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Cas pratique : les enjeux humains au cœur de la 4e révolution industrielle

Nous sommes entrés dans l’ère de la 4e révolution industrielle, et la technologie est de plus en plus utilisée pour augmenter la productivité des organisations. Cette révolution numérique peut créer des ondes de choc, mais elle offre aussi des opportunités. Ce cas pratique montre bien les rouages de cette transformation industrielle.

1 novembre 2017

Nous sommes en plein cœur de ce que nous appelons la « 4e révolution industrielle ». Caractérisée par l’avènement de technologies telles que l’Internet des objets (IdO), les usines intelligentes, l’automatisation, la robotisation, l’infonuagique et les métadonnées, cette révolution bouleverse le monde du travail et les usines d’ici et d’ailleurs. Le travail se transforme, les emplois se réinventent, les nouvelles compétences se multiplient.

Les usines manufacturières doivent innover afin d’améliorer leur productivité et demeurer concurrentielles. C’est avec cet objectif que Stelpro se transforme graduellement en un manufacturier innovant. L’usine, située à Saint-Bruno et comptant 450 employés, a pris le virage 4.0 en mai dernier à l’aide des technologies d’usine intelligente de Worximity et de l’implantation de robots dans son environnement de production. Un virage tout naturel pour la compagnie, mais un virage qui n’est certes pas sans effet sur la main-d’œuvre. Comme nous en ferons la démonstration dans le cas qui suit, les enjeux humains sont au cœur de la 4e révolution industrielle et sont considérés comme un facteur clé de succès.

L’importance d’une saine gestion du changement

Devenir une usine intelligente modifie les façons de travailler. En premier lieu, des capteurs intelligents ont été installés sur certains équipements de production afin de collecter les données de production en temps réel. Les employés ont par le fait même vu apparaître des iPad et des écrans numériques sur les planchers de production. Ces outils permettent aux employés de visualiser les données de production en temps réel par le biais de l’application TileBoard, qui consiste en un tableau de bord présentant les indicateurs clés de performance. Ces changements n’ont pas été une surprise pour les employés de Stelpro, qui ont été impliqués dans le projet dès le début, ce qui en a garanti l’adoption rapide. L’implantation de ces technologies a entraîné d’importants changements chez Stelpro. Explication, communication, écoute et collaboration furent les mots d’ordre dans l’usine de production. Une présentation du projet au comité des relations de travail a été réalisée, puis une communication transparente et fréquente a par la suite été maintenue avec les employés.

Une fois la technologie accessible en milieu de travail, l’équipe de gestion de projets a initié la formation des employés touchés par le changement, soit les superviseurs et les opérateurs de production. Un chargé de projets en amélioration continue a aussi été attitré à cette initiative d’envergure, et ce dernier est devenu le champion interne, c’est-à-dire l’expert de l’application et la référence pour toutes les équipes de travail.

1ère révolution industrielle : production mécanisée, alimentée par la machine à vapeur

2e révolution industrielle : production de masse, alimentée par l’électricité et le pétrole

3e révolution industrielle : production automatisée, soutenue par l’électronique et les technologies de l’information

4e révolution industrielle : numérisation, réseaux de données, systèmes cyber-physiques, internet des objets

Bien que toutes ces précautions aient été prises, certaines préoccupations partagées par une faible proportion d’employés subsistaient. Les gestionnaires de l’usine ont discuté avec ces employés afin de s’assurer qu’ils comprenaient bien les motifs d’implantation des nouvelles technologies. Évidemment, ces changements ont pour objectif d’améliorer la productivité des usines manufacturières, en offrant la possibilité de voir en temps réel les indicateurs clés de performance. Ils ne visent pas à surveiller la performance des employés individuellement, mais bien celle de l’ensemble du milieu de travail, permettant de trouver en équipe des pistes d’amélioration très concrètes. Lorsque les employés ont compris l’utilité de ces technologies, l’adhésion au changement s’est faite plus facilement. À titre d’exemple, l’équipe qui produit les câbles chauffants utilise maintenant les indicateurs en temps réel pour dépasser ses propres objectifs, prendre le contrôle de sa journée de production et célébrer les succès, ce qui est très mobilisateur pour les équipes de travail.

Une nouvelle technologie intégrée dans une usine, comme celle qu’a intégrée Stelpro pour le suivi de la production, peut engendrer des inquiétudes chez certains employés, et il devient impératif de bien répondre à celles-ci. Comme nous l’indique Bareil (2012) : « Se préoccuper des inquiétudes du destinataire constitue une stratégie de changement fort efficace qui, dans plusieurs cas, a fait la différence entre le succès et l’échec d’un changement. » Devant pareils sentiments d’incertitude, les gestionnaires de Stelpro ont rapidement pris le temps d’écouter les employés affectés par le changement et les ont questionnés. Ces discussions ouvertes entre la direction et les employés de l’usine montérégienne ont permis d’identifier certaines interventions ou modifications à apporter pour prévenir certains comportements de résistance. « Nous prenons le temps d’expliquer aux employés les objectifs par l’implantation de ces outils. Nous échangeons fréquemment avec eux pour savoir ce qu’on peut faire pour les aider à s’améliorer », explique Christian Fortin, directeur de la qualité et de l’amélioration continue chez Stelpro.

