Lui qui a forgé sa culture d’entreprise sur la collaboration et la synergie d’équipe, il se trouvait bien seul, en plein cœur de Montréal, dans un bureau à aire ouverte, où les tables de ping-pong et le coin lounge étaient désormais déserts.
« Notre culture d’entreprise est faite de petits rituels qui semblaient alors anodins : sonner la cloche quand on a un mandat, marcher à l’extérieur ensemble, se divertir après le travail. Elle reposait sur la collaboration, tant dans le travail que dans notre environnement. Je me disais que nous ne serions peut-être pas aussi efficaces en étant dispersés », raconte-t-il.
Or, c’est l’effet contraire qui s’est produit. Les rituels se sont redéfinis, avec distanciation ou virtuellement, et l’équipe est demeurée unie. Elle l’est peut-être même davantage qu’auparavant, estime le président.
« La culture d’entreprise était assez forte pour maintenir le cap et suffisamment flexible pour s’adapter aux nouvelles réalités », constate celui dont le métier est justement de trouver des solutions aux problèmes et aux enjeux liés aux ressources humaines.
Selon le spécialiste, de façon générale, les organisations qui avaient déjà axé leur culture d’entreprise autour de valeurs positives et inclusives prônant la cohésion et l’entraide, elles ont réalisé une meilleure performance durant la dernière année. Si l'on ne tient pas compte du domaine d’activité et d’autres facteurs externes, il va sans dire.
Affronter les tempêtes
C’est également ce que remarque Diane-Gabrielle Tremblay, Ph. D., CRHA, professeure à l’Université TÉLUQ et directrice de l’ARUC – Innovations, travail et emploi.
« La pandémie a été l’occasion de renforcer sa culture d’entreprise en la basant sur le leadership positif, sur l’autonomie et sur la confiance envers les employés », estime-t-elle.
Cette période tumultueuse a certes ébranlé les organisations, mais elle a aussi soudé les équipes. « La culture d’entreprise permet de développer le sentiment d’appartenance, et la dernière année a constitué un bon test pour de nombreuses entreprises, petites ou grandes », renchérit-elle.
À l’inverse, les organisations qui exerçaient une pression ou un contrôle sur leurs employés, « souvent par le biais de gestionnaires immédiats ou d’intermédiaires », ont vu leur cohésion s’affaiblir et les troupes se relâcher. Une culture d’entreprise basée sur la hiérarchie et qui repose principalement sur la mission et les valeurs de ses dirigeants engendre une plus grande difficulté à s’adapter aux nouvelles réalités du télétravail et du travail hybride, remarque la chercheuse.
Le socle de l’organisation
Une culture d’entreprise forte représente le socle sur lequel reposent les organisations pour se développer, prospérer et atteindre de bons résultats. Mais comment la définir?
Il est difficile, voire impossible, de statuer sur une définition unique de la culture d’entreprise puisqu’elle évolue dans le temps et selon les approches. Le professeur Maurice Thévenet, auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur la culture d’entreprise, le management et le leadership, la définit comme un ensemble de valeurs partagées, de rites, de mythes et de symboles qui ont écrit l’histoire de l’organisation1. « La culture d’entreprise, c’est bien plus que des valeurs, ajoute Diane-Gabrielle Tremblay. C’est tout ce qui contribue à rendre l’ambiance de travail agréable et qui se traduit par des actions concrètes et constantes, comme les politiques de télétravail et les horaires flexibles. C’est aussi ce qui est informel, mais d’où la créativité et l’innovation émergent. C’est précieux pour une organisation. »
En d’autres mots, c’est la personnalité de l’entreprise, ce qui la rend unique; c’est ce qui fait que les employés sont motivés à se rendre au travail, à bavarder dans des espaces destinés aux échanges informels et par conséquent, ce qui contribue au bon rendement de celle-ci.
L’importance de communiquer
Or, la culture d’entreprise ne s’impose pas et ne se bâtit pas du jour au lendemain. Elle doit d’abord être basée sur les valeurs fondamentales de l’entreprise et se construire au fil du temps ainsi que mettre en valeur le vécu de son équipe et son histoire. Les principaux intervenants rencontrés s’entendent pour dire qu’on ne doit pas tenter de l’instaurer en réaction à un événement, mais plutôt "l'instiller" progressivement sur le long terme et la projeter dans l’avenir. Le maintien d’une culture d’entreprise forte exige un travail soutenu, qui influence autant le recrutement que les décisions stratégiques.
