L’agence de marketing numérique Empower n’a pas attendu la pandémie pour adopter un mode de travail « flexible ». En janvier 2020, elle avait déjà déployé une plateforme commune sur laquelle le personnel pouvait se connecter à distance et faire du télétravail. Aujourd’hui, les équipes peuvent travailler n’importe quand et de n’importe où, que ce soit de la maison, d’un espace WeWork loué par Empower ou d’ailleurs dans le monde.
« Notre but est d’accorder à notre personnel un maximum de flexibilité, explique Jack Elias, le cofondateur de l’entreprise. Nous voulons aider nos gens à atteindre un équilibre entre la vie privée et le travail. C’est intéressant pour les jeunes qui veulent voyager, mais aussi pour celles et ceux qui ont une famille et qui doivent composer avec l’école et la garderie. »
Julie Tardif, CRHA, cofondatrice du cabinet-conseil en ressources humaines Iceberg Management, reconnaît qu’une organisation du travail qui repose sur une politique du libre choix ou du télétravail à temps plein compte des avantages indéniables. « Ça ne laisse pas de place au gardiennage, dit-elle. Les personnes sont forcées de se responsabiliser et de gagner la confiance de leur gestionnaire. L’entreprise passe à une gestion axée sur les résultats et l’on observe habituellement une hausse de la productivité. »
Un sondage mené par l’Ordre des CRHA en mai 2021 fait écho à ces observations. Les personnes en télétravail se sont dites satisfaites de l’autonomie (7,9/10) et de la confiance (7,8/10) accordées par leur gestionnaire au cours de la dernière année.
Dans la colonne des inconvénients, Julie Tardif note que les relations à distance ont tendance à être « moins profondes » et que les gestionnaires peuvent avoir du mal à déceler une perte de motivation de la part d’une ou d’un membre de leur équipe. Dans le sondage, l’encadrement fourni (7,5/10) et la fréquence des communications (7,4/10) avec la ou le gestionnaire figurent parmi les critères les moins bien notés.
Les approches de « pleine flexibilité » et de « télétravail à temps plein » suscitent par ailleurs peu d’adhésion du côté des organisations. Le sondage de l’Ordre des CRHA montre qu’à peine 1 % d’entre elles avaient l’intention d’offrir du télétravail à temps plein à leur personnel, et que 8 % comptaient accorder une « pleine flexibilité » sans exiger une présence minimale sur le lieu de travail.
En fait, la vaste majorité des organisations comptent établir une politique de « travail partagé » avec une exigence minimale de présence au bureau. Plus de la moitié des organisations (52 %) visent un nombre de jours minimal au bureau par semaine, alors qu’une plus faible proportion d’entre elles (23 %) demanderont à leurs équipes de se présenter au bureau en fonction de la nature des tâches à accomplir.
La perspective des travailleurs
Pendant que les gestionnaires planifient le retour au bureau, les travailleuses et les travailleurs rêvent de télétravail. Selon le sondage de l’Ordre des CRHA, un imposant 38 % d’entre eux seraient heureux de continuer à travailler de la maison à temps plein. Un autre 24 % aimeraient se voir accorder une « pleine flexibilité » sans exigence de présence au bureau, alors que 28 % s’accommoderaient d’une forme de travail partagé assorti d’une présence minimale au bureau. À l’autre opposé du spectre, un 9 % d’irréductibles continuent de vouloir se rendre au bureau tous les jours.
En tant qu’agente de recherche pour un organisme gouvernemental, Anne devra reprendre le chemin du bureau au moins deux jours par semaine, conformément à la politique-cadre annoncée par le gouvernement du Québec. C’est à contrecœur qu’elle le fera. « Avant la pandémie, j’avais réduit mon horaire à 4 jours par semaine en raison d’une maladie chronique, explique-t-elle. Depuis que je suis en télétravail, j’évite le stress des déplacements, je suis plus reposée et, par conséquent, je suis revenue à un horaire de 5 jours par semaine. »
D’ailleurs, Anne se demande ce qui peut justifier l’imposition d’une mesure mur à mur par le gouvernement. « Dans notre équipe de travail, en un an et demi de pandémie, nous avons fait la preuve que notre productivité en télétravail est aussi bonne qu’au bureau. Les réunions sont beaucoup plus efficaces, nous réglons des problèmes en direct, sur notre ordinateur. » Dans un monde idéal, elle irait au bureau une fois par mois, pour des activités de socialisation.
Jean-François Roch, directeur au développement des affaires d’une firme TI, a vécu l’expérience contraire. « Au début de la pandémie, raconte-t-il, la quasi-totalité de mes collègues était en télétravail. J’ai alors demandé à mon employeur s’il voyait un inconvénient à ce que je retourne au bureau. J’ai obtenu le feu vert en juin 2020 et j’y suis depuis. »
Pourquoi cette demande ? « Je crois que le simple fait d’avoir une routine matinale, de prendre ma voiture et d’écouter les nouvelles me sécurise. Ça me redonne un peu de normalité dans un monde qui s’est écroulé depuis plus d’un an. Le fait d’interagir avec de vrais humains à mon bureau — je ne supporte plus l’application Teams ! — et de pouvoir compter sur de meilleurs outils de travail rend mes journées au bureau plus stimulantes. Je suis deux fois plus efficace ! »
Ces deux témoignages montrent à quel point les travailleuses et les travailleurs ne doivent pas être considérés comme un bloc monolithique. « La capacité de se concentrer est personnelle à chaque personne, rappelle Julie Tardif. Certaines sont très efficaces à la maison, alors que d’autres se laissent sans cesse distraire. »
Jours fixes ou nature des tâches, lequel choisir ?
Une majorité d’organisations entendent exiger une présence minimale au bureau. Toutefois, certaines comptent rapatrier leurs équipes selon un nombre de jours fixes, alors que d’autres le feront selon la nature des tâches. Quels sont les avantages et les inconvénients de ces deux approches ?
Julie Tardif comprend les organisations qui choisissent le critère du nombre de jours. « La présence au bureau, c’est un élément facile à vérifier et à contrôler. Toutefois, en faisant ce choix, les organisations mettent l’accent sur le nombre de jours plutôt que sur la valeur ajoutée de la présence au bureau. »
Exiger la présence au bureau selon la nature des tâches invite également les personnes à réfléchir à leur gestion de leur temps et de leur énergie. La CRHA reconnaît que cet exercice exige de l’autonomie et une bonne connaissance de soi. « Certaines personnes auront besoin d’accompagnement pour établir leur horaire hybride », prévient-elle.
Selon le sondage de l’Ordre des CRHA, les deux tâches ayant la plus forte « valeur ajoutée » au bureau sont les réunions d’équipe, les rencontres entre collègues et le travail d’équipe (25 %) suivi de la communication et du contact humain avec les collègues (11 %).
Dans un contexte de travail hybride, le sondage de l’Ordre des CRHA montre que les travailleuses et les travailleurs accordent une grande importance à trois éléments clés (tous notés à 8,1/10) : la confiance, l’autonomie et la bienveillance de la part de leur gestionnaire.