Nouvelles compétences recherchées

En plus de la gestion du changement qui devient critique lors de l’implantation de nouvelles technologies, les compétences nécessaires en emploi se transforment. La main-d’œuvre 4.0 devient dès lors experte de l’Internet des objets, de la science des données, de la programmation, de l’intelligence artificielle, de la robotique et de l’automatisation, pour ne nommer que ceux-ci (Chambre de commerce du Montréal métropolitain, 2017). Nul doute que les talents et compétences issus des domaines des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques seront en demande plus que jamais. À ce sujet, le rapport publié par le Forum économique mondial intitulé The Future of Jobs (2016) nous informe que 65 % des enfants qui fréquentent aujourd’hui l’école primaire occuperont dans le futur des emplois qui n’existent pas encore. Selon le même rapport, plus du tiers des compétences qui seront requises dans les emplois du futur ne sont pas considérées comme étant nécessaires à l’heure actuelle. Les tâches se complexifient, un besoin d’innovation se fait sentir et les connaissances informatiques deviennent incontournables. La capacité d’innovation, la résolution de problèmes complexes, l’analyse de données, la sécurité des actifs informationnels et la capacité d’adaptation sont des exemples de compétences qui gagnent en importance.

Ces nouveaux domaines d’expertise amènent des défis de gestion des ressources humaines. Dans cette mouvance, la gestion stratégique des compétences devient essentielle selon Hecklau et al. (2016). Cette fonction devra combler l’écart entre les compétences actuelles et futures, écart qui ne cesse de croître avec l’arrivée de nouvelles technologies. L’embauche de nouveaux talents ne peut être l’unique solution pour le besoin de compétences vécu par les manufacturiers, alors que le développement de la main-d’œuvre déjà en poste doit devenir une priorité. Dans un rapport publié en 2015 par le Manufacturing Institute et Deloitte, des manufacturiers américains insistent sur l’importance de miser sur la formation interne et les programmes de développement professionnel. Ces derniers proposent également la création de systèmes intégrés de formation, soit différentes pratiques qui viendraient bonifier les formations internes formelles. Pensons ici au partage de connaissances entre pairs, au coaching et au mentorat, à la formation informelle, au suivi de performance régulier ainsi qu’à l’autoapprentissage, entre autres.

Pour Stelpro, le mot d’ordre est sans équivoque : les changements implantés ne doivent pas engendrer de pertes d’emploi. À cette fin, la compagnie mise sur la progression à l’interne et offre différentes possibilités d’avancement au sein de l’organisation. Lorsqu’une technologie est implantée, de la formation interne est offerte à l’employé affecté par le changement s’il a le minimum de compétences requises. Dans le cas contraire, l’employé est relocalisé pour permettre de répondre aux besoins présents dans d’autres secteurs de l’usine. Des formations internes et externes sont aussi offertes afin de permettre aux employés d’évoluer au sein de la compagnie. Par exemple, les électromécaniciens de l’usine seront appelés à recevoir des formations externes en automatisation afin d’œuvrer avec les nouveaux équipements et de s’adapter aux demandes du milieu. D’ailleurs, Stelpro caresse le rêve de développer une école au sein même de la compagnie afin de former la relève de demain.

La capacité d’attraction est aussi un enjeu de grande importance pour les entreprises manufacturières. Celles-ci ont pour objectif de recruter de la main-d’œuvre hautement spécialisée tout en faisant concurrence à des compagnies technologiques très en vues chez la jeune génération (Chambre de commerce du Montréal métropolitain, 2017). La concurrence est en effet très présente, voire féroce, entre employeurs. Dorénavant, c’est contre les entreprises technologiques que devront se vendre les entreprises manufacturières perçues comme étant plus traditionnelles. Ces deux secteurs d’activité rechercheront des profils similaires, soit une expertise de pointe en technologie, en ingénierie et en programmation. Chez nos voisins américains, certains grands manufacturiers tels que Schneider Electric ouvrent maintenant des bureaux en plein coeur des pôles technologiques que sont Boston et Silicon Valley. Ils s’installent ainsi aux côtés des firmes technologiques afin d’accélérer l’apprentissage organisationnel et d’attirer davantage de main-d’œuvre issue des domaines recherchés (Porter and Heppelmann, 2015). Dans ce milieu concurrentiel, les entreprises manufacturières d’ici doivent absolument se moderniser, devenir attrayantes auprès des candidats et assurer une expérience candidat à la hauteur des attentes de la relève.

