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Meilleures pratiques RH : transformation radicale en vue!

La pandémie de COVID-19 continue de bouleverser le monde du travail. À tel point que les pratiques RH devront être redéfinies pour viser le bien-être collectif et ce, grâce à une gestion empathique et inclusive. 
1 mai 2021

En raison de la crise pandémique, les employeurs ont notamment dû protéger les emplois, les salaires et accorder davantage de congés de maladie. Ce n’est qu’un début, si l’on en croit Daniel Imbeault, CRHA, partenaire responsable de la stratégie en matière de talents chez Mercer Canada.

« Les entreprises, explique-t-il dans l’Enquête sur les tendances mondiales en talents pour 2021, devront harmoniser leurs objectifs relatifs aux avantages sociaux avec les priorités de l’entreprise, mettre fin aux inégalités entre les sexes et les races, offrir à tout le monde des conditions souples et modifier profondément l’expérience des employés grâce à une transformation radicale des RH. »

Sylvie St-Onge, CRHA, professeure à HEC, estime aussi que la pandémie influencera beaucoup les pratiques. « La pandémie occasionne un changement majeur dans les conditions de travail partagées par tous. Cela amènera une standardisation dans les façons de faire, dans le partage des meilleures pratiques, qui restent encore, dans la plupart des cas, à définir. Le télétravail va devenir incontournable et bouleversera les avantages accordés, la rémunération, les mesures de performance, les promotions. »

Les experts se montrent prudents vis-à-vis de l’instabilité. Les solutions « passe-partout » n’existent pas, quoique le réalignement de la planète RH se soit précisé dans les derniers mois, estime Victor Haines, CRHA, professeur à l’Université de Montréal. Il relève trois tendances de fond :

  • La gestion participative et la démocratisation avec un régime de rémunération variable visant des primes pour la performance des équipes plutôt que des personnes.
  • L’évolution des valeurs de la main-d’œuvre avec l’arrivée des jeunes qui demandent de la transparence dans la rémunération et une flexibilité des avantages sociaux.
  • Une concurrence constante pour obtenir et retenir les meilleurs talents dans un contexte de pénurie de la main-d’œuvre.

La famille

La politique familiale québécoise, basée sur les congés parentaux et les CPE, aurait avantage à examiner de près le modèle français. Affrontant également une pénurie de main-d’œuvre après la guerre, la France a créé un régime qui privilégie les baisses d’impôt pour les familles.

« À trois enfants et plus, même à l’âge de 50 ans, les Français profitent toujours de réductions d’impôt, souligne Sylvie St-Onge. C’est pour ça qu’on y trouve encore des familles de plusieurs enfants. À partir de quatre, les Français ne paient pratiquement plus d’impôt. »

Le constructeur automobile suédois Volvo annonçait récemment un congé parental de six mois, payé à 80 % du salaire. Étant déjà plus avancé, le Québec pourrait adopter une mesure hybride offrant le choix entre les congés payés ou l’allégement fiscal.

Sara-Christine Rousseau, CRHA, responsable du Centre d’expertise Concilivi, estime que le Québec reste à l’avant-garde comme le démontrent l’intérêt des autres provinces et les traductions en plusieurs langues de ses programmes.

« Le message principal qu’on passe aux entreprises, c’est de se coller aux besoins des employés. La clé, c’est la transmission de l’information puisque souvent les employés et les gestionnaires ne sont pas au courant des mesures existantes. »

Un sondage de Concilivi démontre que 89 % des organisations affirment que la conciliation famille-travail (CFT) est une attente incontournable de leurs employés. Ainsi, 80 % des employés souhaitent avoir une formalisation des mesures, alors que seulement 15 % des organisations les formalisent. 

Rémunération

France Dufresne, CRIA, chef du secteur Talents et Communication chez Willis Towers Watson, estime que les tendances internationales tournent autour de la flexibilité des pratiques et du bien-être des employés.

« La rémunération globale est associée à l’employé vu comme un consommateur. Les entreprises les plus progressistes, pour une valeur égale, donnent un choix varié aux employés en jouant sur les vacances, les assurances collectives, les congés mobiles, etc. L’entreprise paie le même prix, mais l’employé peut faire ses propres choix. En rémunération, ce n’est pas encore répandu ici, mais ce qui s’en vient, c’est le modèle de travail full flex. »

L’idée est de favoriser les meilleures stratégies de rétribution (total reward optimization) en usant de techniques d’analyse et de recherche de marketing pour connaître les attentes des employés tout en équilibrant le budget.

