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La reconnaissance au travail : pratiques internationales et différences culturelles

La reconnaissance au travail est encore loin d’être entrée dans les mœurs de toutes les entreprises. Elle est parfois perçue par les gestionnaires comme relevant de la psychologie ou de la philosophie ou comme une perte de temps, alors qu’il s’agit d’une véritable pratique de gestion au service du mieux-être des employés et de la performance économique des entreprises. Au delà des principes d’humanisme et de morale, on parle ici d’intérêts mutuels et d’efficacité générée par l’engagement de tous.

La reconnaissance valorise l’employé, renforce son estime de soi, accroît son sentiment d’appartenance, son plaisir au travail et son esprit d’équipe, contribue à son bien-être personnel et professionnel et accentue par conséquent sa capacité à atteindre les objectifs.

[ In English Recognition in the workplace: international practices and cultural differences]

13 octobre 2010
Christophe Laval

Conférence – La reconnaissance au travail : pratiques internationales et différences culturelles

Un enjeu de performance durable 

Ces dernières années, la distance s’est creusée entre les salariés d’une part et les entreprises et leurs dirigeants d’autre part. La crise actuelle – qui est avant tout une crise mondiale de confiance – risque de transformer cette distance en méfiance si l’on ne saisit pas l’opportunité de créer de la valeur par l’engagement.

Entre 1998 et 2004, des analystes financiers indépendants ont étudié les performances financières des entreprises lauréates du palmarès Great Place to Work et des 100 Best Companies du magazine Fortune. Les résultats soulignent que les entreprises primées ont eu une croissance boursière significativement plus forte que la moyenne des entreprises cotées en bourse aux États-Unis (S&P 500).

En 2006, Towers Perrin a analysé les données d’une cinquantaine d’entreprises multinationales en observant plus particulièrement « les niveaux d’engagement des 664 000 salariés qui y travaillent et la performance financière de ces entreprises en considérant les évolutions du résultat d’exploitation et le bénéfice par action ». Les résultats sont sans appel : les entreprises dans lesquelles les salariés étaient fortement mobilisés ont connu des performances bien meilleures que celles où l’engagement était moindre, puisque « les premières ont vu leur résultat d’exploitation augmenter de 19,2 % alors que celles du second groupe affichaient une baisse de 37,7 % ».

L’enjeu est principalement celui de la performance durable. L’expérience montre en effet qu’il est assez facile de changer les choses en surface (en réduisant les coûts de personnel, de formation, de communication, de marketing…) et que cela produit rapidement un effet « cosmétique » positif sur les résultats financiers. Il est en revanche plus compliqué de se préparer à changer en profondeur, de réduire les coûts cachés afin de rebondir efficacement après la crise.

Or, la reconnaissance au travail a un rôle majeur à jouer. Les entreprises qui l’intégreront dans leur stratégie et passeront à l’action auront incontestablement une longueur d’avance sur le marché mondial. Une politique de reconnaissance authentique et constructive a de nombreux effets positifs. Elle permet de réduire le roulement par la fidélisation des employés, d’améliorer l’attractivité de l’organisation, de réduire l’absentéisme, d’augmenter la fidélisation des clients grâce à la qualité de service, d’améliorer le climat social, etc.

Un concept universel
En Amérique du Nord comme en Europe, tout le monde s’accorde sur l’importance du sujet. Florent Francoeur, CRHA, président-directeur général de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, soulignait récemment dans le magazine français Personnel que cette problématique est « une préoccupation grandissante au Québec. Dans un sondage interne réalisé en novembre 2009 par l’Ordre auprès de ses membres, 63 % des répondants ont affirmé que leur organisation dispose d’une stratégie de reconnaissance. Les objectifs les plus fréquemment poursuivis avec cette stratégie sont, dans l’ordre, d’augmenter l’engagement et la fidélisation des employés, de les mobiliser, de créer un environnement de travail positif et de promouvoir l’adoption de comportements particuliers ».

Aux États-Unis, il existe une association professionnelle des entreprises désirant partager leurs bonnes pratiques. Recognition Professional International (RPI) regroupe ainsi plus de mille entreprises et délivre un certificat aux professionnels de la reconnaissance. On pourrait penser que ce pays est le champion de la reconnaissance au travail, car 90 % des entreprises américaines affirment avoir mis en place des programmes de reconnaissance. Et pourtant, quand on les interroge, 60 % des employés américains ne se sentent pas reconnus…

En France, des enquêtes soulignent que le manque de reconnaissance est le premier facteur de dévalorisation du travail ou de démotivation chez les employés et que la reconnaissance de leur travail est leur attente prioritaire à l’égard de leur supérieur hiérarchique. Mais là aussi, la reconnaissance peine encore à s’imposer dans les entreprises!

