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La reconnaissance au travail : de la gratitude à l’intégration

Dans le domaine de la gestion des personnes, la reconnaissance au travail est reconnue comme un levier de mobilisation puissant. On sait aussi que les pratiques de reconnaissance agissent sur l’identité de la personne, les relations interpersonnelles, la motivation, la santé, voire les conflits.

20 février 2012
Jean-Pierre Brun, CRHA

C’est par ailleurs un sujet de recherche scientifique, de conférence, d’enquête et de formation en entreprise depuis de nombreuses années. On pourrait donc penser que les enjeux de reconnaissance au travail sont moins d’actualité, puisqu’on dispose de quelques outils pour répondre à ce besoin essentiel des personnes.

La réalité en entreprise démontre que ce n’est pas le cas. En effet, la reconnaissance est encore une attente forte des employés et des gestionnaires, ce que constatent unanimement plusieurs enquêtes nationales et internationales, qui tentent de capter les besoins des employés : la reconnaissance y occupe toujours une place de choix.

Au Québec, l’Enquête québécoise des conditions de travail, d’emploi et de SST (EQCOTESST) publiée par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail en 2011, fait ressortir que 42 % des répondants jugent recevoir une faible reconnaissance au travail. En France, le baromètre 2011 Edender Ipsos indique que le manque de reconnaissance est le premier facteur de démotivation, avant même la rémunération.

Les recherches scientifiques indiquent aussi que le manque de reconnaissance a un impact sur la santé de la personne. Par exemple, une étude britannique publiée en 2007 dans le Journal of Epidemiology and Community Health montre qu’un manque très important de reconnaissance au travail peut augmenter jusqu’à 1,7 fois le risque de maladie cardiovasculaire et jusqu’à 1,9 fois le risque de détresse psychologique. Par ailleurs, nous avons publié en collaboration, en 2008, une étude qui fait ressortir que, dans quatre entreprises différentes, le manque de reconnaissance au travail se classe toujours parmi les quatre premiers facteurs de risque associés à la détresse.

La reconnaissance gratitude : un concept mal défini...
Si la reconnaissance est un besoin fondamental, elle demeure encore mal définie. Qu’est-ce qui se cache derrière cette notion et de quoi parle-t-on exactement?

Disons d’entrée de jeu que, pour s’intégrer dans une entreprise, toucher concrètement la vie des employés et des gestionnaires, la reconnaissance doit s’inscrire au sein d’une culture organisationnelle et aux pratiques courantes de gestion des ressources humaines. À cet égard, elle se décline sous quatre modes : la reconnaissance de la personne, la reconnaissance des résultats, la reconnaissance de l’effort et la reconnaissance de la pratique de travail (voir tableau ci-dessous).

  • Reconnaître la personne – Dans cette optique, la reconnaissance porte sur l’individu et non sur l’employé. Elle s’adresse à Claude ou à Florence, et non au responsable du marketing ou à la comptable. Elle s’exprime en terme de relation : saluer ses collègues à son arrivée le matin, consulter les employés avant de prendre une décision ou les tenir au courant des décisions.
     
  • Reconnaître les résultats – Dans ce cas, la reconnaissance s’intéresse aux résultats observables, mesurables et contrôlables du travail. Elle est considérée comme une récompense et une réponse à l’atteinte des objectifs. L’intéressement aux bénéfices et la prime sont les applications directes de cette forme de reconnaissance.
     
  • Reconnaître l’effort – Les efforts investis dans le travail ne sont pas toujours liés aux résultats obtenus. Cette forme de reconnaissance se traduit par des remerciements pour les efforts accomplis ou pour l’investissement personnel au quotidien. De ce point de vue, la véritable délégation est une forme de reconnaissance. Dans cette perspective, il faut voir la reconnaissance comme la cause du travail bien fait et non pas comme la conséquence. Souligner les efforts permettra donc de mieux atteindre les résultats attendus.
     
  • Reconnaître les pratiques de travail – Cette forme de reconnaissance s’intéresse à la qualité du travail, c’est-à-dire au travail bien fait. On soulignera la justesse d’un argument de vente, la propreté des soudures d’un plombier, la douceur d’une infirmière qui prodigue des soins à une personne âgée, etc. Dans ce cas, la reconnaissance porte principalement sur la manière d’exécuter le travail, qu’il s’agisse des comportements, des compétences ou des qualités professionnelles du travailleur.

