ressources / revue-rh / volume-22-no-4

Réfléchir autrement : le futur des RH passera par les intrapreneurs

Les intrapreneurs savent que l’expertise, l’expérience et le savoir ne suffisent pas à garantir le succès d’une entreprise. Sans doute y a-t-il là une opportunité à saisir par la fonction RH de penser et d’agir différemment pour enrichir à la fois ses repères quant à l’intelligence émotionnelle et son influence intrapreneuriale.

10 octobre 2019
Nadine Beaupré

Selon le Forum économique mondial, d’ici 2022, l’intelligence émotionnelle sera l’une des dix compétences les plus recherchées par les employeurs. Le stress, qualifié de « mal-être du 21e siècle », alimente le syndrome du FOMO (Fear of missing out) qui provoque à son tour plusieurs malaises sur les plans physique et psychique. La quête de sens au travail s’écorche au passage du statu quo organisationnel, lit-on dans l’article « Pour se transformer, l’entreprise doit commencer par revoir ses schémas mentaux » publié dans Harvard Business Review France.

Qu’est-ce qu’un intrapreneur?

Dans l’article « Intra-Corporate Entrepreneurship », coécrit et publié en 1978 par l’Américain Gifford Pinchot III et sa conjointe Elizabeth, le terme intrapreneur désignait une personne « qui arrive à transformer une idée innovante en une activité économique rentable pour une entreprise ».

En 1985, M. Pinchot publia le livre Intrapreneuring et Steve Jobs confia, dans un article publié dans Newsweek le 29 septembre de cette même année, que « l’équipe Macintosh avait réalisé ce que l’on appelle communément de l’intrapreneuriat ». Un an auparavant, Richard Branson, qui était à la tête de la maison de disques Virgin, autorisa quelques membres de la direction à lancer une compagnie aérienne, ce qui n’avait rien à voir avec la mission de l’entreprise. Aujourd’hui, Virgin Group détient plus de 400 entreprises à travers le monde.

En résumé, l’intrapreneuriat se définit comme « la mise en oeuvre d’une innovation par un employé, un groupe d’employés ou tout individu [qui se comporte en entrepreneur tout en] travaillant sous le contrôle de l’entreprise » et qui génère de nouvelles sources de valeur pour l’organisation (Carrier, 1997).

Intraprendre la gestion des RH : pourquoi pas?

La gestion des ressources humaines (GRH) a pris naissance avec la publication en 1919 du livre Industrial Goodwill de l’économiste américain John R. Commons, qui a oeuvré dans les domaines de la syndicalisation et de la législation du travail (Broda, 2015).

Plusieurs raisons expliquent pourquoi la GRH tarde à prendre des risques et à se positionner comme joueur clé influent, à commencer par la transformation de la GRH en tant que telle, qui est, disons-le franchement, un défi en soi. Des raisons telles que le fait de remettre en cause les schémas mentaux qui alimentent la culture organisationnelle, le mode de recrutement traditionnel et la gestion classique de la carrière et de la mobilité interne.

La GRH est appelée à donner l’exemple, à avoir un discours cohérent et transparent. À devenir intrapreneuriale!

Dans son article « La génération “C” sera entrepreneuriale » publié dans Les Affaires en 2015, Valérie Lesage écrit que les milléniaux, qui inondent le marché du travail, et les membres de la future génération Z ou C, qui sont actuellement âgés de 12 à 24 ans, perçoivent leur travail comme un milieu de vie. Les chercheurs du CEFRIO les représentent par les 4 C (communication, collaboration, créativité et connexion). Sans compter que, selon les résultats d’un sondage mené par l’agence publicitaire Sparks & Honey, 72 % de ces jeunes ont un fort désir entrepreneurial.

Sachant que le marché de l’emploi se transforme à la vitesse grand V, saurez-vous saisir l’opportunité qui se présente à vous afin d’accueillir ces futurs intrapreneurs dans vos rangs?

