Ces compétences s’apprennent dans l’action grâce à des activités comme le mentorat ou le codéveloppement. Et cela nécessite que l’organisation passe d’une culture de formation à une culture d’apprentissage.
En ajoutant une couche d’incertitude et en envoyant les employés en télétravail, la pandémie a exacerbé le besoin pour les organisations de développer les compétences transversales. « Avant, les demandes de formation venaient des gestionnaires et des services de ressources humaines. Maintenant, elles viennent aussi des employés », observe Annabelle Cadieux, directrice générale du Groupe CFC. Elle constate en outre que le marché de la formation évolue : « Il y a de moins en moins de demandes de formations traditionnelles, soutient-elle. La moitié des clients veulent de l’apprentissage dans l’action, des formats adaptés. »
Cette tendance correspond au modèle d’apprentissage 70-20-10, popularisé notamment par Morgan McCall, Robert W. Eichinger et Michael M. Lombardo du Center for Creative Leadership de l’Université de Princeton, qui l’ont développé et selon lequel 10 % seulement des apprentissages viennent de formations en classe. D’ailleurs, comme le dit Annabelle Cadieux, « il n’y a pas de formation spéciale pour développer l’empathie ou l’agilité, mais il y a une demande pour développer ces compétences, d’où une évolution de l’offre des formats d’apprentissage ».
C’est aussi la temporalité de la formation classique qui la rend quasi obsolète. Aujourd’hui, « les organisations répondent aux besoins de leurs clients dans le juste à temps. La formation aussi doit se faire en juste à temps, c’est-à-dire dans l’action », estime Lucie Marcoux, MA, CRHA, facilitatrice en apprentissage chez RH Essentiel. Justement, « dans le modèle 70-20-10, les 70 % représentent ce qu’on apprend dans l’action, car il faut faire quelque chose qu’on n’a jamais fait pour apprendre, et les 20 % viennent de ce qu’on apprend des autres, de nos collègues, d’un coach, d’un mentor », décrit Yvon Chouinard, Distinction Fellow CRHA, conseiller en mentorat.
Le codéveloppement : apprendre ensemble et dans l’action
On ne parle donc plus seulement de formation, mais d’apprentissage dans l’action de façon accompagnée.
Le codéveloppement, comme le propose Nathalie Sabourin, CRHA, fondatrice du Groupe Sabourin Consult, réunit un groupe d’employés qui partagent des réalités similaires et qui veulent apprendre les uns des autres.
Lors d’une séance, une personne propose un défi ou un objectif à atteindre qui devient un cas d’étude pour le groupe. S’ensuivent des étapes de questionnements pour cerner les besoins, puis des propositions de solutions. L’apprentissage est mutuel et les rôles changent d’une séance à l’autre. Dans le mentorat, un mentor mettra à profit son expérience pour accompagner une personne dans la réalisation de ses objectifs de carrière.
Au Groupe CFC, qui propose des parcours d’apprentissage ou des ateliers, l’apprentissage se fait en mode expérientiel. « On place les gens en action dans des groupes d’apprentissage, où ils obtiennent de la rétroaction de la part des pairs », explique Annabelle Cadieux.
Plus simplement, Lucie Marcoux suggère des formes de réseautage interne en prévoyant des créneaux de rencontre sans ordre du jour, mais qui permettent de raconter aux collègues les obstacles rencontrés pour demander de l’aide ou des conseils.
Ces diverses formules ne visent donc pas précisément le développement de compétences transversales, mais les apprenants sont amenés à les déployer dans la résolution de défis ou les mises en situation. « On choisit une porte d’entrée comme le développement du leadership ou l’expérience client et l'on y greffe des compétences transversales, comme la pensée systémique ou l’écoute du client », explique Annabelle Cadieux. « Un groupe de codéveloppement permet de développer quatre compétences : l’écoute, l’art de poser des questions, la rétroaction bienveillante et la réflexion sur l’action, en plus de stimuler la créativité, l’apprentissage et la collaboration dans l’action », décrit également Nathalie Sabourin.
