Ce mois de janvier 2021 marque le triste anniversaire d’une année de pandémie déclarée à l’échelle mondiale. Une année pour le moins surprenante, où nous nous trouvons tous dans le pire scénario qui était envisagé par notre collectif universitaire dans l’analyse « trois scénarios du protocole de mise en quarantaine nationale » publié le 26 mars 2020.
Le Québec est submergé, la contamination communautaire va bon train, les effectifs médicaux sont essoufflés et débordés, les organisations tous secteurs confondus, ont subi nombre de changements à répétition et nous ne voyons pas encore la fin de cette longue séquence de contraintes imposées. Le cycle est accéléré et les travailleurs démontrent davantage de fatigue et de problèmes de santé mentale. C’est un portrait qui, au premier regard, nous apparaît plutôt morose lorsque nous observons, en tant que chercheurs, les organisations et leurs employés, ceux encore en poste, qui tentent de continuer leurs activités dans un contexte de crise sanitaire et de morosité économique. C’est un scénario qui doit aussi être analysé dans la durée : malgré la vaccination qui a débuté, tout indique que la pandémie pourrait devenir endémique. Nous devons collectivement anticiper encore plusieurs mois, voire plus d’un an, dans ce contexte de grande incertitude et de stress organisationnel.
Dans les derniers mois, l’équipe de recherche composée des auteurs de ce texte, mais aussi de plusieurs autres collaborateurs, a été extrêmement active dans le soutien et l’accompagnement de certaines organisations partenaires qui cherchaient des réponses pour mieux gérer la crise sur le plan d’intervention et de décision. De ces nombreuses heures d’observation sur le terrain, d’entretiens avec des membres organisationnels et de comparatif international, nous vous proposons un portrait des constats actuels et quelques « pratiques exemplaires émergentes » en lien avec l’univers des ressources humaines, ainsi que les moins bons coups que nous avons pu observer.
Premier constat : l’enjeu de la temporalité
La temporalité de cette pandémie est particulière et ne doit pas être comparée aux schémas de référence des crises organisationnelles plus « traditionnelles » qui sont généralement de courte durée. Une crise organisationnelle s’étend normalement de quelques heures à quelques semaines dans la réalité de la majorité des organisations québécoises. La pandémie de COVID-19 nous fait subir des changements et des cycles de crise plus longs et donc plus complexes, car ils impactent un ensemble d’autres facteurs, tels nos résultats financiers dans la durée, nos prévisions stratégiques planifiées, nos processus et mécanismes relationnels, nos espaces de travail et nos outils de travail. Cette longue temporalité entraîne une cascade d’effets, notamment des enjeux de santé mentale chez nos collaborateurs et des enjeux dans nos liens avec notre clientèle, nos fournisseurs et nos syndicats, pour ne nommer que ceux-là parmi la pléthore de parties prenantes organisationnelles. Comment rester résilient dans la durée et minimiser les impacts collatéraux et les angles morts? Bien que nous soyons chercheurs en sciences sociales, nous n’avons pas encore de réponses précises. Cependant, nous vous proposons, dans la section des pratiques émergentes, quelques pistes d’inspirantes.
Deuxième constat : la compréhension accélérée de la « gestion de crise » de tous les acteurs
En mars 2020, au Québec, la crise sanitaire a aussi mis en exergue l’absence flagrante de compétences de gestion de crise dans la majorité des organisations. Cela a occasionné des délais à leur réactivité, mais leur a toutefois permis de mieux comprendre les enjeux nombreux auxquels elles faisaient face dans cette grande incertitude.
Le leadership et la communication de crise sont deux aspects de la gestion de crise qui ont malheureusement souvent fait défaut, que ce soit de la part des gouvernements ou dans les organisations. La présence de leadership de crise, dont les pratiques et comportements sont bien différents d’un leadership organisationnel « habituel », a fait une grande différence chez les organisations qui ont su garder le cap plus sereinement dans cette grande incertitude. Selon nos entrevues réalisées entre juillet et septembre 2020, les employés se portaient mieux tant dans leur équilibre de vie privée et professionnelle que dans leur gestion des nouveaux stress.
Troisième constat : une polarité qui se cristallise
Nous avons cumulé plus de 200 heures d’observation directe d’équipes de travail en contexte de gestion de projets majeurs entre janvier et octobre 2020. Nous avons aussi effectué plus de 50 entrevues avec des experts de la crise, mais surtout des gestionnaires et des membres d’équipe de travail. De ces résultats, nous constatons deux polarités : les organisations qui cumulent la fatigue, les craintes et les plaintes tant de leurs membres que de leurs clientèles et celles qui performent positivement dans le respect de l’humain en contexte pandémique. Ces dernières ont mis l’humain au cœur de leurs décisions en promouvant particulièrement la « collaboration ».
