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Santé mentale et télétravail : reconnaître les signes avant-coureurs et agir en mode virtuel

De nombreuses études ont prouvé que l’isolement est aussi dangereux pour la santé que l’obésité, l’alcoolisme et le tabagisme. Il est également associé à des degrés supérieurs de dépression (Julianne Holt-Lunstad, Timothy B. Smith, Mark Baker, Tyler Harris et David Stephenson, 2015).

Bien que la plupart des employeurs aient accéléré le déploiement de programmes de soutien à la santé mentale et affiché une préoccupation de plus en plus importante envers le bien-être de leurs employés depuis le début de la pandémie, l’histoire qui suit est malheureusement trop familière pour plusieurs employeurs. 

À l’aide de stratégies et d’outils simples, voyons comment les conseillers en ressources humaines peuvent soutenir les gestionnaires à reconnaître les signes avant-coureurs d’un risque potentiel en santé mentale maintenant que le contact physique au quotidien ne fait plus partie de l’équation.   

Rencontrez Frédérique

Frédérique, âgée de 32 ans, est la maman de deux enfants en bas âge qui vivent avec elle une semaine sur deux, garde partagée oblige. Dès le début de la pandémie, son employeur a fait passer tout le monde en mode télétravail. Elle s’est d’abord installée sur la table de la cuisine, et puis, voyant que la situation perdurait, elle s’est créé un bureau de fortune dans la chambre de son fils. Plus les semaines passaient et plus le brouhaha du bureau et les conversations avec les collègues autour de la machine à café lui manquaient.

Quelques mois ont passé. Une fatigue s’est installée. Frédérique n’a plus de motivation. Elle passe souvent une heure ou deux à procrastiner plutôt que travailler… « Personne ne s’en rendra compte », se dit-elle.      

Après plus de dix mois en isolement, elle ne ressent plus cet effet de groupe. Les contacts avec les membres de son équipe sont de moins en moins fréquents. Les 5 à 7 virtuels ne l’intéressent plus et elle se sent plus seule que jamais. Son isolement l’affecte, elle est d’humeur maussade et se sent déprimée. 
S’ensuivront une baisse de productivité et de performance, une mauvaise évaluation de rendement, puis une invalidité pour dépression.

Comment se fait-il que le gestionnaire de Frédérique n’ait pas remarqué l’attitude et l’humeur différentes de son employée? Là où, avant la pandémie, les interactions quotidiennes d’une équipe faisaient office de filet de soutien pour les employés, force est d’admettre qu’il est plus difficile d’observer l’état psychologique d’un télétravailleur.

Créer une culture proactive, virtuelle et solidaire 

Bien que les employeurs proposent de nombreuses options et offrent des services de soutien en matière de santé mentale, si ces derniers ne sont pas présentés aux bonnes personnes au bon moment, ils sont inefficaces.

Les services, tous plus pertinents les uns que les autres, se développent à un rythme accéléré. La barrière d’accès au traitement diminue avec l’essor de la télémédecine. Il n’est plus exceptionnel aujourd’hui de voir des régimes d’assurance collective couvrant la thérapie cognitivo-comportementale en ligne, les téléconsultations avec des médecins et des traitements de physiothérapie virtuelle. 

Cependant, la stratégie de santé mentale d’une entreprise mérite une attention pleine et entière. Elle ne peut plus être considérée comme une simple case à cocher. Plus que jamais, elle doit faire partie d’un tout cohérent, d’une stratégie et d’un plan qui utilisent des processus d’écoute et de soutien en continu afin de prévenir les enjeux et de soigner le mieux-être des employés. Elle doit aussi reconnaître la diversité des besoins en matière de santé mentale. 

Dans ce processus, les gestionnaires, les employés ainsi que les conseillers en ressources humaines ont tous un rôle à jouer. Le tableau suivant illustre quelques-unes des actions que chacun peut poser.