Parallèlement, l’écoute de soi et des pairs favorise l’esprit d’équipe et une confiance qui se répercutent sur l’organisation. « Quand on échange des informations, on reçoit du soutien technique et relationnel et l'on bâtit la confiance, explique Lucie Marcoux. Pour naviguer ensemble, les coéquipiers doivent se faire confiance. »
Le mentorat : pour soi et dans l’organisation
Pour l’employé, s’enrichir de compétences transversales demande un travail sur soi. « Développer des compétences transversales, c’est une prise de conscience des zones aveugles, de notre façon d’être qu’on ne voit pas et qui nous est révélée par les pairs ou par les collègues », affirme Annabelle Cadieux. « Le rôle du mentor n’est pas de créer un clone, ajoute Yvon Chouinard. Il doit poser des questions pour aider la personne mentorée à explorer et à découvrir ce qu’elle pourrait faire à partir de ses talents, et à prendre ce qui peut lui convenir de l’expérience de son mentor. Souvent, la personne mentorée est amenée en dehors de sa zone de confort. »
Apprendre dans l’action, c’est en effet accepter de s’engager en dehors de sa zone de confort, ce qui requiert de l’ouverture d’esprit. « Quand on met en pratique un nouvel apprentissage, il faut accepter au début que cela prenne plus de temps et qu’on fasse moins bien qu’avec une méthode déjà connue, dit Lucie Marcoux. On se trompe, mais on recommence et l'on avance à petits pas. Lorsqu'on ne veut pas faire d’erreurs, on ne fait rien. » C’est même toute l’organisation qui doit donner le droit à l’erreur. « On ne peut pas innover et être agile dans un environnement qui n’encourage pas le droit à l’erreur », estime Nathalie Sabourin.
C’est pourquoi ce travail sur soi doit s’ancrer dans le milieu de travail; il suppose une transition d’une culture de formation vers une culture apprenante et une culture de coapprentissage dans l’action.
Le rôle des professionnels RH
Les professionnels des ressources humaines sont aux premières loges de cette transformation, car ils doivent user de compétences transversales pour faire un diagnostic de l’organisation. « Il faut sortir du service RH et avoir une vision globale de l’entreprise », soutient Nathalie Sabourin.
Une première étape consiste à faire un diagnostic de la culture de l’entreprise en analysant les données RH (ex. : sondage de mobilisation, taux de roulement), le processus de gestion de la performance ou les pratiques de recrutement et surtout, en observant les comportements du comité de direction, des gestionnaires et des employés : ils sont une fenêtre ouverte sur les valeurs de l’organisation. « On peut voir si les gens se parlent, s’ils se font confiance ou si les équipes travaillent en silo », illustre Nathalie Sabourin.
Une deuxième étape consiste à faire le diagnostic de la culture d’apprentissage. « Est-ce qu’il y a dans l’organisation des moyens pour que les employés apprennent selon les 70 % du modèle 70-20-10? » poursuit-elle. Nathalie Sabourin suggère de repérer les démarches de mentorat, de codéveloppement ou autres formes d’apprentissage dans l’action déjà en place, et de s’en servir comme assise pour jeter les bases d’une culture apprenante.
Ultimement, ces compétences transversales et les valeurs qui y sont rattachées doivent transcender toute l’entreprise. « Ça ne sert à rien d’avoir un super plan d’affaires si les équipes ne collaborent pas, si les employés ne sont pas en confiance pour demander de l’aide », soutient Annabelle Cadieux.
En somme, les compétences transversales, c’est ce qui permet aux organisations de rester agiles face aux aléas provenant de l’extérieur... au lieu de les subir. C’est dans l’action que tout se joue et qu’une culture d’apprentissage, favorable à l’innovation, à la mobilisation et la fidélisation des talents, prend racine et se définit.