Depuis les travaux de Dave Ulrich dans les années 80, le rôle de partenaire stratégique est mis de l’avant comme étant incontournable pour que les actions posées par les responsables RH contribuent à la performance de l’entreprise. Où en est-on plus de 30 ans plus tard, alors que les besoins en RH sont de plus en plus manifestes?
Pour répondre à cette question, nous avons mené une enquête sur la valeur ajoutée des services RH (SRH). Or, les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur du potentiel de valeur des SRH : la participation des responsables RH à la décision stratégique demeure limitée dans les PME interrogées, ce qui est confirmé par un usage modéré des pratiques RH et par une absence de mesure des résultats RH. Face à ce constat, important pour l’avenir de la profession, nous proposons un ensemble de recommandations concrètes visant à aider les responsables RH à exercer un rôle pleinement stratégique ainsi qu’à les soutenir dans la valorisation des actions mises en place par le SRH.
Portrait de la réalité des responsables RH en PME
Nous avons mené notre enquête de février à novembre 2018 auprès de 260 responsables RH, membres de l’Ordre des CRHA, de PME québécoises. Nous avons invité ces responsables RH à répondre à un questionnaire portant sur l’importance qu’ils accordent aux pratiques RH, la fréquence à laquelle ils les utilisent, les facteurs qui facilitent et contraignent leur mise en œuvre ainsi que le recours ou non à des indicateurs pour en mesurer l’efficacité ou l’efficience. Nous avons évalué la mobilisation stratégique des responsables RH dans leur organisation dans l’optique de caractériser la dimension stratégique du SRH. Nous avons ensuite soumis les résultats du sondage à deux groupes de discussion constitués de 36 membres CRHA afin de connaître leurs réactions et recommandations.
Les résultats laissent, en premier lieu, transparaître le fait que les responsables RH perçoivent l’importance des pratiques RH davantage qu’ils ne peuvent les utiliser véritablement. Les pratiques qui sont majoritairement utilisées sont les suivantes : offrir des conditions de travail saines et sécuritaires ; vérifier l’adéquation entre les individus, les postes et l’organisation ; offrir des conditions d’emploi intéressantes (stabilité d’emploi, avantages sociaux complets et variés). Les autres pratiques, telles que le développement des compétences ou celles liées à l’autonomie des employés, sont plus difficilement mises en œuvre. En deuxième lieu, les responsables RH n’ont que très peu recours à la mesure : plus de la moitié d’entre eux n’ont pas d’indicateur pour l’une ou l’autre des pratiques RH. Plus préoccupant encore, lorsqu’ils disposent d’indicateurs, ceux-ci ne sont utilisés que dans une faible proportion dans la prise de décision. Si 16 % des répondants prennent des décisions en matière de rétention sur la base d’indicateurs d’efficacité, le taux d’utilisation des indicateurs d’efficience et d’efficacité est inférieur à 15 % pour tous les autres domaines RH.
Environ le quart des responsables RH est concerné dans les activités stratégiques de leur organisation. À titre d’exemple, seulement 23 % interviennent dans la rédaction des plans d’affaires et 37 % participent à la prise de décision. Cependant, les responsables RH s’estiment compétents (86 %), créatifs (82 %) et spécialisés dans leur domaine (84 %). Ils perçoivent leur contribution au fonctionnement des unités opérationnelles comme significative (85 %) et affirment fournir un soutien aux gestionnaires (91 %) qui permet de soutenir les objectifs opérationnels (81 %). S’ils ne participent pas aux décisions stratégiques, leur contribution est toutefois élevée lorsqu’il s’agit de les mettre en œuvre (47 %).
Or, les statistiques corrélationnelles de notre étude montrent que c’est quand la participation à la prise de décision stratégique est élevée qu’il y a davantage d’utilisation des pratiques RH, et que cette utilisation des pratiques RH est directement liée aux performances de l’entreprise. Exercer un rôle de partenaire stratégique est donc autant une priorité qu’une nécessité, et cela s’impose d’autant plus aux responsables RH de par son effet positif sur les performances organisationnelles.
Pourcentage des responsable RH qui se considèrent :
- compétents : 86 %
- créatifs : 82 %
- spécialisés dans leur domaine : 84 %
Demeurer des experts techniques tout en devenant plus stratégiques
Nos résultats suggèrent que les responsables RH se considèrent davantage comme des exécutants plutôt que comme des décideurs, confirmant ainsi l’orientation plus transactionnelle des SRH en PME. Le contexte propre aux PME (ressources plus modestes, impératif de générer des résultats à court terme, grande influence de l’entrepreneur), longtemps mis de l’avant pour expliquer la faible contribution des SRH dans les décisions stratégiques, n’est plus acceptable dans un contexte où les RH doivent jouer un rôle déterminant pour la survie des PME. Mais par où les responsables RH peuvent-ils commencer pour exercer le rôle stratégique que l’on attend d’eux depuis de nombreuses années?
Les participants aux groupes de discussion à qui nous avons soumis les résultats ci-dessus nous ont aidés à identifier des réponses à cette question. L’idée générale largement partagée dans ces groupes est que les CRHA doivent s’imposer auprès de la haute direction afin de prendre part aux décisions stratégiques et non attendre une invitation à participer à ces décisions. Pour ce faire, les responsables RH doivent développer leur capacité d’influence en allant au-delà de leurs compétences RH (voir la figure ci-contre).