« Cela permet de gérer l’enveloppe et de prévoir, note-t-elle. Par exemple, une entreprise peut rectifier le tir en apprenant que seulement 5 % de ses employés apprécient le programme d’assurance collective, alors que le programme lui coûte une fortune. »

Au Québec, la rémunération tient surtout compte du rendement individuel, alors qu’en France, la loi impose aux entreprises d’avoir un régime de participation aux bénéfices, ce qui représente une avancée. Il y a un bémol toutefois. « Le gouvernement français décide du calcul des bénéfices et de la façon dont le montant sera versé, note Sylvie St-Onge. C’est une approche très paternaliste, puisque ça va jusqu’à décider de la façon dont les employés pourront disposer de ces primes. »

Mieux-être

Côté mieux-être, les organisations se rendent compte désormais qu’il est primordial de prendre soin de la santé de leurs employés.

« Aux États-Unis, note France Dufresne, Google, qui paie des repas entre autres, connaissait un grand problème d’obésité chez ses employés. Les coûts de santé avaient augmenté énormément. Ils ont donc décidé d’inciter leurs employés à mieux se nourrir. Ils ont changé le menu de la cafétéria, ouvert un gymnase et fait des campagnes de sensibilisation. Ils ont renversé la vapeur. »

Aux États-Unis et au Canada, souligne Sylvie St-Onge, les méthodes de gestion de la reconnaissance au travail se ressemblent. 

« Les Américains le font un peu plus, dit-elle, mais pour ce qui est des années de service et des employés du mois, par exemple, c’est équivalent ici, mais ça ne l’est pas en France ou au Japon. »

Travailleurs âgés et inclusion

Devant la pénurie de main-d’œuvre, le vent souffle également dans le sens d’une meilleure rétention des employés âgés.

« Dans tous les pays confrontés au vieillissement de la population, le nôtre inclus, note Sylvie St-Onge, les entreprises songent à garder leurs employés de 50 ans et plus, dont l’espérance de vie s’améliore. Ces personnes ont souvent besoin de travailler, mais pas nécessairement à temps plein. »

Cela favorise le transfert de connaissances et le réseautage, mais ça ne saurait être une solution à long terme puisque l’omniprésence des baby-boomers dans le marché tire à sa fin. D’où la nécessité de parler d’inclusion.

« Aux États-Unis, note Sylvie St-Onge, l’Association des conseillers en ressources humaines considère quatre axes de priorités, dont la valorisation de la diversité et de la réinsertion. En Europe, ces préoccupations s’installent aussi. Ici, nous n’y sommes pas du tout. Nos employeurs ne savent pas quoi faire avec ça. »

Avantages sociaux

Des offres plus flexibles pour ce qui est des avantages sociaux, ce qu’on appelait auparavant « l’approche cafétéria », seront nécessaires dans les années à venir. Par exemple, l’idée de verser des montants aux employés qui sont des aidants naturels pourrait se répandre.

« Les réalités familiales évoluent, insiste Sylvie St-Onge. Les employés fonctionnent dans un environnement mondialisé et sont au courant des avantages que l’on trouve ailleurs. Dans une multinationale, si les collègues français y ont accès, les Canadiens exigeront le même traitement. »

Transparence

Une meilleure transparence en rémunération représente aussi un gage de responsabilité sociale de la part des employeurs. En Norvège, en quelques clics, un employé peut accéder au salaire de son voisin sur le site du fisc. Ce moyen de lutter contre les inégalités salariales pourrait être adopté au Québec.

« Même en Ontario, dans le secteur public, cette pratique existe déjà, rappelle Sylvie St-Onge. Il n’y a pas d’obligation, mais la loi ontarienne pousse les employeurs à se réguler, notamment en ce qui a trait à l’équité salariale entre les femmes et les hommes. »

La firme de Seattle Payscale soutient, dans un même élan, que les employeurs devront revoir leurs échelles salariales, non pas pour économiser, mais pour revoir à la hausse les salaires des groupes d’employés performants sous-payés.

Caroline Henri, CRHA, directrice des opérations chez Perreault & Associés, confirme la nécessité de réfléchir à la rémunération globale au Québec.

« C’est un marché d’employés et non d’employeurs. Depuis un mois, c’est fou : plusieurs clients veulent revoir leur structure de rémunération, ce qu’il faut faire à la hausse en respectant le budget. On conseille de baliser la pratique de rémunération en gardant l’équité interne et en jouant sur les avantages comme les assurances et les conditions d’emploi. »

Vers l’inconnu et plus loin encore

L’incertitude continuera de brouiller les pistes des pratiques à adopter. Ce qui fonctionnait il y a deux ans pourrait s’avérer futile demain. Il reste donc à convaincre les employeurs de rester flexibles pour répondre aux besoins des salariés. Les notions de base à encourager : inclusion, équité, empathie.

« Les professionnels des ressources humaines vont devoir accroître la communication des idées et des innovations, conclut Sylvie St-Onge. L’Ordre a pris de bonnes initiatives jusqu’ici, mais personne ne contrôle l’avenir. On ne peut pas attendre six mois. Les employeurs doivent réfléchir aux normes dès maintenant en restant transparents et en gérant la perception de l’équité. »