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COVID-19 au CIUSSS du Nord-de-l ’Île-de-Montréal : une gestion de crise efficace

Le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal dessert 22 % de la population montréalaise. Il comprend 26 installations, dont 5 hôpitaux et 11 CHSLD, et s’appuie sur la contribution de 12 100 employés et bénévoles. Quel rôle a joué la fonction RH dans la gestion de crise au sein de votre organisation?

Jean Philippe Poirier, 37e Av.

Marie-Ève Lemieux, CRHA, directrice des ressources humaines, communications et affaires juridiques au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, a réalisé un véritable tour de force pour s’ajuster aux défis de la pandémie de COVID-19. Survol d’une gestion de crise efficace.

La fonction RH a été au cœur de toutes les décisions concernant la pandémie. Nous avons entre autres été impliqués dans la gestion de la santé et sécurité au travail. Il fallait revoir nos méthodes de travail et former le personnel à de nouvelles pratiques d’hygiène et de salubrité, pour protéger à la fois les employés et les clientèles vulnérables sur les unités de soins et dans les milieux de vie. Nous avons aussi géré le recrutement et l’accueil et l’intégration de nouveaux talents, car nous faisions face à un taux d’absentéisme sans précédent. De plus, nous avons mis en place plusieurs mesures de soutien pour aider les employés qui vivaient de la détresse au travail.

C’est un vaste programme. Parmi ces enjeux, lequel a posé un défi particulier et comment l’avez-vous surmonté?

La communication a représenté un défi important. Dès le début de la crise, nous avons eu beaucoup d’information à transmettre au personnel, incluant des mises à jour quotidiennes sur les procédures d’hygiène et de salubrité.

Après la deuxième semaine de crise, nous avons réalisé que nous ne réussissions pas à rejoindre tous les employés. Nous avons alors décidé de publier un bulletin quotidien d’une page, que nous avons envoyé par courriel et remis en version papier au début de chaque quart de travail. Ce bulletin contenait les faits saillants de la journée : les décisions organisationnelles qui avaient été prises, l’incidence des annonces ministérielles quotidiennes sur nos pratiques, et ainsi de suite.

Nous avons aussi diffusé l’information sur un groupe Facebook interne, suivi par 5 000 employés. Nous prenions le temps de répondre à leurs questions, c’était très interactif.

Le personnel hospitalier s’est retrouvé en première ligne face à un virus encore mal connu des scientifiques. Quelles ont été les mesures mises en place pour soutenir les employés dans cette crise?

L’une des premières choses que nous avons faites, c’est de créer une équipe d’intervenants psychosociaux et  en prévention des infections. Cette équipe avait pour objectif de faire la tournée des unités pour répondre aux interrogations du personnel.

D’une part, elle faisait la promotion d’une utilisation adéquate des équipements de protection individuelle, car certains milieux n’y étaient pas habitués et n’en comprenaient pas toujours l’importance. D’autre part, elle accompagnait les employés qui vivaient de l’épuisement, de l’anxiété et de la peur de contamination. Des deuils, aussi, car il y a eu beaucoup de décès dans nos milieux d’hébergement, et cela vient avec une charge émotive importante.

Des membres du personnel se sont également portés volontaires pour créer le Comité uni-résilient. Des médecins et des employés du domaine psychosocial ont développé des capsules audio pour parler de la gestion du stress, de l’anxiété et de l’importance de maintenir de saines habitudes de vie, même durant la pandémie.

Une ligne téléphonique de soutien psychosocial a été mise en place dès la deuxième semaine de la pandémie, et le PAE a été bonifié.

Malgré toutes ces mesures, plusieurs CHSLD ont quand même subi des pénuries de personnel. Comment s’est déroulé le recrutement rapide qui a suivi le lancement de la plateforme Je contribue?

Nous devions gérer un taux d’absence quotidien de 1 500 quarts de travail. C’était du jamais vu pour nous. Avant la crise, le plus grand nombre d’absences que nous avions eues à combler était de 700, lors d’une tempête de neige.

À la suite de l’appel du premier ministre, nous avons senti un véritable vent de générosité de la part du public. Nous avons reçu 12 000 candidatures. Toutes les entrevues se sont déroulées par téléphone ou de manière virtuelle. Nous avons effectué 1 700 embauches en 12 semaines, et ça continue.

Quels ont été vos critères d’embauche?

Comme nous travaillons avec des clientèles vulnérables, nous avons d’abord fait une vérification des antécédents judiciaires. Ensuite, nous nous sommes intéressés aux motivations profondes des candidats – faisaient-ils cela pour les bonnes raisons? – et aussi à leurs disponibilités.

Accueillir et intégrer 1 700 nouveaux employés en 12 semaines, ce n’est pas une mince affaire! Comment avez-vous procédé?

Nous avons rapidement constaté que nous n’avions pas les ressources pour intégrer autant de monde en aussi peu de temps. Nous nous sommes donc associés avec des formateurs externes provenant du Cégep de Saint-Laurent et du Collège Bois-de-Boulogne, qui sont des partenaires sur notre territoire.

De plus, nous avons mis sur pied des équipes dont le mandat spécifique était d’accueillir et d’intégrer les nouveaux employés dans leurs fonctions, afin qu’ils deviennent rapidement fonctionnels, qu’ils vivent une expérience positive et que leur contribution soit réellement utile.

Quel bilan faites-vous de ces embauches?

Les nouveaux employés ont en moyenne contribué à raison de 3 jours par semaine. Nous avons fait un sondage pour savoir comment ils percevaient leur expérience. Parmi les répondants, 90 % ont affirmé qu’ils recommanderaient à un proche de venir travailler avec nous s’il y avait une deuxième vague, et 76 % ont dit qu’ils aimeraient rester à l’emploi chez nous.

Après deux mois de crise sanitaire, quelles sont les leçons qui se dégagent dans votre organisation sur le plan de la gestion et du leadership?

Je crois que c’est grâce à une gestion agile que nous avons pu surmonter les nombreux défis auxquels nous avons fait face. Se mettre en mode agile, ça veut dire de s’assurer que les bonnes idées qui émergent de chaque milieu soient partagées pour profiter à tous.

Être agile, c’est aussi saisir les opportunités qui se présentent dans les milieux de travail, en mettant à profit les connaissances et l’expérience du personnel. Lorsque nous cherchions des masques, des couturières parmi nous ont proposé d’en faire. Lorsque nous manquions de solution alcoolisée pour les mains, d’autres ont pu, grâce à leurs connaissances en chimie, fabriquer ces solutions pour le personnel.

En tant que leader, on doit se mettre en mode collaboration et faire preuve d’écoute, pour comprendre les besoins et la perspective de l’autre. Quand on adopte cette attitude d’entraide, de bienveillance, il en ressort inévitablement du positif!


Jean Philippe Poirier, 37e Av. Journaliste indépendant

Source : Revue RH, volume 23, numéro 3, septembre/octobre 2020.