En 2006, la firme française Sodexo a fait de la diversité un axe stratégique et une priorité organisationnelle. « Elle a investi des milliers d’heures de formation, elle a créé des programmes voués à l’inclusion et, surtout, elle s’est donné des objectifs chiffrés, explique Vincent Calvez, professeur de gestion à l’École supérieure des sciences commerciales d’Angers. Pourtant, deux ans plus tard, une enquête indépendante démontrait que seulement 40 % des employés percevaient cette démarche de manière positive. »
Depuis, Sodexo a su rallier ses employés à la cause et l’entreprise a raflé plusieurs prix de diversité. Mais son exemple montre deux choses. D’abord, engager une organisation dans un projet d’inclusion est un travail de longue haleine. Ensuite, les cadres intermédiaires, qui sont en contact quotidien avec les employés, ont un rôle crucial pour intégrer et faire fructifier la diversité dans l’organisation, de sorte que tous les efforts doivent être mis pour développer leurs compétences à cet égard.
Sodexo en chiffres :
- Fondée en 1966
- Implantée dans 80 pays
- Emploie 427 000 personnes
- Dessert 100 000 000 de consommateurs
Voici quelques pistes pour former une équipe de gestionnaires inclusifs, ouverts et performants.
Développer des compétences « interculturelles »
Dans ses formations sur la diversité culturelle, Brigitte Lavallée, CRHA, consultante en diversité et inclusion, cherche à développer l’empathie en guidant les participants dans un exercice où ils doivent s’imaginer devoir quitter le Québec, déménager avec toute leur famille, repartir à zéro et surmonter de nombreux obstacles.
« L’empathie est une qualité extrêmement importante à développer dans un contexte de gestion de la diversité, explique-t-elle. Pour y parvenir, il faut pouvoir marcher dans les chaussures de l’autre. »
Une autre façon de développer son empathie envers les employés marginalisés est d’acquérir des connaissances de base sur leur réalité. « La recherche nous montre qu’on aborde le travail de manière différente selon les pays et les cultures, dit Johanne St-Onge, CRHA, présidente fondatrice du cabinet-conseil RHRE. Par exemple, le rapport au temps et à la hiérarchie peut être différent d’un pays et d’une culture à l’autre. » D’où l’utilité des formations visant à initier les gestionnaires aux différences de culture et de genres ou à la réalité des personnes en situation de handicap.
Les gestionnaires doivent aussi apprendre à se connaître eux-mêmes. « C’est un des aspects du coaching individuel, explique Johanne St-Onge. Un gestionnaire doit avoir pleinement conscience de ses propres attentes s’il veut parvenir à bien les expliquer à ses employés. »
Ensuite, les gestionnaires qui désirent développer leurs compétences en gestion de la diversité devraient songer à un volet communication. « La communication est un élément essentiel dans la gestion de la diversité, rappelle Vincent Calvez. L’échange et le dialogue permettent de mettre en place un lien de confiance entre la hiérarchie et son personnel. Ils permettent aussi de désamorcer les tensions naissantes et de minimiser les conflits. »
Pour bien développer les compétences en gestion de la diversité, mieux vaut diversifier les moyens et les outils pédagogiques. « On sait que les individus n’apprennent pas tous de la même façon, note Brigitte Lavallée. Certains ont un esprit analytique. D’autres apprennent mieux par l’observation, par des études de cas ou encore par essai-erreur. »
Comment vaincre la résistance
Quand une entreprise s’engage dans une démarche de diversité et d’inclusion, de nombreuses préoccupations remontent à la surface. Brigitte Lavallée le constate sur le terrain. « Certains gestionnaires me disent : à Rome, on fait comme les Romains. Ce propos sous-entend que les immigrants devraient s’intégrer en adoptant les façons de faire dans l’organisation. Or, pratiquer l’inclusion exige d’être soi-même disposé à se remettre en question, à écouter et à s’enrichir par la diversité des points de vue. »
À la lumière de ses recherches, Tania Saba, CRHA, professeure titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance de l’Université de Montréal, constate, elle aussi, qu’il reste beaucoup de chemin à faire. « Lorsqu’on regarde la représentation démographique des équipes de gestion, on est loin d’y voir une représentation proportionnelle des immigrants, des femmes, des personnes en situation de handicap et des autochtones », dit-elle.
La professeure note que les organisations qui réussissent le mieux leur démarche d’inclusion sont celles dont la direction fait preuve d’un leadership sans équivoque.
Elle cite l’exemple du président sortant de VIA Rail, Yves Desjardins-Siciliano, alors qu’il voulait obtenir la parité dans son équipe de gestion qui comptait seulement 11 % de femmes. « Comme je n’avais pas le temps de convaincre tout le monde, a-t-il raconté lors d’une conférence à laquelle participait Tania Saba, j’ai décrété que dorénavant, pour tous les postes de direction, on devrait avoir un homme et une femme comme candidats finaux. Et si la femme n’était pas choisie, on devrait m’expliquer pourquoi l’homme était le meilleur candidat. »
Apprendre à corriger ses biais
En contexte de diversité, explique Brigitte Lavallée, l’être humain tire parfois des conclusions basées sur ses biais et ses préjugés. Par exemple, il a tendance à interpréter des situations conflictuelles entre individus par leur différence culturelle, d’âge ou de genre alors qu’il s’agit peut-être simplement d’une différence de personnalité sans égard au groupe identitaire.
« Je propose d’amener les gestionnaires à traiter chaque employé comme une personne unique, plutôt que de le voir à travers les caractéristiques de son groupe identitaire », explique la consultante.
Elle fait d’ailleurs une mise au point : « Les gestionnaires ont souvent le souci de traiter tout le monde également pour ne pas créer d’injustice. Or, en contexte de diversité, ce qui prime est l’équité, soit offrir à tous les mêmes chances d’accès à un environnement de travail favorable, à des promotions et à des formations. »
Un modèle de gestion participatif pour favoriser l’inclusion?
Les gestionnaires ne peuvent pas se contenter de développer leurs compétences « interpersonnelles » pour mieux gérer la diversité sur une base individuelle. Ils doivent aussi démontrer du leadership sur le plan organisationnel en s’initiant à des pratiques de gestion innovantes susceptibles de mieux répondre à la réalité d’une équipe de travail plurielle.
Une de ces pratiques vise un mode de gestion axé sur la participation des employés au processus décisionnel. « Dans une philosophie d’inclusion, une entreprise doit être prête à écouter ce que ses employés ont à dire », explique Brigitte Lavallée. Elle propose la mise en place de comités consultatifs où les employés peuvent exprimer leurs préoccupations, tout en participant à trouver des solutions.
Vincent Calvez renchérit, citant un cas qu’il utilise en cours : « Pour que la diversité fonctionne, collabore et avance sans crise, une firme française a opté pour ce qu’on appelle le smart working. En clair, il s’agit de laisser une liberté d’organisation et d’horaires aux collaborateurs, tout en les responsabilisant sur les objectifs à atteindre et le travail à faire, et en les rapprochant par un lieu commun de travail. » Ce modèle collaboratif n’est pas toujours possible, mais il suggère une voie à suivre. Johanne St-Onge propose l’image d’un arbre : « C’est important d’avoir un tronc commun, mais il faut aussi savoir laisser les branches de l’arbre s’étendre. Les gens doivent pouvoir exprimer leur diversité. C’est le défi d’une société qui a choisi un modèle d’intégration interculturelle. »