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Nouveaux rôles RH : se réinventer en créant une expérience employé convaincante

Le service des ressources humaines doit créer sa propre « nouvelle normalité » en se concentrant sur la création d’expériences mémorables pour l’employé. Trois nouveaux rôles RH.

26 août 2016
Jeanne C. Meister

Quelle sera la nouvelle norme de recrutement, d’embauche et de formation des employés? Il y a sept ans, McKinsey a inventé l’expression « nouvelle normalité », faisant référence aux changements fondamentaux dans le monde des affaires à la suite de la grande récession de 2008. Qu’en est-il aujourd’hui? Comment l’évolution de la société et de l’économie tout comme les avancées technologiques influencent-elles la gestion? Plus précisément, comment le rôle des professionnels RH s’en trouve-t-il modifié? Voici quelques pistes.

Le service des ressources humaines doit créer sa propre « nouvelle normalité » en se concentrant sur la création d’expériences mémorables pour l’employé. Cela va de la conception d’espaces collaboratifs jusqu’aux technologies intelligentes accessibles aux employés dans leur milieu de travail.

Des organisations de tout type, passant de GE Digital à IBM et Forrester, ont fait en sorte que leur service RH suive, voire devance l’évolution de l’organisation et des employés. Comment? En élaborant notamment une nouvelle proposition de valeur organisationnelle pour les travailleurs et en intégrant une approche client dans les solutions RH proposées. Pour le service RH, cette nouvelle approche implique d’intégrer l’analyse de données, d’adopter une démarche conceptuelle et de tirer avantage d’une foule d’outils et de méthodologies logicielles flexibles.

Comment les entreprises s’y prennent-elles pour créer véritablement une expérience dans le milieu de travail? La réponse : les services RH avant-gardistes se donnent de nouveaux rôles afin de gérer cette initiative. Voici trois nouveaux rôles RH en cours de création dans trois entreprises, qui témoignent de la transformation profonde effectuée par ces équipes RH afin de contribuer à la création de valeur pour leur organisation.

Premier rôle : chef de mêlée au recrutement

Au rugby, la mêlée ou scrum se réfère à un procédé de redémarrage d’un jeu, où les joueurs se regroupent en bloc face à face, la tête en bas et tentent de prendre possession du ballon. De la même façon, la mêlée est au coeur de la mise en oeuvre d’un modèle de recrutement agile. Ce modèle intègre les techniques de mêlée utilisées dans le développement de logiciels, introduisant la rapidité et la gestion de l’imprévisibilité dans le processus de recrutement.

D’après Amber Grewal, directrice mondiale de l’acquisition de talents chez GE Digital, « la main-d’oeuvre est passée de cent employés en 2012 à environ vingt mille en 2016. L’embauche de talents numériques a été un élément clé pour l’entreprise et, dans le processus, nous avons tiré parti des méthodes agiles en développement de logiciels afin de réunir les bonnes personnes au bon moment et au bon endroit ».

La capacité d’exécution rapide est essentielle au succès d’une entreprise en hyper-croissance. Comme en témoignait Reid Hoffmann, fondateur de LinkedIn, dans un article du Harvard Business Review : « Le blitzscaling est ce qu’on fait lorsqu’on doit croître rapidement, vraiment rapidement. Cette initiative place en évidence les priorités. » Lorsqu’on fait appel au blitzscaling ou développement éclair, un certain nombre de processus sont inévitablement interrompus. On ne peut pas travailler sur ceux-ci simultanément ; il vous faut faire un tri. Cette approche est maintenant utilisée pour dénicher des talents par les entreprises en hyper-croissance. Par exemple, pour répondre à ses besoins d’embauche, GE Digital a créé un cadre unique de recrutement agile et a instauré le poste de chef de mêlée au recrutement. Ce nouveau poste fait appel à la plupart des techniques de mêlée utilisées dans le développement de logiciels et les applique au recrutement. Plus précisément, les besoins d’embauche massive sont décomposés en étapes incrémentielles et itératives, où les défis de recrutement générant le plus de valeur sont traités d’abord sous la perspective du client (candidat potentiel). Grâce à la tenue de réunions quotidiennes de mêlée, les recruteurs sont en mesure de combler les besoins en matière d’acquisition de talents et d’atteindre les objectifs d’affaires dans un délai de deux à six semaines en comparaison d’une moyenne de dix à quinze semaines auparavant. Le chef de mêlée au recrutement prend également en charge et soutient l’équipe de mêlée au recrutement afin de maximiser les résultats de celle-ci par l’entremise de correctifs et de mises en oeuvre continues du processus de mêlée, tout en soutenant l’ensemble des effectifs de l’organisation.