Quelques entreprises valorisant l’intrapreneuriat :

  • 3M
  • Apple
  • DreamWorks
  • Facebook
  • GE
  • Google
  • Hilton
  • LinkedIn
  • Nestlé
  • Sony

L’effectuation et l’intelligence émotionnelle comme leviers

D’un point de vue RH, il est essentiel de développer la « start-up attitude » et de s’appuyer sur un modèle d’affaires différent, du type innovation de rupture!

L’état d’esprit d’un intrapreneur ne fonctionne pas avec un mode de pensée causal, mais fait plutôt appel à un mode de pensée effectual, mieux connu sous le nom d’effectuation, à savoir : l’intrapreneur part d’un ensemble de ressources et de moyens disponibles pour construire des objectifs possibles, et non l’inverse.

Saras Sarasvathy, chercheuse d’origine indienne et élève du prix Nobel d’économie Herbert Simon, a mis au point un protocole en cinq principes qu’elle nomme l’effectuation et qui inverse la stratégie causale classique qu’on nous enseigne depuis toujours. En résumé, ces principes sont :

  1. Débuter avec ce que vous avez. Que puis-je faire à partir de ce que j’ai?
  2. Raisonner en termes de perte acceptable. Qu’est-ce que j’accepte de perdre pour réussir?
  3. Obtenir des engagements. Avec qui vais-je construire mon projet?
  4. Tirer parti des surprises. Accepter les surprises. Elles font partie du processus de création!
  5. Créer le contexte. Dans la mesure où nous pouvons contrôler l’avenir, nous n’avons plus besoin de le prévoir.

72 % des membres de la Génération Z (24 ans et moins) ont un fort désir entrepreneurial.

Les trois ressources de l’intrapreneur

Selon Philippe Silberzahn, professeur associé à EM Lyon Business School et chercheur associé à l’École polytechnique (Palaiseau, France), les intrapreneurs agissent comme le ferait un entrepreneur en utilisant trois types de ressources, illustrées ici par les trois questions qui suivent.

  1. Qui suis-je?

    La personnalité de l’intrapreneur influencera l’orientation du projet dans une direction plutôt qu’une autre puisque le point de départ d’un projet n’est pas une idée, mais la personne.

    > Le point de départ, c’est vous.

    C’est pourquoi il est essentiel pour un intrapreneur de bien se connaître et de s’appuyer sur les cinq échelles et les quinze aptitudes de l’intelligence émotionnelle, telles qu’illustrées ci-dessous dans le modèle de Bar-On. (Figure 1 ci-dessous)

  2. Qu’est-ce que je connais?

    Même sans avoir reçu une éducation formelle, toute personne possède un inventaire de connaissances et d’aptitudes spécifiques qui est très riche.

    > Vous + déclencheur = idée Idée + action = opportunité

    Nul besoin de trouver une grande idée. Souvent, les idées sont simples, très personnelles, mais sans valeur si vous ne passez pas à l’action. Le gros bon sens, quoi! Analyser moins et agir pour penser est la devise. L’opportunité n’attend pas d’être découverte et elle se matérialisera à la suite d’un événement vécu, d’une rencontre fortuite, d’un problème à résoudre, etc.

  3. Qui peut m’aider?

    Nul besoin d’essayer de deviner l’avenir. Il se construira avec des parties prenantes qui seront engagées à fournir des ressources. Ce cercle de relations ne se limitera pas à un réseau statique. C’est le développement d’interactions dynamiques qui constituera et influencera progressivement la force d’un réseau, à l’interne et à l’externe.

    > Opportunité + engagement des parties prenantes = projet viable

    La viabilité d’un projet s’exprimera à travers une danse entre les ressources et les contraintes pour lui permettre de devenir une réalité sociale. C’est la tendance à vouloir contrôler l’évolution de son environnement, plutôt que prédire l’avenir, qui sera le gage du succès.

Conclusion

Au final, le futur du travail de la GRH passera par les nouvelles générations d’intrapreneurs, qui manient aussi bien la technologie, l’effectuation et les quinze aptitudes de l’intelligence émotionnelle pour encourager l’entreprise à transformer ses schémas mentaux et à adopter des comportements que l’on dit modernes.

 

Références bibliographiques


Nadine Beaupré

Source : Revue RH, volume 22, numéro 4, octobre/novembre/décembre 2019.