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Allier qualité de vie au travail et spiritualité : vers des organisations conscientes

24 septembre 2021

La pandémie, qui bouleverse de manière sans précédent le fonctionnement de la société tout entière, entraîne une transformation profonde des milieux de travail. Le culte de l’urgence et les exigences incessantes court-termistes ont longtemps constitué le générateur de profit des entreprises. Mais la souffrance et l’hyper stress au travail (Dufour-Poirier et Le Capitaine, 2018) laissent entrevoir « l’épuisement » d’un système de gestion en place (Dejours, 2012). Si l’on parle de ce mal-être au travail depuis plusieurs décennies déjà, l’interconnexion inédite des crises économiques, sociales, écologiques et sanitaires a exacerbé ces maux, et du même coup, la qualité de vie au travail (QVT). La QVT n’est pas un concept récent, ses origines remontant au début du XXe siècle. Mais les exigences nouvelles du travail engendrées par le contexte de pandémie qui redéfinissent actuellement notre façon de travailler ensemble sont autant d’opportunités pour prendre soin autrement du bien-être physique et mental des employés.

Une crise avant tout spirituelle

L’appel à une métamorphose de la conscience de l’humanité et des milieux de travail est criant. Le chaos mondial que nous vivons serait pour certains d’ordre spirituel (Boissière, 2020). Cela dit, la spiritualité n’est pas toujours bien comprise, car elle est souvent confondue avec l’expression religieuse. Bien qu’il n’existe pas de consensus sur la définition de la spiritualité auprès des scientifiques, la plupart des définitions, contrairement à la croyance populaire, sont sans égard à la religiosité. De manière générale, la spiritualité répond à un besoin de sens sur sa propre vie. La quête de sens, le sentiment de connexion de soi et aux autres, la transcendance, les valeurs altruistes, la nature, le rapport au temps (le flow) sont au cœur du concept de spiritualité (Roussiau et Renard, 2021).

À première vue, si la spiritualité semble avant tout un choix personnel appartenant à la sphère privée des personnes, et antagoniste au monde de l’entreprise, voire utopique pour plusieurs (Cristofini, 2019), sa dimension plus collective dans les milieux de travail, encore méconnue, existe pourtant bel et bien. Selon Neal (2018), la spiritualité au travail serait même essentielle aux entreprises du futur. Elle est empreinte de milieux de travail plus justes, plus humains et plus conscients. Dans la pratique, la QVT demeure encore peu abordée sous l’angle du bien-être spirituel au travail. La spiritualité au travail consiste notamment à percevoir le travail comme étant harmonisé de façon intègre avec ses pleines valeurs, une opportunité de développement personnel et un moyen de contribuer significativement à la société (Halim, 2021). Au-delà de l’aspect individuel de la spiritualité émanant du sens du travail et du sentiment d’accomplissement nourrissant la vie intérieure de l’être, la spiritualité organisationnelle privilégie, quant à elle, la confiance mutuelle, les relations authentiques ainsi que l’interconnexion humaine et à la mission de l’organisation (Ashmos et Duchon, 2000). 

La crise inédite que nous traversons s’accompagne d’aspirations nouvelles de la part des travailleurs de plus en plus nombreux à élever leur conscience, à redéfinir le sens qu’ils accordent au travail, cherchant à allier une meilleure connexion à soi, à autrui et au travail. Si les systèmes de travail sont lents à changer, les gens sont appelés d’urgence à se reconnecter de l’intérieur et à façonner le milieu de travail dans lequel ils souhaitent vivre. Les réseaux sociaux regorgent de groupes Facebook et Instagram, pour ne nommer que ceux-là, où les gens, dans le cadre de communautés axées sur le bien-être, prennent conscience qu’ils ne peuvent plus fonctionner sur le pilote automatique tel qu’ils l’ont fait, en état de survie constante pour combiner toutes les tâches imposées par la vie professionnelle et la vie personnelle ou pour exécuter des tâches qui ne sont pas en harmonie avec leurs valeurs. Bien au-delà du confort matériel et des motivations extrinsèques telles le salaire, c’est le sens, la reconnaissance, l’autonomie et la capacité d’agir selon ses propres valeurs qui procurent un sentiment de bien-être et d’engagement bénéfiques à sa qualité de vie au travail. Se changer soi-même peut contribuer, grâce à de nouvelles actions conscientes, à réinventer les milieux de travail.

Oser être soi au travail

La spiritualité est un allié de la qualité de vie au travail. Basé sur la psychologie positive, le modèle SPIRE de Ben-Shalar et McDonough1 est un outil de réflexion permettant d’établir des objectifs et d’améliorer son bien-être dans les diverses sphères de sa vie, comme celles liées au travail. Il repose sur cinq aspects interreliés : spirituel, physique, intellectuel, relationnel et émotionnel. L’illustration ci-après s’inspire de ce modèle tout en proposant plusieurs exemples d’actions qui visent à améliorer sa QVT.