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Le professionnel rh : véritable partenaire de direction ?

Les professionnels des ressources humaines sont aux premières loges des changements qui bouleversent le marché du travail. Au Québec comme ailleurs, ils portent les chapeaux de recruteurs de talents, d’agents de changement ou de conseillers en culture d’entreprise. Mais ces experts exercent-ils une influence réelle sur les décisions d’affaires?
10 octobre 2019

Par Louise Bouchard

Lors du rassemblement 2019 de l’Université de l’ANDRH, l’association française regroupant les professionnels des ressources humaines, il a été question du rôle du professionnel des ressources humaines dans les directions d’organisations.

Pourtant, dès 2014, l’Observatoire européen des politiques et pratiques de gestion des ressources humaines révélait que 9 entreprises comptant un directeur des ressources humaines sur 10 lui avaient fait une place dans leur comité de direction. On a constaté au cours des dernières années un phénomène similaire en Amérique du Nord : des organisations ont fait une place à un dirigeant RH sur leur conseil d’administration, particulièrement pour siéger au comité des ressources humaines et de la rémunération. Ce comité est souvent appelé à intervenir pour promouvoir la diversité et l’inclusion. « Dans les entreprises cotées en bourse, le travail de ce comité est très visible auprès des actionnaires et des agences de conseil en vote », souligne Louise Taylor Green, directrice générale de l’organisation canadienne Human Resources Professionals Association (HRPA).

Des responsables RH ont donc une place auprès de certaines instances décisionnelles. Mais quel y est leur poids réel?

Dans la balance de l’influence

Perry Timms, fondateur de la société-conseil People and Transformational HR (PTHR) au Royaume-Uni, a été désigné comme l’un des cinq penseurs les plus influents de la profession par le magazine HR. « Les professionnels RH ont des aspirations, des capacités reconnues, des convictions, mais le bilan de leur apport stratégique reste plutôt mitigé », explique-t-il. Certains professionnels RH demeurent prisonniers d’un carcan traditionnel qui limite leurs tâches et les empêche de déployer tout leur potentiel. Ces contraintes limitent leur impact à certains volets de la stratégie de l’entreprise. « Ils sont beaucoup plus impliqués dans le changement organisationnel, dans la sélection des dirigeants et dans l’enrichissement culturel que dans l’opérationnel », précise Perry Timms.

La fonction RH a donc évolué, au fil des gens qui la pratiquent. « C’est une question de posture, de dire que l’on travaille sur des projets stratégiques, sur des projets collectifs, sur la transformation de l’organisation plutôt que Internationalsur nos technicités, sur des salariés », avance Laurence Breton-Kuény, vice-présidente de l’ANDRH et directrice des ressources humaines du Groupe AFNOR.

« Apporter une contribution au sein des organisations demande d’être au cœur du business, de proposer des sujets de discussion qui ne sont pas à l’ordre du jour des gestionnaires, de rester au fait, d’être agile, de se projeter et de participer aux associations pour se tenir à jour », ajoute-t-elle. Il incomberait donc à chaque responsable RH de faire sa place stratégique et de gagner son influence au sein des comités de direction.

La désignation professionnelle constitue un atout important dans ces efforts. CRHA Nouveau-Brunswick vient d’en faire l’expérience en procédant à une offensive pour faire mieux connaître la profession et attirer des membres. « Depuis cinq ans, nous voyons dans les offres de postes stratégiques que les professionnels désignés CRHA sont de plus en plus favorisés », explique Luc Page, directeur général de CRHA Nouveau-Brunswick, qui regroupe 900 membres, dont 400 sont accrédités.

Faire une différence mesurable

Quand on lui demande quelle est la valeur ajoutée d’un professionnel RH, Perry Timms se rend à bout de souffle : « culture, objectifs, inspiration du leadership, direction et attractivité, camaraderie et esprit d’équipe, inclusion, valeurs, confiance, développement et coaching, bien-être et santé mentale… ». Tous ces éléments sont essentiels au développement et au succès des entreprises d’aujourd’hui. Mais le fait qu’ils soient difficilement mesurables constitue très probablement un handicap pour la reconnaissance de la contribution des professionnels RH.