  Communiquer Écouter Comprendre Agir
Service des ressources humaines Promouvoir les programmes offerts 
Réduire les barrières d’accès au traitement
Favoriser les services virtuels
Favoriser une culture d’ouverture, de compassion et d’adaptation
Sonder régulièrement le degré d’engagement, le sentiment d’efficacité et le degré de stress perçu
Offrir des bilans de santé psychologique et physique
À l’aide de tableaux de bord, suivre plus fréquemment et de façon ciblée la mobilisation des équipes plus à risque
Évaluer les tendances d’invalidité et les taux d’incidence en santé mentale
Évaluer l’utilisation des programmes et les adapter au besoin
Former et accompagner les gestionnaires sur l’intervention en santé mentale
Offrir des formations pour lutter contre la stigmatisation et la discrimination
Gestionnaires Installer un climat de confiance, empreint de sincérité et d’authenticité Détecter les changements individuels – physiques, psychologiques ou sur l’humeur – tels que : baisse de productivité, variation importante sur le poids, absentéisme, fatigue, trouble du sommeil, migraine, sentiment d’irritabilité et de tristesse, exclusion sociale, excès de colère, réaction démesurée, augmentation de l’anxiété, etc. Donner de l’importance au « Comment ça va ? »
Ne pas tenir pour acquis que ça va bien
Faire preuve de patience et éviter le jugement
Pratiquer l’écoute active et encourager la discussion
Rendre disponibles les ressources et garder à portée de main les numéros de téléphone des lignes d’urgence, des PAE et des ressources offerts dans la communauté
Employés Être conscient de son état psychologique
Exprimer son ressenti
Surveiller les variations ou l’apparition de symptômes relatifs au stress :
physiques, psychologiques, comportementaux, humeur
Utiliser des technologies et outils de suivi pour surveiller l’évolution de ses comportements et de son degré d’énergie Ne pas avoir peur de demander de l’aide 
Utiliser les ressources offertes

Il est à noter que les collègues au sein de l’équipe, de même que ceux des autres services, doivent eux aussi prendre part à cette stratégie.

Les premiers répondants en santé mentale

Dans ce nouveau contexte, et partant du fait que la pandémie se poursuit et qu’un nombre élevé d’employés travaillent encore à distance et de façon isolée, le conseiller RH et le gestionnaire de première ligne devront devenir les premiers répondants de la stratégie intégrée en santé mentale dans les entreprises. 

Pour ce faire, ils devront bâtir des ponts qui leur permettront de maintenir le lien avec le télétravailleur et de reconnaître les signes avant-coureurs. Ils devront comprendre, diffuser et promouvoir fréquemment l’utilisation des outils et programmes d’aide en santé mentale. 

Étant donné l’augmentation marquée des cas d’invalidité pour santé mentale depuis plusieurs années et l’émergence de nouveaux facteurs de risque depuis le début de la pandémie, il faudrait idéalement ne pas attendre l’apparition de symptômes et devenir des as de la prévention.

Auteurs

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Sophie Valade, CRHA, directrice, Développement organisationnel, Medavie

 

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Olivier Pagé, directeur, Gestion des régimes collectifs d’invalidité, Croix Bleue Medavie

Source : Revue RH, volume 24, numéro 1 ─ JANVIER FÉVRIER 2021

Sources
  1. Julianne Holt-Lunstad, Timothy B. Smith, Mark Baker, Tyler Harris et David Stephenson. « Loneliness and Social Isolation as Risk Factors for Mortality: A Meta-Analytic Review », Perspectives on Psychological Science, 2015, vol. 10, pp. 227-237.
  2. Louise C. Hawkley et John T. Cacioppo. « Loneliness Matters: A Theoretical and Empirical Review of Consequences and Mechanisms », Ann Behav Med, 2010, vol. 40, no 2, pp. 218-227.
  3. John T. Cacioppo et Louise C. Hawkley. « Perceived social isolation and cognition », Trends in cognitive sciences, vol. 13,10 (2009) : 447-54. doi:10.1016/j.tics.2009.06.005
  4. Organisation mondiale de la santé (OMS) (2001). Rapport sur la santé dans le monde, 2001 – La santé mentale : nouvelle conception, nouveaux espoirs, Genève, OMS, p. 172
  5. Palgi Y, Shrira A, Ring L, et al. « The loneliness pandemic: Loneliness and other concomitants of depression, anxiety and their comorbidity during the COVID-19 outbreak », J Affect Disord. 2020;275:109-111. doi:10.1016/j.jad.2020.06.036