de respect. Être en mesure de gérer soi-même ses conflits relationnels et adopter des comportements favorables à la collaboration sont des compétences clés à développer pour un meilleur vivre ensemble.

Le gestionnaire est reconnu pour être la pierre angulaire de la SO. C’est principalement par son style de leadership et, plus concrètement, par ses pratiques de gestion qu’il la favorisera8. Par son comportement, le gestionnaire agira directement sur la santé et la performance des employés (p. ex. : considérer individuellement leurs besoins) et indirectement par son influence sur l’environnement de travail (p. ex. : équilibrer adéquatement la charge de travail)9.

L’organisation contribue à la SO en instaurant une culture valorisant la collaboration et l’entraide à l'opposé d’une culture dite de compétition10. Cette culture collaborative apparaît comme un facteur de protection à la santé psychologique des travailleurs. Elle assurera également un climat de sécurité psychosociale11, et ce, par des politiques (p. ex. : politique claire sur le télétravail), des pratiques et procédures (p. ex. : réserver des plages de disponibilités pour de la gestion de proximité) qui protègent la SO. Si l’organisation doit également s’assurer d’offrir des ressources à ses travailleurs (p. ex. : groupes de codéveloppement), il importe également qu’elle réduise les contraintes (p. ex. : diminuer la bureaucratie).12

Depuis leur création, les organisations syndicales et associations professionnelles revendiquent pour défendre les intérêts et la santé et sécurité des travailleurs. Elles jouent donc un rôle de premier plan à l’essor de la SO, notamment par la promotion de la santé des travailleurs tant auprès de la population générale que des gouvernements, mais aussi par leurs plateformes de communication souvent efficaces pour rejoindre leurs membres. De manière à accroître leur contribution à la SO, ces organisations gagnent à mettre le bien-être de la main-d'œuvre au centre de leur discours et des pratiques, et non seulement le mal-être, à s’adresser directement à leurs membres et à engager pleinement ceux-ci dans la mise en place d’actions de promotion de la santé.

Les différentes instances gouvernementales doivent mettre la SO au cœur des politiques publiques émergentes. Les gouvernements et les agences sont des instances qui ont le pouvoir et les moyens de catalyser les efforts conjoints des acteurs sociaux et économiques afin de rehausser à la fois le bien-être des travailleurs et favoriser la prospérité économique.

Conclusion

La crise sanitaire de la COVID-19 aura mis en exergue plusieurs défis auxquels nous devons faire face, aussi la productivité et la prospérité économique sont plus que jamais tributaires de la santé des travailleurs. Pour relever ces défis, tous les acteurs clés doivent collaborer pour concilier à la fois les enjeux de santé des organisations et de santé des travailleurs. C’est par la contribution de chacun que la SO deviendra l’affaire de tous, une responsabilité collective, et en prenant cette responsabilité on se donne le pouvoir de changer les choses. Et si nous cessions de nous demander ce que les autres peuvent faire pour la SO, et nous nous demandions, chacun d’entre nous, ce que nous pouvons faire pour la SO? Se donner pour priorité et pour responsabilité la SO est non seulement une nécessité pour relever les défis qui se présentent à nous, mais une véritable occasion de changer durablement.


Author
Marie-Hélène Gilbert, Ph. D., psy, CRHA professeure agrégée au Département de management Université Laval

Author
France St-Hilaire, Ph. D. Professeure titulaire au Département de management et gestion des ressources humaines, Université de Sherbrooke

Author
Simon Grenier, Ph. D, psy professeur adj., Département de psychologie Université de Montréal

Source : Revue RH, volume 24, numéro 4 ─ SEPTEMBRE OCTOBRE 2021

  1. Dagenais-Desmarais, V., Dufour, M.-È., St-Hilaire, F., & Hébert, R. (2013). Santé organisationnelle : où en sommes-nous et vers où allons-nous au Québec? Relations industrielles/Industrial relations68(4), 661-681.
  2. Saba, T.& Cachat-Rosset, G. (2020). « Covid-19 et le télétravail : un remède universel ou une solution ponctuelle, Québec et comparaison internationale ». Rapport à l’Observatoire sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique. https://www.docdroid.com/AqP0qVn/covid-19-et-teletravail-un-remede-universel-ou-une-solution-ponctuelle-pdf#page=8
  3. Green, F. (2008). « Work effort and worker wellbeing in the age of affluence. » In The Long Work Hours Culture. Causes, Consequences and Choices, edited by R. J. Burke and C. L. Cooper, 115–35. Bingley, UK: Emerald.
  4. Eurofound. (2016). Sixth European working conditions survey – Overview report (2019 update). Publications Office of the European Union. https://www.eurofound.europa.eu/publications/report/2016/working-conditions/sixth-european-working-conditions-survey-overview-report
  5. Nielsen, K., Nielsen, M. B., Ogbonnaya, C., Känsälä, M., Saari, E., & Isaksson, K. (2017). Workplace resources to improve both employee well-being and performance: A systematic review and meta-analysis. Work & Stress31(2), 101-120.
  6. Sonnentag, S., & Fritz, C. (2007). The recovery experience questionnaire: Development and validation of a measure assessing recuperation and unwinding from work. Journal of Occupational Health Psychology, 12(3), 204-221.
  7. St-Hilaire, F., Gilbert, M.-H., & Brun, J.-P. (2019). What if subordinates took care of managers' mental health at work?. The International Journal of Human Resource Management, 30(2), 337-359.
  8. Gilbert, M-H., Dagenais-Desmarais, V., & St-Hilaire, F. (2017). Transformational leadership and autonomy support management behaviours: The role of specificity in predicting employees’ psychological health. Leadership and OrganizationDevelopment Journal, 38(2), 320–332.
  9. St-Hilaire, F., Gilbert, M., & Lefebvre, R. (2018). Managerial practices to reduce psychosocial risks exposure: A competency-based approach. Canadian Journal ofAdministrative Sciences/Revue Canadienne des Sciences de L’Administration, 35(4),535–550.
  10. Dextras-Gauthier, J., & Marchand, A. (2018). Does organizational culture play a role in the development of psychological distress?. The International Journal of Human Resource Management29(12), 1920-1949.
  11. Dollard, M. F., & Bakker, A. B. (2010). Psychosocial safety climate as a precursor to conducive work environments, psychological health problems, and employee engagement. Journal of Occupational and Organizational Psychology, 83(3), 579 –599.
  12. Gilbert, M-H., Dextras-Gauthier, J., Boulet, M., Auclair, I., & Dima, J. (soumis). Leading well and staying psychologically healthy: the role of resources and constraints for managers in the healthcare sector. Public Administration Review.