D’où l’intérêt pour tout ce qui permet de documenter les interventions stratégiques avec des données quantifiables. C’est l’un des attraits de l’expérience employé (souvent appelée « expérience collaborateur » en Europe). L’approche permet une mesure qualitative et quantitative du vécu et du ressenti du salarié, y compris son engagement et son adhésion à la mission de l’entreprise, voire à son image de marque.

Cependant, cette façon d’appréhender la perspective de l’employé reste encore très minoritaire en France. L’édition 2019 du Baromètre de l’expérience collaborateur de l’agence Parlons RH montre que seulement un quart des entreprises ont mis cette approche en pratique.

L’expertise RH de demain : l’être humain au cœur de la transformation et de l’innovation

Les nouvelles générations voient le monde du travail à travers le prisme du relationnel, de l’économie de services, des mégadonnées. Tous ces éléments colorent déjà le tableau du professionnel RH, qui doit les intégrer dans une vision d’affaires globale. « Il faut s’intéresser à la dimension économique de l’entreprise, à ses activités et, surtout, à tous les métiers qu’elle pratique et à leur transformation », lance Laurence Breton-Kuény. C’est donc en tant que dépisteur et architecte d’équipe que le professionnel RH pourra contribuer à la transformation des organisations et à la gestion du changement. « Il doit travailler à la performance sociale, qui contribue à la performance économique », précise-t-elle.

Selon diverses études, au moins 10 à 15 pour cent des emplois actuels auront disparu en 2030, peut-être même avant. Les RH ont donc un rôle essentiel à jouer en tant que fonction transformatrice au sein des organisations. « Il faut avoir une vision prospective des compétences de demain », dit Laurence Breton-Kuény. « Nous devrons développer des outils de mesure et de modélisation pour nous assurer de demeurer présents dans les directions d’organisations, où les mesures numériques et financières sont très prisées. Cela nous permettra aussi d’augmenter et de documenter notre savoir-faire collectif », ajoute Perry Timms.

Louise Taylor Green croit qu’« une priorité des professionnels RH devrait être de bâtir chez tous les employés des compétences d’agilité et d’adaptabilité rapide. Nous devons les encourager à être curieux, leur inspirer la soif d’apprendre par eux-mêmes, notamment pour qu’ils se familiarisent avec les nouvelles technologies, parce que les entreprises auront du mal à recruter des travailleurs spécialisés ou déjà expérimentés dans ces technologies ».

Selon les experts consultés, le professionnel RH devra se positionner comme un architecte technique et social menant l’intelligence collective vers l’innovation et vers la mise en œuvre des nouveaux modes relationnels. Il ne s’intéressera plus seulement aux relations à l’intérieur de l’entreprise, mais aussi à celles qui unissent l’entreprise à ses partenaires externes : clients, actionnaires, etc. Son rôle de leader émergera s’il s’affirme comme un facilitateur de changement et un porteur de stratégies, tout en ayant l’être humain au centre de ses interventions.

« C’est dans l’ADN du professionnel RH de faire évoluer les cultures, les structures et surtout les capacités humaines », dit Perry Timms, qui donne deux exemples. D’abord, celui de Laszlo Bock, de Google, qui a attiré les meilleurs talents en leur offrant des incitatifs et en les aidant à se sentir valorisés. Ensuite, celui de la banque suédoise Handelsbanken : elle a pris racine dans les communautés locales et mise sur le développement de relations de confiance avec ses clients. Ce sont d’ailleurs les succursales de la banque qui prennent les décisions à l’échelle de la communauté. Cette approche « humain » plutôt que « produits » génère des résultats qui font l’envie des autres institutions financières.

Le professionnel RH de demain aura donc vraisemblablement trois têtes : une de gestionnaire de talents, une de conseiller et une d’accompagnateur dans le changement.


Source : Revue RH, volume 22, numéro 4, octobre/novembre/décembre 2019