De plus, les dirigeants d’entreprise auraient intérêt non seulement à mieux communiquer leur culture organisationnelle à leurs employés, mais aussi à mettre ces derniers à contribution dans cette réflexion, soutient Laurent Vorelli. « La culture d’entreprise, c’est souvent du non-dit. Mais lorsqu’on la définit explicitement et qu’on est transparent, on constate que les employés sont rassurés et vont adopter un comportement ou une attitude qui la soutient. Même chose lorsqu’on les fait participer au processus : une culture inclusive et forte génère une meilleure performance dans les périodes de tempête, comme celle que nous vivons », insiste-t-il.
Le grand révélateur de la culture réelle d’une entreprise, ce sont les actions qu’elle pose, ce qui va bien au-delà des valeurs et de la mission qu’elle affiche sur son site Internet, estiment les experts interrogés.
« C’est bien beau prôner la bienveillance et les valeurs humaines, mais est-ce que les dirigeants ont réellement pris soin de leurs employés durant la pandémie? » s’interroge Diane-Gabrielle Tremblay.
Une question qui se posait avant la pandémie et qui reviendra après, selon cette chercheuse qui a multiplié les écrits sur la conciliation travail-famille afin de favoriser non seulement la parentalité, mais aussi les besoins des proches aidants. « C’est l’occasion de se démarquer comme organisation et de développer une culture d’entreprise à long terme », martèle la chercheuse.
Les entreprises qui reprennent leurs activités en respectant de nouveaux protocoles et de nouvelles priorités se doivent de favoriser la santé et la résilience de leurs effectifs si elles veulent repartir du bon pied et renouer avec la croissance.
« Je suis préoccupé par les effets qu’aura la pandémie sur les organisations, leur culture et leurs valeurs. L’incertitude économique, l’attitude et le comportement des leaders, la préservation des valeurs organisationnelles : voilà trois défis majeurs auxquels nous nous heurterons dans les prochains mois », écrivait Philippe de Villers, CRHA, dans le numéro de juin 2020 de la Revue RH. Un an plus tard, les mêmes préoccupations demeurent, selon Diane-Gabrielle Tremblay, insistant sur l’importance de mettre en place une culture d’entreprise saine et porteuse pour l’avenir. Parce que l’avenir est demain.
Recruter par sa culture
Oubliez les stratégies de recrutement conventionnelles : le recrutement est aujourd’hui un processus de séduction. Dans un contexte de rareté de la main-d’oeuvre, les organisations ont élaboré ces dernières années différentes stratégies susceptibles non seulement d’attirer de nouveaux candidats, mais surtout de retenir et de mobiliser leur personnel. L’une d’elles est de recruter par le biais de ses valeurs et de transmettre sa culture d’entreprise avant même l’embauche. En effet, miser sur les valeurs constitue un atout important pour une entreprise en matière de recrutement. Entre deux ou plusieurs entreprises, le choix d’un candidat penchera davantage du côté de celles dont la culture ne rentre pas en conflit avec ses valeurs, qu’elles soient professionnelles, sociales ou morales.
Optimiser le rendement financier par l’expérience employé
Chaque année, Willis Towers Watson a mené des sondages auprès de plus de 500 entreprises et de quelque 10 millions d’employés. Au terme de cette enquête qui s’est échelonnée sur plusieurs années, la firme a établi un modèle d’expérience employé moderne qui est fondé sur des données probantes et qui permet de prédire la réussite financière durable des entreprises. Intrinsèquement liée à la culture organisationnelle, l’expérience employé a une influence directe sur le rendement financier de l’entreprise, avançait France Dufresne, MBA, CRIA chez Willis Towers Watson, dans une conférence qu’elle a animée pour l’Ordre des CRHA.
Auteure
Annie Lafrance, 37e Avenue
1 Maurice Thévenet, La culture d’entreprise, 5e éd., Presses universitaires de France, 2006.