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Si l’argent ne fait pas le bonheur : il est où le bonheur… au travail?

Le bonheur au travail est une finalité à la fois simple et complexe à atteindre. Quels sont les ingrédients qui le composent? 
1 mai 2021

L’argent ne fait pas le bonheur : c’est confirmé!

Depuis 2006, le conférencier et auteur Pierre Côté mesure le bonheur des Québécois grâce à l’indice de bonheur Léger (IBL). Avec la firme de recherche bien connue, il analyse ainsi les différents éléments qui rendent les personnes heureuses dans leur vie personnelle comme au travail. Or, sur les dix facteurs déterminants de l’IBL, la rémunération arrive en queue de peloton.

Par exemple, selon un classement publié par Léger en 2019, les artistes et les agriculteurs figurent parmi les professions dont l’indice de bonheur est le plus élevé, et ce, malgré leurs salaires, parmi les plus bas. Pour les pompiers et les policiers, c’est l’inverse.

Même s’il faut offrir une rémunération juste et équitable, faire pleuvoir les dollars n’augmente pas dans la même proportion le bonheur des employés, affirme Marie-Eve Champagne, CRIA, spécialiste santé, sécurité et mieux-être en milieu de travail chez Nucléi Conseils. « Les recherches démontrent qu’au-delà d’un certain seuil, le salaire n’a plus d’impact sur la satisfaction. » D’où vient alors le bonheur au travail?

X = bonheur

Le climat au travail et la réalisation de soi arrivent en tête de liste de l’IBL. Viennent ensuite la capacité à rester fidèle à soi-même et à ses valeurs, la reconnaissance, le sentiment d’appartenance, la correspondance entre ce qu’une personne veut faire et ce qu’elle fait, l’équilibre, la possibilité pour l’employé de se dépasser et le salaire.

Nic Marks, le créateur de l’indice de bonheur mondial, énonce de son côté cinq piliers du bien-être au travail : la connexion, la justice, l’autonomie, le fait d’offrir des défis et d’inspirer ses troupes.

La nature du travail est également cruciale à la satisfaction qu’éprouve une personne au travail, tout comme le fait de se sentir utile ou de travailler dans une entreprise qui correspond à ses valeurs.

Pour Julie Gouin, CRHA, coach exécutive et fondatrice d’Impact Crescendo, le besoin de se sentir compétent est également essentiel. « Pour moi, le bonheur au travail, c’est de faire ce qu’on aime et d’avoir l’occasion d’accomplir chaque jour ce qu’on réussit le mieux. »

Une part du bonheur viendrait aussi de l’état de « flow » qu’on peut ressentir quand on réalise une tâche avec brio, selon certaines théories de la neuroscience. Une autre piste à exploiter?

En somme, on pourrait résumer en une phrase tout ce que racontent ces facteurs et ces piliers : le bonheur au travail, c’est « être sur son X ».

Cultiver le bonheur : mode d’emploi

Marie-Eve Champagne suggère aux organisations soucieuses de cultiver le bonheur au sein de leurs troupes de se brancher sur les besoins de leurs employés. « Est-ce qu’on leur donne assez de latitude, de reconnaissance? Est-ce qu’on leur offre les meilleures conditions pour effectuer leur travail? Ce sont des questions à se poser », dit-elle.

Les travailleurs doivent en outre sentir qu’ils ont le soutien de leurs collègues et de leurs gestionnaires. « Pour cela, ces derniers ne doivent pas toujours être en réunion, dit Marie-Eve Champagne. Les bons patrons sont capables de se mettre dans les souliers de leurs employés, en les invitant dans la recherche de solutions. Est-ce que certaines tâches sont inutiles ou prennent trop de temps? »

Certaines théories parlent même de servant leadership ou de « leader-jardinier » : le gestionnaire se met alors au service de ses employés pour les aider à atteindre leurs objectifs.

Nourrir les forces de chacun

En plus de soutenir leurs équipes, les organisations peuvent aider les travailleurs à déterminer leurs points forts, soutient Julie Gouin. « On peut non seulement souligner leurs forces pendant nos rétroactions, mais aussi les faire réfléchir aux tâches qui sont faciles pour eux, qui leur donnent de l’énergie. » Un exercice qu’on peut réaliser lors d’interventions individuelles ou en groupe. « Il existe même des questionnaires en ligne gratuits, comme Via, qui permettent d’évaluer les talents d’une personne », poursuit la CRHA.

D’autant que la recherche démontre que le fait de travailler sur des forces, plutôt que d’essayer de combler des faiblesses, est une voie pour atteindre l’excellence, ajoute la coach. « On peut aussi modifier les tâches de l’employé pour lui permettre de mieux utiliser ses talents ou même mettre sur pied des projets d’équipe en fonction des points forts de chacun. » 

Bref, nourrir la compétence a une incidence directe sur le fait d’être heureux au travail. « Ce n’est pas toujours le premier réflexe, surtout en contexte de pandémie, reconnaît Julie Gouin. Mais on sous-estime l’effet de travailler ses forces, de se sentir de plus en plus compétent. Quand on a une bonne adéquation entre les défis et nos capacités à les relever, on ne se sent pas dépassé. »

Des organisations bienveillantes 

Les organisations ont aussi tout intérêt à mettre en place un climat de travail favorisant la santé psychologique des travailleurs. Un enjeu d’autant plus capital actuellement. « L’une des premières choses à faire, c’est d’offrir des services de soutien, comme un programme d’aide aux employés, qui leur permettront de consulter un professionnel de la santé, au besoin », estime Michèle Parent, CRHA, vice-présidente associée, consultation nationale en santé organisationnelle et assurance collective chez HUB International.

Il ne faut pas non plus négliger l’aspect prévention. Michèle Parent cite en exemple certains cours de sensibilisation aux facteurs qui influencent la santé mentale, comme les risques psychosociaux, destinés aux gestionnaires. « Cela permet aux gestionnaires d’être à même de déceler ces indices et d’être à l’aise au moment d’agir. » D’autres entreprises ont plutôt opté pour un réseau de pairs aidants, comme chez Urgences-santé, qui a offert une formation en « Premiers soins psychologiques » à ses employés, illustre Marie-Eve Champagne.

Mais surtout, pour s’assurer que ses actions portent leurs fruits, il faut consulter ses employés, instaurer un programme ciblé et en mesurer les effets sur le bien-être des travailleurs, précise Michèle Parent.

On le constate, le bonheur au travail touche à différentes facettes de l’organisation du travail. Bonne nouvelle : il ne s’agit généralement pas de mesures qui coûtent cher. Raison de plus pour faire du bonheur au travail une priorité!

Le bonheur en pandémie

« Dans le contexte de la pandémie, l’indice de bonheur au travail n’a jamais été aussi faible, observe Pierre Côté. Tous les indicateurs sont en baisse. » Toutefois, c’est du côté du sentiment d’appartenance et de la reconnaissance que la chute est la plus marquée. « Si l’employé a l’impression que l’entreprise ne le reconnaît pas à sa juste valeur, cela diminue son sentiment d’appartenance. Et, avec le télétravail, il est plus difficile de maintenir le lien d’attachement entre l’entreprise et l’employé. » Alors que tout ce qui constitue l’expérience de travail est réduit au maximum, il devient primordial de maintenir les occasions de tisser des liens, même virtuellement. « On l’a vu pendant la pandémie, les entreprises ayant maintenu la connexion avec leurs employés et ayant réussi à répondre à leurs besoins sont celles qui s’en sont le mieux tirées », observe Marie-Eve&bnsp;Champagne, CRHA.