La main-d’œuvre spécialisée prisée par les manufacturiers innovants se fait rare. Face à cette réalité, une collaboration entre les institutions d’enseignement et les entreprises manufacturières devient de plus en plus nécessaire afin d’arrimer les formations générales aux réels besoins des entreprises (Forum économique mondial, 2016). Les cégeps et les universités sont des lieux d’innovation notoires, qui gagnent à être pleinement utilisés afin de mieux répondre aux besoins du secteur manufacturier. Les gouvernements et les entreprises devront travailler main dans la main afin de planifier les besoins en main-d’œuvre de demain. Le Forum économique mondial affirme d’ailleurs (The Future of Jobs, 2016) que les différents paliers de gouvernement devront faire de la stratégie en matière d’emploi une priorité.

C’est dans cette optique que Stelpro participe, avec d’autres acteurs du milieu de la tôlerie, à une table de concertation orientée vers la future main-d’œuvre. Différentes pratiques sont mises de l’avant afin de rencontrer et de préparer la relève. Stelpro est présent dans le milieu académique, notamment par l’entremise de son programme d’accueil de stagiaires. Des journées portes ouvertes pour différents programmes d’études sont également organisées, et Stelpro souhaite participer à la mise en place de programmes d’alternance stages-études en tôlerie de précision. Les travailleurs de la relève sont embauchés et accueillis par Stelpro très tôt dans leur parcours et, en adéquation avec le programme de formation à l’interne, il est à parier que les jeunes recrues seront suffisamment encadrées pour gagner en expérience rapidement.

L’employé est au coeur des décisions prises chez Stelpro et plusieurs initiatives sont mises en place pour assurer son bien-être. Pensons à une flexibilité des horaires, à un environnement de travail moderne et détendu incluant un lounge, des tables de jeu, des appareils d’entraînement, ainsi qu’à l’organisation d’activités sportives et sociales. De telles pratiques, parfois moins répandues dans le secteur manufacturier, sont très appréciées des employés chez Stelpro. La gestion des ressources humaines doit elle aussi se réinventer à l’ère 4.0, devenir agile et s’adapter à la nouvelle main-d’œuvre.

Main-d’œuvre du futur

Selon Christian Fortin, directeur de la qualité et de l’amélioration continue chez Stelpro, les technologies seront implantées de plus en plus facilement dans les entreprises manufacturières. « Une tablette sur le plancher de production ne sera plus une surprise, mais plutôt une nécessité », explique M. Fortin. Comme l’innovation se poursuivra dans les prochaines années et que l’utilisation des technologies sera en croissance, il importe de penser aux façons de s’adapter et de se transformer. Anticiper les changements et rester informé sur les technologies à venir deviennent nécessaires pour les acteurs organisationnels. Investir dans le développement des employés déjà en poste et miser sur la relève et le dynamisme des jeunes diplômés lors de l’embauche semblent être des pratiques gagnantes, telles qu’observées chez Stelpro.

Conclusion

En résumé, les changements qu’apporte la 4e révolution industrielle sont bien présents et ont des effets sur les talents du secteur manufacturier. En prenant le virage 4.0, les entreprises d’ici et d’ailleurs font le choix de devenir plus productives et de rester compétitives dans un marché où la concurrence est forte. Elles doivent aussi faire le choix de travailler activement avec leurs employés pour mener à bien ces projets. Quelle que soit la technologie qui est implantée dans une usine, c’est l’humain qui exécutera le changement et qui fera du projet une réussite. C’est aussi l’humain qui se mobilisera autour de l’objectif partagé d’améliorer la productivité. « L’organisation ne change pas tant que ceux qui la composent ne changent pas » (Bareil, 2012).

Chez Stelpro, l’implantation de robots et de technologies d’usine intelligente rend l’avenir très prometteur. Les travailleurs sont en plein cœur des changements et se sont investis dans le virage 4.0. Les employés de l’usine de Saint-Bruno ont la possibilité de se développer, de progresser et de devenir la main-d’œuvre du futur. Les technologies de Worximity leur permettent de voir en temps réel leur performance collective, et leur donnent ainsi le pouvoir de changer le cours de leur journée de production. La 4e révolution industrielle est à nos portes et les professionnels de la gestion des ressources humaines doivent être innovateurs et créatifs dans leurs projets. Conseillers en ressources humaines agréés, prenons nous aussi, le virage 4.0!


Références bibliographiques

  • World Economic Forum (2016). The Future of Jobs. Employment, Skills and Workforce Strategy for the Fourth Industrial Revolution.
  • BAREIL, Céline (2012). Gérer le volet humain du changement. Montréal, Les Éditions Transcontinental, 213 pages.
  • Chambre de commerce du Montréal métropolitain (2017). Des talents pour le manufacturier innovant. Enjeux de main-d’œuvre dans le secteur manufacturier et bonnes pratiques.
  • HECKLAU, Fabian et al. (2016). Holistic Approach for Human Resource Management in Industry 4.0  Procedia CIRP, vol. 54, p. 1-6.
  • The Manufacturing Institute et Deloitte (2015). The Skills Gap in US Manufacturing. 2015 and Beyond.
  • PORTER, Michael E. et James E. Heppelmann (2015, octobre). How Smart, Connected Products Are Transforming Companies, Harvard Business Review, vol. 93, no 10, p. 96.

Source : Revue RH, volume 20, numéro 4, novembre/décembre 2017