Précisons aussi que la reconnaissance constitue d’abord une réaction constructive; il s’agit aussi d’un jugement posé sur la contribution de la personne, tant en terme de pratique de travail que d’investissement personnel et de résultats. Il s’agit donc d’une reconnaissance tournée vers la gratitude.

Quelques grands principes
  • La reconnaissance ne doit pas viser uniquement l’efficacité organisationnelle. Elle doit viser à valoriser les personnes et à les faire progresser au sein de l’entreprise.
     
  • La reconnaissance individuelle est plus importante et a plus d’effet sur les employés que la reconnaissance collective. Ainsi, chaque personne qui est en charge d’employés devrait avoir la responsabilité d’exprimer sa reconnaissance au moyen de processus informels et de relations humaines.
     
  • La reconnaissance doit tendre à se fusionner aux pratiques de gestion. Par exemple, consulter, écouter, agir rapidement à la suite d’une demande sont des actes de reconnaissance qu’il faut valoriser.
     
  • La reconnaissance ne fait pas partie des habitudes de gestion, il faut s’assujettir à en faire, ce qui exige des efforts au début, mais elle devient par la suite un geste naturel.
La reconnaissance intégrative : quand les employés ont leur mot à dire
La reconnaissance au travail peut donc être dé­finie comme une forme de gratitude, de soutien ou de remerciement, et comme un besoin essentiel pour les employés et les gestionnaires.

Toutefois, en raison des transformations de la main-d’œuvre en matière de compétence, de connaissances et de volonté de contribution, il faut revoir la définition et les formes de reconnaissance au travail. Pour compléter ce qu’on peut appeler la « reconnaissance gratitude », il faut développer une reconnaissance qui fait plus de place aux personnes dans la dynamique des entreprises, ce que l’on nomme la « reconnaissance intégrative ».

Le principe de cette forme de reconnaissance au travail est le suivant : s’il est nécessaire de remercier (gratitude) les personnes pour le travail accompli, cela n’est pas suffisant; les employés veulent maintenant avoir leur mot à dire et contribuer (intégration) à la conduite de leur travail et de leur entreprise.

Voici les composantes à intégrer dans la reconnaissance intégrative...

  • Il faut écouter le vécu des employés, leurs opinions, leurs idées, les difficultés qu’ils éprouvent et en tenir compte dans la conduite de l’entreprise. Cette idée est bien exprimée par ce gestionnaire qui dit : « On nous dit qu’on est important pour l’organisation, mais de plus en plus, on ne fait qu’appliquer les directives sans même pouvoir les remettre en question! »
     
  • Considérer que les employés ont non seulement une compétence professionnelle, mais aussi une compétence organisationnelle. Ce qui signifie qu’il faut aussi les impliquer dans la conduite de l’entreprise, la réalisation des projets et la mise en œuvre des changements. Cette implication doit commencer par une participation aux décisions comme le formule cet employé : « En nous impliquant et nous consultant très tôt dans le projet, il y a moins de risque d’échecs et c’est une belle forme de reconnaissance. »
     
  • L’une des grandes marques de reconnaissance est la confiance qu’on exprime envers les employés et les gestionnaires. Lorsque cette confiance s’accompagne d’actions qui favorisent l’autonomie, l’initiative et la latitude décisionnelle, on recueille des propos comme celui-ci : « Ce qui me motive, c’est que notre patron nous fait confiance, c’est un DRH qui te donne des défis et laisse beaucoup de place à l’autonomie et considère que l’on a une grande compétence. Je me sens reconnu pour mon expertise. »
     
  • La reconnaissance intégrative n’est pas juste la consultation; il faut aussi écouter ce que les employés disent et donner une réponse ou décider d’une action. Comme gestionnaire, il est essentiel de dire ce qu’on fait et de faire ce qu’on dit. L’écoute et l’action sont deux critères de cette nouvelle forme de reconnaissance.