Le développement des compétences d’affaires (p. ex. : maîtrise du plan stratégique, compréhension du marché dans lequel œuvre l’organisation, connaissances quant aux besoins des clients de l’organisation) devrait permettre aux responsables RH de contribuer plus directement au succès opérationnel des organisations par l’adoption d’un langage propre aux affaires et par une meilleure compréhension des environnements interne et externe.
Dans la même veine, il devient primordial que les responsables RH développent leurs habiletés politiques ainsi que leurs compétences relationnelles afin de faciliter le passage du technique au stratégique et de l’exécution à la décision. Ces compétences sont d’autant plus importantes qu’elles favorisent, selon plusieurs études, la mise en place des pratiques RH ainsi que les performances des PME.
Outre les formations visant à développer formellement ces compétences, les responsables RH peuvent également adopter de nouveaux comportements dans leur milieu de travail. Prendre connaissance du plan stratégique et des objectifs d’affaires est une première étape pour adopter une position plus centrale dans l’organisation. La compréhension et l’appropriation des objectifs organisationnels devraient permettre de décliner les enjeux et les défis organisationnels en activités RH, de manière à créer une harmonisation cohérente et durable entre les enjeux d’affaires et les préoccupations RH. Par exemple, une augmentation du roulement volontaire des employés clés engendre des coûts associés au départ et au remplacement de ces employés, mais peut aussi contrecarrer les visées de croissance de l’organisation. Cette mise en perspective des enjeux RH et organisationnels doit ainsi mener les responsables RH à élaborer un argumentaire permettant de démontrer l’efficacité des pratiques RH ou les dangers de ne pas mettre en œuvre d’autres pratiques RH, compte tenu des objectifs actuels de l’entreprise.
Dans le cas spécifique des PME, les responsables RH gagneraient à s’investir davantage au niveau opérationnel en accordant plus de temps auprès des gestionnaires et des employés. Cela permettrait de développer un langage commun à l’ensemble des parties prenantes de l’organisation, faciliterait le déploiement des pratiques RH et en renforcerait par le fait même la portée et la précision.
Pourcentage des responsables RH qui interviennent dans :
- la rédaction des plans d’affaires : 23 %
- la prise de décision finale : 37 %
Développer un réflexe de mesure des pratiques RH
Il importe que les responsables RH développent leurs compétences relatives aux indicateurs de mesure RH. De telles compétences permettent la création et l’utilisation d’indicateurs visant à évaluer tant l’efficience des pratiques RH que leur efficacité. Utiliser des indicateurs pour documenter ces deux aspects de la gestion des RH permettrait aux CRHA de se mettre au même niveau que les gestionnaires des autres fonctions de l’organisation.
Dans l’optique de gagner en visibilité et de renforcer leur crédibilité en tant que partenaires d’affaires, les responsables RH pourraient recourir à des indicateurs permettant d’expliquer les liens entre les actions RH et les objectifs d’affaires. Pour cela, les responsables RH doivent développer leur expertise en analytique RH. L’analytique exige non seulement de choisir des indicateurs RH, mais aussi de les analyser entre eux afin de documenter une « chaîne de valeur RH », soit les étapes qui permettent à la gestion des RH de contribuer à la performance organisationnelle. Par exemple, l’embauche d’employés orientés vers la satisfaction des clients (indicateurs de dotation) peut amener un ensemble de comportements positifs envers les clients (indicateurs de compétence et de performance individuelle), lesquels conduisent à la satisfaction et à la fidélisation des clients (indicateurs opérationnels) et à un chiffre d’affaires en croissance (indicateur financier). Les responsables RH qui arrivent à utiliser convenablement de tels indicateurs deviennent mieux placés pour faire valoir la contribution des actions RH au succès organisationnel.
Afin d’aider les responsables RH dans le choix des indicateurs, il peut être judicieux d’utiliser quelques indicateurs clés standardisés (p. ex. : durée de la dotation, taux de succès des embauches, niveau de transfert des compétences, niveau de performance des recrues) afin de développer une culture de reddition de comptes tout en permettant de s’adonner à la comparaison de certains résultats RH entre PME d’un même secteur d’activité (p. ex. : taux de roulement, taux d’absentéisme, niveau de mobilisation). Cependant, si l’étape de l’usage d’indicateurs standards peut être considérée comme la porte d’entrée de la mesure, les responsables RH doivent contextualiser les indicateurs en fonction des enjeux d’affaires spécifiques de leur organisation et relier ces indicateurs aux performances de l’entreprise.
Comme les pratiques RH sont tributaires des diverses parties prenantes de l’organisation (les gestionnaires participent généralement à la dotation des effectifs, à leur évaluation de performance, aux décisions de rémunération), il peut être judicieux d’inclure celles-ci dans le choix des indicateurs, de manière à ce que ces derniers reflètent au mieux la réalité opérationnelle et soient perçus comme utiles. Ce faisant, les responsables RH auraient un argumentaire quantitatif solide qui faciliterait la persuasion des autres parties prenantes.
D’une prise de conscience au passage à l’action
Les résultats de l’enquête que nous avons menée offrent donc plusieurs avenues pour faire évoluer la profession de façon à ce que les responsables RH puissent donner aux SRH l’envergure qu’ils méritent pleinement d’avoir au sein des organisations. Il appartient désormais aux responsables RH de déployer les efforts ciblés qui leur permettront de faire reconnaître l’utilité et l’impact de leurs actions, pour finalement pouvoir participer aux prises de décisions stratégiques.