Cette approche permet aux recruteurs de GE Digital d’entrer en contact avec des talents passifs de différentes manières, dans le but de recruter éventuellement certains d’entre eux. L’idée est de créer une communauté de talents. Pour ce faire, divers moyens sont utilisés, par exemple l’organisation de marathons de programmation informatique collaborative (hackathons), la mise en place d’une plateforme de programmation ouverte, GitHub, ou l’interaction via un jeu sérieux. Une fois que les candidats potentiels se joignent à la communauté de talents, les recruteurs peuvent rester connectés avec eux ; ils sont en mesure, en faisant appel à la structure interne basée sur le modèle agile, d’évaluer les talents et de proposer un candidat en un temps record.

GE Digital a ainsi pu réduire de 70 % le temps nécessaire pour l’embauche à deux de ses postes les plus en demande, soit ceux d’ingénieur logiciel et de vendeur de logiciels commerciaux. À l’instar du développement de logiciels, le processus de recrutement par scrum limite les processus qui s’étirent et, en retour, il augmente la qualité et diminue le temps requis pour embaucher. Amber Grewal prévoit créer de nouveaux postes en développement logiciel, notamment un poste d’analyste de données en recrutement et un autre d’analyste des utilisateurs de systèmes qui vont sous peu s’intégrer dans le service de recrutement.

Deuxième rôle : directeur analytique du capital humain

Le système d’intelligence artificielle Watson d’IBM est devenu célèbre en 2011, quand il a battu deux champions au jeu télévisé Jeopardy !. La performance à Jeopardy ! a démontré que la capacité de Watson à traiter le langage naturel rivalisait avec l’aptitude des gens à comprendre les questions, classer les réponses possibles et trouver une réponse juste.

Depuis 2016, IBM applique au service RH l’éventail complet d’analyse, d’apprentissage automatique et de traitement du langage naturel utilisé par Watson. Selon Diane Gherson, « les RH se sont radicalement métamorphosées afin de puiser dans une quantité phénoménale de données pour proposer des solutions plus granulaires et taillées sur mesure pour l’entreprise ». Et l’une des plus fascinantes solutions proposées fait appel à un brevet récent d’IBM (Nº US8600847 B1) comprenant la capacité à prédire le risque de départ des employés occupant des postes clés.

Chaque année, IBM étudie les facteurs de risque tels que la localisation, la rémunération, le degré d’engagement de l’employé, en considérant tant l’ensemble du pays que le rôle de l’emploi. Par la suite, il incombe au directeur analytique du capital humain, Anshul Sheopuri, ainsi qu’à son équipe, de calculer l’importance relative de ces facteurs ; ils utilisent pour ce faire l’analytique et l’apprentissage automatique, tout en préservant la vie privée de l’employé. Ce processus permet d’identifier les groupes d’employés dans des postes clés qui sont susceptibles de trouver des opportunités d’emploi à l’extérieur d’IBM et d’établir un plan d’action afin d’empêcher leur départ. Il a été démontré que cette initiative a permis à IBM d’épargner environ 130 millions de dollars américains en évitant les coûts inévitables associés à l’embauche et à la formation de remplaçants.