Cette reconnaissance intégrative, qui dépasse la simple gratitude comme nous l’avons vu, a de nombreux effets positifs :

  • elle confirme les capacités et les qualités de l’individu encore plus que des félicitations, puisqu’elle lui permet de ne pas seulement entendre qu’il est capable, mais de le prouver et de voir très concrètement son utilité;
     
  • lorsque l’employé peut contribuer et participer à la prise de décision concernant l’organisation de son travail, il y a là une forme directe de reconnaissance de son vécu; celui-ci est non seulement important, mais en outre, il éclaire les choix de l’entreprise;
     
  • reconnaître ce vécu est aussi une forme de résolution des conflits, puisque de nombreux conflits prennent leur source dans un manque de reconnaissance de la réalité de travail des employés;
     
  • enfin, cette reconnaissance intégrative est efficace pour la valorisation des personnes et aussi pour l’efficacité de l’organisation.
Un rôle pour les gestionnaires
La reconnaissance gratitude est relativement bien prise en charge par les responsables des ressources humaines. Les activités sont nombreuses : gala, remise de prix, journée de la reconnaissance, conférence ou formation. Et pourtant, le besoin de reconnaissance n’a jamais été aussi fortement exprimé par les employés et par les gestionnaires. Par exemple, il faut dépasser la reconnaissance des années de service; si cette initiative est nécessaire, elle est loin d’être suffisante.

C’est la reconnaissance intégrative qui a maintenant besoin d’être développée. Cela se fera non pas par des activités de reconnaissance, mais plutôt par l’instauration d’un leadership et de pratiques de gestion qui font place à l’écoute, à la participation, à la consultation, au partage de responsabilités avec les employés et les gestionnaires, etc.

En fait, il faut sortir la reconnaissance des activités classiques de gestion des ressources humaines et l’intégrer un peu plus dans les pratiques de gestion des personnes et des équipes. La reconnaissance au travail ne doit pas demeurer uniquement une activité occasionnelle organisée par le service des ressources humaines; elle doit devenir une pratique de gestion qui s’exprime dans le quotidien des actions, des décisions et des paroles des gestionnaires.

L’avantage de la reconnaissance intégrative est qu’elle est accessible à toutes les tailles d’entreprise et à tous les budgets. Contrairement à la reconnaissance qui se fait sous forme de cadeau, de prime ou de voyage, intégrer ses employés dans la prise de décision ou rehausser le pouvoir décisionnel de ses gestionnaires ne représente aucun coût ou presque. Pour une PME, réfléchir à une plus grande participation de ses employés et de ses gestionnaires est donc un outil de reconnaissance et, par le fait même, de motivation à faible coût et très efficace.

Ainsi, lorsque l’individu, qu’il soit employé ou gestionnaire, constatera qu’il fait partie à part entière de la dynamique de l’organisation, alors il se sentira véritablement reconnu et, du même coup, contribuera grandement à la prise de décision et à la performance de son organisation.

Comment instaurer une reconnaissance intégrative?
Pour mettre en place cette nouvelle forme de reconnaissance au travail, penser à une nouvelle activité de reconnaissance n’est sûrement pas la voie à suivre. C’est plutôt en renouvelant les pratiques de gestion des personnes et des équipes qu’on pourra y parvenir. Voici quelques pistes d’action à explorer...
  • Établir un dialogue avec les employés sur les conditions d’exercice de leur travail. En écoutant leurs propos, on fera preuve d’attention. La personne se sentira ainsi considérée.
     
  • Mais si l’écoute est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Trop d’employés ont cru et participé aux activités d’écoute (groupe de discussion, entrevue individuelle, sondage), mais ont été déçus par le manque d’action par la suite. La reconnaissance prendra véritablement forme quand les personnes verront que les choses changent. Une phrase assez simple d’un employé illustre ce changement : « Mon quotidien s’est amélioré! ». En effet, quand la situation s’améliore, la personne sent que son point de vue a été écouté et elle en est généralement reconnaissante.
     
  • La gestion efficace et rapide des conflits est aussi une marque de reconnaissance. Combien de fois entend-on : « Il y a un conflit interpersonnel dans cette équipe. Personne ne veut s’en occuper. C’est comme si ce n’était pas important. » Il est intéressant de noter que, lorsqu’on agit pour résoudre un conflit, on pose aussi un geste de reconnaissance.
     