Quatrième constat : un degré de maturité collective en chute libre
Les organisations qui n’ont pas su protéger l’humain favorisent l’amplification de la chute libre de la maturité des personnes. On ne réfléchit plus, on obéit, et l'on obéit dans la peur. Certes nous devons adhérer et suivre les directives gouvernementales pour le bien commun, cela est indispensable. Cependant, les organisations qui ont plutôt privilégié la peur des représailles plutôt que l’enthousiasme des opportunités de se redéfinir, contribuent à la diminution du « gros bon sens » ainsi que de l’autonomie de ses membres. Nos nombreuses frustrations comme clients et usagers proviennent souvent de cette situation.
Pratiques émergentes proposées
Le rôle des ressources humaines
Si ce n’est déjà fait, la pensée « humaine » de l’organisation et son appareil qu’est celui des ressources humaines devraient désormais penser offrir une formation de base systématique sur la gestion de crise et les mécanismes qui diffèrent du « business as ususal » pour augmenter la maturité organisationnelle et diminuer les temps de réactivité face à l’inattendu. Par ailleurs, il nous apparaît que les ressources humaines auraient, elles aussi, tout avantage à partager proactivement le leadership sur la préparation et le leadership de la cellule de crise. Ce rôle est traditionnellement joué par le directeur industriel ou le responsable de la sécurité. Or, les compétences des RH en matière de l’humain auraient tout avantage à devenir intégrées et transverses à ces rôles et responsabilités organisationnelles.
D’autant plus, les ressources humaines pourraient revendiquer leur rôle de protecteur de « l’humanité et de l’humain » en organisation en encourageant ses membres à naviguer dans ces polarités, c’est-à-dire; 1) continuer à réfléchir et faire place ainsi « au gros bon sens » existant dans l’organisation malgré les règles et les contraintes externes qui s’accumulent; 20 prendre le temps de se centrer sur les priorités organisationnelles malgré la vitesse du quotidien amplifié par nos couches de surcharge personnelle et professionnelle; 30 ouvrir les espaces de dialogue en nommant les tabous et les tensions malgré les polarités exacerbées; 4) finalement, répéter à l’organisation comment seuls les « humains » (nos parties prenantes internes et externes) nous permettront de traverser cette crise et les suivantes.
Pour conclure, à titre de chercheurs nous croyons fermement au rôle stratégique des ressources humaines dans la longue traversée de cette crise sanitaire.
Auteurs
Caroline Coulombe, membre du comité scientifique OCCAH et de la Chaire en gestion de projet, professeure
François Audet, directeur OCCAH, directeur IEIM et professeur
et Marie-Pierre Leroux membre du comité scientifique OCCAH et de la Chaire en gestion de projet, professeure, Département de Management, École des Sciences de la Gestion – UQAM
Revue RH, volume 24, numéro 1 ─ JANVIER FÉVRIER 2021
Notes
- https://occah.uqam.ca/wp-content/uploads/2020/03/SCENARIOV2.pdf
- Audet, F. et al (2 juin 2020). https://occah.uqam.ca/publications/deconfinement-il-ny-a-pas-de-solution-parfaite/
- Coulombe, C. (17 mars 2020). « Covid-19 : Que traversent nos organisations ces jours-ci? ». OCCAH https://occah.uqam.ca/publications/covid-19-que-traversent-nos-organisations-ces-jours-ci/
- Coulombe, C. et al. (2020). Chefs d’entreprise, êtes-vous bien entourés pour surmonter la crise? https://theconversation.com/chefs-dentreprises-etes-vous-bien-entoures-pour-surmonter-la-crise-135010 Audet, F., Coulombe, C. & Morin, D. (18 mars 2020). Les défis du leadership en temps de crise, La Presse. https://plus.lapresse.ca/screens/ce1451a3-d130-4d14-b30b-9cfadbe6a6d6__7C___0.html?fbclid=IwAR3W_uMnR2gOuNETc0c2dmdOICttJbDiV4Be7zgpwB3Fy4ovR-N-9tQ5sLs
- Coulombe, C., Leroux, M.P. & Audet, F. (collab. Haineault, C.) (14 avril 2020). COVID-19-La collaboration en temps de pandémie - de quoi parle-t-on exactement https://occah.uqam.ca/publications/covid-19-la-collaboration-en-temps-de-pandemie-de-quoi-parle-t-on-exactement/
- Audet, F., Coulombe, C., Morin, D., Alalouf-Hall, D., Mouton, G. & Thool, V. (28 mai 2020). « Déconfinement : il n’y a pas de solution parfaite ». The Conversation. https://theconversation.com/deconfinement-il-ny-a-pas-de-solution-parfaite-139426 Audet, F. et al (2 juin 2020). https://occah.uqam.ca/publications/deconfinement-il-ny-a-pas-de-solution-parfaite/