Jusqu’à présent, la grande majorité des professionnels RH ont pu jouer avec succès les deux rôles « traditionnellement » connus d’expert administratif et de représentant des employés. Les deux autres rôles « stratégiques » : agent de changement et partenaire d’affaires demeurent partiellement endossés pour la plupart.
Dans ce contexte, les technologies numériques sont perçues comme des leviers pouvant permettre aux professionnels RH d’accroître l’efficacité de la fonction et de contribuer à la réalisation d’objectifs de nature stratégique (Johnson et al., 2016).
Toutefois, certaines recherches nous apprennent qu’en réalité, les investissements en technologies numériques de la 3e révolution industrielle tels que les progiciels de gestion intégrés (PGI) appliqués à la GRH n’ont pas apporté les avantages attendus, notamment un positionnement stratégique des professionnels RH (Boudreau et Lawler, 2014). Le potentiel de ces technologies reste sous-exploité par ces derniers (Wirtky et al., 2016). Par ailleurs, leurs motivations pour adopter ces technologies se sont souvent limitées à l’automatisation des tâches visant rarement la transformation de la fonction RH et encore moins la transformation de l’organisation (Poba-Nzaou et al., 2020).
Nous soulignons malgré tout que les technologies numériques de la 4e révolution industrielle, en particulier l’intelligence artificielle (IA), les mégadonnées (Big Data), l’internet des objets, la robotique, les blockchains, la cryptomonnaie, etc. sont porteuses de réelles opportunités à saisir par les professionnels RH pour tenter une fois de plus de contribuer à l’atteinte d’objectifs de nature stratégique.
Nous postulons que les professionnels RH sont parmi les premiers acteurs qui devraient être interpellés dans la transition vers la 4e révolution industrielle pour au moins une raison. Les gains de productivité qui seront générés par l’automatisation des tâches avec l’IA sont tellement importants pour l’organisation du travail et le marché de l’emploi qu’ils ne peuvent être ignorés. Ils seront au cœur du métier RH.
Parmi ces technologies, nous avons décidé, pour des raisons de parcimonie, de discuter du Big Data (mégadonnées) et de l’analytique qui recèlent beaucoup de potentialités pour les professionnels et la fonction RH.
Technologies de la 4e révolution industrielle :
- Intelligence artificielle
- Mégadonnées
- Internet des objets
- Blockchains
- Cryptomonnaie
Les services RH sont historiquement connus pour être les plus riches en données dans les organisations. Ils sont également connus pour leur priorisation aux données qualitatives alors que l’une des conditions essentielles pour devenir partenaire d’affaires est de transiter d’une approche essentiellement qualitative vers une approche quantitative (exemple Urlich, 1997). Il n’est donc pas surprenant que l’analytique RH soit de plus en plus populaire auprès des professionnels RH. Toutefois, la réalité de l’utilisation qui en est faite tend à se limiter à des statistiques et des indicateurs compilés dans des tableaux de bord sans les corréler aux objectifs organisationnels, en particulier ceux de nature stratégique.
En somme, les professionnels RH doivent prendre exemple sur leurs homologues du domaine marketing ou des ventes. Le principal défi des professionnels RH est de passer d’une culture de calcul d’indicateurs RH à une culture de gestion des ressources humaines basée sur l’évidence sans altérer les notions de signification ou de sens et de finalité pour les employés.
Selon une enquête internationale récente (Sierra-Cedar 2019-2020), seulement 17 % des organisations exploitent l’analytique pour des prédictions RH alors que 22 % déclarent être en phase d’évaluation de ces outils.
Une autre enquête menée par CIPD (2018) avait signalé que les organisations qui utilisaient les données et l’analytique pour prendre des décisions affichaient généralement une meilleure performance que celles qui ne le faisaient pas. D’après le Conference Board (2018), au Canada, 35 % des services RH utilisaient l’analytique RH pour la prise de décision, dans une grande ou très grande mesure alors que près de la moitié avaient l’intention de collecter des données pour évaluer les coûts des programmes et processus RH et la même proportion avait l’intention d’analyser l’impact des programmes et processus RH sur les résultats de l’organisation.