À l’heure actuelle, des centaines d’employés spécialisés en analyse et gestion de données sont en poste chez IBM (le directeur analytique du capital humain étant un exemple). Ceux-ci effectuent de l’analyse de données dans une optique de rétention proactive notamment ; mais ils scrutent également les meilleures façons de recruter et d’embaucher des IBMistes. Un exemple de l’application pratique de l’analytique chez IBM est le logiciel Playbooks Manager qui prévient les gestionnaires, par exemple lorsqu’un employé est à risque d’épuisement professionnel, doit suivre une séance de mentorat ou assister à une activité de développement de compétences en vue d’un avancement.

Certains employés sont également affectés à l’analyse du degré de satisfaction du personnel à partir de plateformes internes de collaboration sociale ; cette analyse permet de recommander les approches à adopter pour répondre aux préoccupations repérées. Ainsi, l’an dernier, l’équipe d’analytique du capital humain a alerté Diane Gherson et son équipe RH à propos d’un thème abondamment discuté sur la plateforme IBM Connections. IBM avait décidé de ne pas rembourser les services de covoiturage tels Uber, Lyft et autres, en raison de problèmes de sécurité. Cependant, Max Black, un jeune employé basé à New York et oeuvrant dans la division du projet Watson, a indiqué dans un blogue interne (Global IBM Petition To Bring Back Ridesharing Reimbursement) la raison pour laquelle la politique devrait être renversée. Des centaines d’autres employés sont intervenus. L’équipe d’analytique en capital humain a relevé rapidement cette situation grâce à l’analyse des données et en a informé l’équipe RH. Ainsi, en moins de 24 heures, le dirigeant principal des ressources humaines invalidait la politique dans son propre blogue. C’est ainsi qu’on prend en compte les préoccupations des employés, ce qui contribue à leur satisfaction.

Troisième rôle : chef de l’expérience employé

Chez Forrester, la création d’une expérience employé convaincante exige une compréhension approfondie des besoins et des attentes des employés. Dans ce but, l’entreprise a créé le poste de chef de l’expérience employé. Il incombe au titulaire de ce poste de placer l’employé au coeur du milieu de travail. Cela signifie qu’il doit travailler hors des cloisons d’expertise individuelle et assurer un rôle fonctionnel transversal avec les ressources humaines, l’immobilier, le marketing, l’informatique et les communications internes. Bref, être au coeur de l’entreprise.

Ce nouveau rôle est axé sur la création d’une expérience formidable pour l’employé afin que les recrues demeurent en poste et se sentent engagées au cours de leurs premières années. Souvent, la recherche révèle que les nouveaux employés ayant moins de deux ans d’ancienneté quittent leur emploi en raison d’une frustration liée à des processus de travail improductifs et mal optimisés.

Fait intéressant, dans le cas de Forrester, le chef de l’expérience employé n’est pas issu du service des ressources humaines, mais plutôt du domaine des communications. Craig Symons indique qu’il est maintenant responsable de « forger un lien émotionnel entre les employés Forrester et la marque Forrester ». Pour ce faire, il travaille sur une variété de projets, comme la meilleure manière d’utiliser Glassdoor et d’autres sites d’évaluation de l’employeur afin de renforcer la marque employeur de Forrester en amenant les employés à devenir des ambassadeurs de la culture de l’entreprise.

Qu’en est-il pour vous?

Ces trois rôles démontrent la possibilité, pour les responsables RH, de tendre la main à des spécialistes d’autres disciplines – marketing, communications, ingénierie logicielle – afin de les recruter et d’offrir une expérience transparente aux employés.

Quels sont les nouveaux postes créés dans votre organisation ou qui devraient être créés en ressources humaines? Partagez-les avec nous via la page LinkedIn de l’Ordre et lançons la discussion sur ce sujet crucial.


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Jeanne C. Meister

Source : Revue RH, volume 19, numéro 3, juin/juillet/août 2016