Types et pratiques : quelques différences marquées
Afin de dégager quelques pistes de réflexion et d’identifier les leviers et les obstacles inhérents aux cultures, VPHR a mené en mai/juin 2010 un sondage auprès de sept cents gestionnaires de différents pays. Après avoir examiné les obstacles à la reconnaissance au travail dans chaque pays, nous avons exploité les résultats relatifs aux pratiques en reprenant la typologie des quatre formes de reconnaissance du professeur Jean-Pierre Brun de l’Université Laval : reconnaissance de la personne (existentielle), de sa contribution (pratique de travail), de son implication (investissement dans le travail) ou de ses résultats. Trois groupes spécifiques ont été isolés : les Québécois, les Américains du Nord anglophones et les Français.

Si les constats se ressemblent, on verra par les quelques exemples ci-dessous qu’on ne peut pas appliquer les mêmes politiques des deux côtés de l’Atlantique, car les différences culturelles influent sur les pratiques et que le Québec réagit parfois différemment du reste de l’Amérique du Nord.

Des obstacles dont l’ampleur varie selon les cultures
Globalement, on constate que, pour plus d’un gestionnaire français sur deux, le manque d’intérêt pour la reconnaissance constitue un obstacle à son exercice, alors que deux Américains anglophones sur trois pensent le contraire. Le Québec se situe pour sa part à mi-chemin et semble donc plus avancé que la France sur ce plan, même si les chiffres démontrent que le chemin à parcourir pour convaincre les gestionnaires francophones reste important. (Voir figure 1)

Aux États-Unis et au Canada, le manque de temps est un obstacle cité par un répondant sur deux, alors que cela ne constitue pas réellement un enjeu en France. En revanche, c’est la crainte de susciter des attentes irréalistes qui est mise en avant dans le pays de Rousseau (taux extrêmement élevé de 63,5 %), comme si, en manifestant de la reconnaissance à un employé, on augmentait le niveau d’exigence de ce dernier à un point tel qu’on ne saurait ensuite y répondre… (Voir figures 2 et 3)

Des pratiques différentes selon les pays
Les entreprises françaises semblent donner la priorité à la reconnaissance des pratiques de travail et à celle des résultats, alors que les organisations nord-américaines accordent une place plus importante à la reconnaissance existentielle.

Trois pratiques sont particulièrement significatives. (Voir figures 4, 5 et 6)

  • La culture française est très marquée par la reconnaissance financière des résultats, régulièrement à travers la rémunération variable ou de façon ponctuelle : plus de deux entreprises françaises sur trois pratiquent occasionnellement ou régulièrement la reconnaissance sous la forme de prime ou de récompense financière exceptionnelle, contre moins d’une sur deux en Amérique du Nord. La reconnaissance pécuniaire, qui occupe une grande place dans les politiques Compensation & Benefits, est indispensable pour s’assurer que la politique de rémunération rétribue ses salariés de façon compétitive par rapport au marché. Mais elle ne suffit pas et des études internationales montrent régulièrement qu’elle n’est même pas le premier levier de motivation et d’engagement. Selon la Compensation & Benefits Review qui a consacré ces dernières années de nombreux articles à ce thème, « le système traditionnel de rémunération globale est en crise, car il a échoué dans sa tentative de différencier et d’encourager les plus performants à travers une approche exclusivement monétaire. La clé réside désormais dans un management efficace, dans une gestion des carrières performante et également dans la reconnaissance non monétaire ».
     
  • C’est la reconnaissance de la pratique de travail qui distingue le plus nettement les entreprises nord-américaines des entreprises françaises, par la reconnaissance des compétences professionnelles. Les répondants français atteignent des niveaux record de plus de 80 %, confirmant ainsi une forte inclinaison à reconnaître avant tout l’expertise technique.
     
  • La reconnaissance publique dans des cérémonies de reconnaissance reste l’apanage des entreprises nord-américaines, et tout particulièrement des entreprises anglophones (près de 80 %). Plus d’une entreprise québécoise sur deux a recours à cette reconnaissance formelle, alors que la proportion atteint à peine 32 % en France où il existe une forte réticence à témoigner publiquement de la reconnaissance.

Conclusion
Ces quelques chiffres démontrent des différences substantielles entre pays et soulignent l’importance de la culture géographique dans les pratiques de reconnaissance. On n’a pas le même « décodeur » si l’on est gestionnaire à Montréal, à Paris ou à New York.
Mais ce n’est certainement pas le seul paramètre à prendre en considération. La culture d’entreprise joue à coup sûr un rôle considérable. Il reste à souhaiter que tous les gestionnaires s’emparent du sujet, l’adaptent à leur culture et tirent profit des bénéfices réciproques pour leur entreprise et leurs employés.

La reconnaissance au travail est bien un besoin universel, mais la façon de la témoigner et de la recevoir varie significativement selon les pays et les entreprises!

Christophe Laval, CRP, président-fondateur, VPHR (Vision Performance Humain Reconnaissance)

Source : Effectif, volume 13, numéro 4, septembre/octobre 2010.


Christophe Laval Président VPHR