  • La gestion de proximité est aussi un signe concret de reconnaissance. En étant présent auprès de son équipe, le gestionnaire fait preuve de disponibilité : on discute et on construit ensemble des solutions. C’est actuellement l’une des plus importantes demandes des employés : que leur gestionnaire consacre plus de temps aux membres de l’équipe.
Conclusion
Dans les années à venir, la reconnaissance devra devenir un objectif et non une activité. Quand la personne sentira qu’elle est importante, écoutée, consultée, sollicitée ou influente, le sentiment de reconnaissance sera véritablement satisfait.

En fait, si le besoin de reconnaissance ne semble pas diminuer, c’est que les employés et les gestionnaires veulent bien sûr entendre des mercis et des bravos, mais aussi et surtout se faire dire : « Que penses-tu de ce projet? », « J’ai besoin de ton point de vue pour prendre ma décision ».

Le défi qui attend les entreprises québécoises, canadiennes et internationales est donc de dépasser le simple merci pour se diriger vers un véritable lien de confiance basé sur la compétence des employés et leur participation à la conduite de l’entreprise. C’est par l’entremise de cette nouvelle forme de reconnaissance que la motivation et l’engagement des employés pourront véritablement progresser.

Jean-Pierre Brun, professeur titulaire, Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail, Université Laval, et professeur associé, ENAP

Source : Effectif, volume 15, numéro 1, janvier/février/mars 2012.


Bibliographie

Brun, J. P. et N. Dugas. « La reconnaissance au travail : analyse d’un concept riche de sens », Revue Gestion, vol. 30, n° 2, été 2005, p. 79-88.

Brun, J. P., C. Biron, J. Martel et H. Ivers. Évaluation de la santé mentale au travail : une analyse des pratiques de gestion des ressources humaines, IRSST, Rapport de recherche, Montréal, 2003.

Vogli, R. D., J. E. Ferrie et coll. (2007). « Unfairness and Health: Evidence from the Whitehall II Study », Journal of Epidemiology and Community Health. 61: 513-518.

Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail

Enquête québécoise des conditions de travail, d’emploi et de SST (EQCOTESST)

 Baromètre Edenred Ipsos – Motivation et Bien-Etre des salariés Français 2011 – La rupture ?


Author
Jean-Pierre Brun, CRHA Président Empreinte Humaine Canada
Jean-Pierre Brun, CRHA, Ph.D. Expert conseil associé chez Empreinte Humaine et professeur retraité de management à l’Université Laval Expert-conseil de réputation internationale, Jean-Pierre Brun, CRHA, Ph.D. s’intéresse à plusieurs enjeux complémentaires comme la santé mentale au travail, la reconnaissance au travail, le harcèlement psychologique, les systèmes de gestion de la prévention au travail et la prise en charge de la sécurité dans les PME. Ambassadeur de la santé et de la sécurité au travail au Québec et en France, M. Brun a œuvré comme professeur titulaire au Département de management de l’Université Laval pendant plus de 30 ans et a fondé le MBA en gestion de la SST et la Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail (maintenant le Centre d’expertise en gestion de la santé et de la sécurité du travail). En 2012, il fondait Empreinte Humaine, un cabinet indépendant spécialisé dans la promotion de la Qualité de Vie au Travail (QVT) et la prévention des Risques Psychosociaux (RPS). M. Brun accompagne les entreprises dans trois domaines d’intervention : le bien-être, le bien-vivre et le bien-faire. Il offre ses conseils et son expertise à de nombreuses entreprises, managers et syndicats au Canada et à l’international. M. Brun est auteur de nombreux articles et ouvrages, dont « Le pouvoir de la reconnaissance au travail : 30 fiches pour allier santé, engagement et performance » (2018, avec Christophe Laval), « Les sept pièces manquantes du management » (2008) et « Management d’équipe : 7 leviers pour améliorer bien-être et efficacité au travail » (2008). Parmi les prix et reconnaissances qu’il a reçus, mentionnons le Prix hommage canadien de la santé en milieu de travail remis par le Conseil canadien de la santé en milieu de travail (2005) et le prix Reconnaissance RH – Livre de l’année remis par l’Ordre des CRHA (2019) pour l’ouvrage « Le pouvoir de la reconnaissance au travail ». M. Brun est détenteur d’un doctorat en ergonomie et d’une maîtrise en sociologie du travail.