Par ailleurs, il est important de souligner qu’il est ardu de vouloir exploiter effectivement le potentiel de l’analytique RH sans une bonne fondation en systèmes d’information de gestion des RH (SIGRH). Or, la plupart des services RH ne sont pas dotés de systèmes adéquats malgré des dépenses parfois considérables consenties sur leur SIGRH. À titre d’exemple, l’enquête de Deloitte (2019) avait révélé que, bien que le taux moyen de satisfaction avec le SIGRH soit d’environ 60 %, seulement 6 % des entreprises considèrent leur SIGRH comme étant excellent et 65 % estiment leur SIGRH inadapté ou passable pour soutenir les professionnels en RH dans leurs missions.
Seulement 17 % des organisations exploitent l’analytique pour des prédictions en RH alors que 22 % déclarent être en phase d’évaluation de ces outils.
Cet essai serait incomplet sans s’arrêter sur l’importance de la qualité des données, car les effets sur leur traitement sont souvent entravés par la mauvaise qualité de certaines données disponibles : « garbage in, garbage out ».
Dans cette nouvelle ère industrielle, la compétence « business acumen » pour les professionnels RH (Ulrich, 1997) prend tout son sens. La bonne combinaison de cette compétence avec l’apport des technologies numériques et des capacités analytiques devient l’un des facteurs clés de succès les plus importants pour répondre activement aux besoins routiniers de la direction (McKinsey, 2017).
Enfin, la bonne nouvelle est qu’aujourd’hui, la plupart des dirigeants d’entreprises reconnaissent l’avantage concurrentiel que la gestion des RH peut apporter. « La balle est donc dans le camp des professionnels RH » puisque toutes les organisations cherchent plus que jamais à « mettre en pratique le mantra selon lequel leurs employés constituent leur atout le plus précieux » (McKinsey, 2017). Nous soulignons qu’il s’agit ici d’une question de survie. En effet, selon une enquête internationale récente menée auprès de 1300 cadres en RH (KPMG, 2020), 60 % de cadres RH pense que la fonction RH perdrait rapidement sa pertinence, c’est-à-dire qu’elle pourrait cesser d’exister sous sa forme actuelle, si à l’ère de la 4e révolution industrielle, elle continuait à fournir des prestations de la même manière.
Références bibliographiques
- Johnson, R.D., Lukaszewski, K.M. & Stone, D.L. (2016). The Evolution of the Field of Human Resource Information Systems: Co-Evolution of Technology and HR Processes. CAIS, 38:28
- Boudreau, J. W. & Lawler, E. E. III. (2014). Stubborn traditionalism in HRM: Causes and consequences. Human Resource Management Review, 24 (3): 232-244.
- Wirtky, T., Laumer, S., Eckhardt, A., & Weitzel, T. (2016). On the untapped value of e-HRM: A literature review. Communications of the Association for Information Systems, 38 (1).
- Poba-Nzaou, P., Uwizeyemungu, S., Gaha, K., et Laberge, M. (2020). Taxonomy of Business Value Underlying Motivations for EHRM adoption: An Empirical Investigation based on HR Processes. Business Process Management Journal. Accepté pour publication.
- Ulrich, D. (1997). Human Resource Champion. Boston, MA: Harvard Business School Press.
- Sierra-Cedar. (2019). The Sierra-Cedar 2019–2020 HR Systems Survey White Paper, 22ndAnnual Edition. [Online]
- CIPD (2018). People analytics: driving business performance with people data.
- Conference Board (2018). Scaling the Wall: From HR Metrics to Evidence-Based Analytics.
- Deloitte (2019). 2019 Global Human Capital Trends | Deloitte Insights.
- McKinsey (2017). The CEO’s guide to competing through HR.
- KPMG (2019). Future of HR 2020: Which path are you taking?.