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La prise de décision éthique : au coeur de la pratique du professionnel RH

Bien que le rôle du professionnel en ressources humaines soit entre autres de mettre en place des cadres normatifs, des politiques et des règles afin d’assurer la bonne marche des opérations de l’entreprise, il consiste aussi à veiller au respect des valeurs organisationnelles, tout en assurant un climat de travail sain et respectueux. Dans cette perspective, l’éthique prend une place croissante dans les fonctions du professionnel RH.

5 juillet 2015

Lors du congrès de l'Ordre en octobre 2013, Dave Ulrich avait identifié sept clés du succès pour les professionnels RH, notamment la capacité à écouter, comprendre et considérer l’humain, la capacité à développer une relation crédible avec les gestionnaires de l’entreprise et la capacité à utiliser son jugement critique. Selon lui, elles sont intimement liées aux compétences nécessaires à la délibération éthique en vue de déterminer les mesures à prendre dans une situation problématique.

Mais il peut parfois être complexe d’accompagner les dirigeants et les gestionnaires lorsqu’on doit considérer les aspects autant législatifs qu’humains. À cet égard, une réflexion éthique peut appuyer de façon significative la pratique du professionnel RH. Il doit cependant pouvoir reconnaître les enjeux éthiques qu’il pourrait rencontrer.

L'éthique comme outil d'aide à la réflexion
Avant toute chose, il est important de situer l’éthique. Certes, la morale, les moeurs, le droit et la déontologie sont tous des modes de régulation des comportements et, par conséquent, des relations humaines. Ces modes encadrent les comportements et dictent la « bonne chose à faire ». Toutefois, l’éthique vient proposer un mode de régulation qui provient directement de la réflexion de l’individu ou du groupe. Ainsi, la réflexion éthique renvoie à l’autonomie, à la liberté et au jugement de l’individu lui-même. Lorsqu’on ne sait pas quoi faire, lorsque la zone grise a pris le dessus, la réflexion éthique vient donner un sens à l'action vers la décision. Rappelons que ce qui est légal n’est pas nécessairement éthique. Regardons plus en détail un modèle de décision qui pourra vous soutenir dans votre démarche réflexive.

1. Cerner le problème - Pour cerner un problème éthique, encore faut-il avoir la capacité de déceler les situations à risque. Cette sensibilité éthique génère normalement diverses réactions, tels l’indignation, l’inconfort, le doute, qui font réaliser que quelque chose ne va pas dans une situation particulière. La conscience personnelle est alors mise à l’épreuve, mais il importe de bien définir les tensions présentes. Tout problème n’est pas nécessairement éthique. Un indice : lorsqu’on doute de la meilleure chose à faire, c’est que quelque chose ne va pas.

Le défi est d’identifier ce qui se passe réellement en termes de faits et non seulement d’évaluation personnelle, ce qui pousse parfois à tirer des conclusions hâtives. On doit s’assurer que la situation n’est pas le reflet de croyances personnelles, mais bien de la situation elle-même. Il faut savoir qu’on parle d’éthique lorsque la décision aura des conséquences sur autrui, car l’éthique concerne avant tout les relations avec les autres.

2. Déterminer s’il s’agit d’un problème, d’un dilemme ou d’un enjeu - Il est important de définir s’il s’agit d’un problème éthique, d’un enjeu ou d’un dilemme. Il y a problème éthique si le risque sur autrui est immédiat. Quand le patron lui demande de consulter le dossier médical d’un employé, le professionnel RH se trouve en face d’un problème éthique, car il doit immédiatement ou dans un avenir proche trouver une solution.

Un dilemme éthique existe si deux valeurs importantes sont en opposition et qu’il est difficile de les prioriser. Par exemple, dois-je avouer un adultère terminé (valeur d’honnêteté, mais risque de briser la famille, autre valeur importante). Il sera alors impossible de résoudre la problématique sans éviter des conséquences négatives pour soi ou pour autrui. Il peut exister des dilemmes éthiques dans une situation où un problème éthique survient. Les deux ne sont pas incompatibles.

Enfin, il s’agit d’un enjeu éthique lorsque le risque est à venir ou est probable en fonction des actions immédiates. Par exemple, on veut mettre en place un horodateur biométrique dans l’organisation. Tenir compte des enjeux éthiques liés à ce projet est important, car cette activité en comporte (renseignements personnels, charte des droits et libertés de la personne, etc.). Il est important de rappeler que le processus de réflexion sera toutefois le même qu’il s’agisse d’une problématique, d’un dilemme ou d’un enjeu.

3. Déterminer les valeurs - L’étape suivante consiste à cerner les valeurs en jeu qui concernent le professionnel RH, l’organisation ou les personnes impliquées dans la situation. Dresser la liste des valeurs n’est pas une mince tâche. Qu’entend-on par respect? Le respect d’autrui ou de la norme? Le respect de la norme n’est-il pas plutôt une conformité? Avant de commencer un dialogue avec les personnes concernées et de déterminer ainsi les valeurs en cause dans la situation problématique, il est recommandé de bien les définir afin d’assurer une bonne compréhension des conséquences de telle ou telle action. Cette étape est primordiale, car elle est souvent à la base de dilemmes et de problèmes éthiques. Évidemment, avec les valeurs, viennent les émotions. Celles-ci peuvent être parfois très fortes. Si elles le sont, c’est peut-être parce que des valeurs importantes sont en jeu. Il peut être déterminant pour la délibération de reconnaître ces émotions et de bien les lier avec les valeurs.

4. Considérer le contexte - Par la suite, il faut prendre en considération les différents contextes et en faire l’analyse, car ils pourront influencer la décision.

  • Contexte juridique (quelles sont les lois en vigueur dans cette situation?)
  • Contexte déontologique (quelle serait la bonne pratique dans cette situation?)
  • Contexte personnel des individus en cause (vivent-ils des situations difficiles qui peuvent influencer la situation?)
  • Contexte organisationnel (l’entreprise connaît-elle des difficultés financières? Suis-je en autorité dans la situation?)

5. Reconnaître les conséquences sur autrui - À cette étape, il faut dresser et analyser les enjeux, soit ce que l’une ou l’autre des parties peut perdre dans la problématique. C’est ici que tout se joue dans une réflexion éthique. L’être humain tente par réflexe de se protéger. Réfléchir aux conséquences pour les autres lui échappe trop souvent. Dans une délibération éthique, l’action à prendre dans la situation problématique doit tenir compte de soi, des valeurs en analysant les conséquences que cette décision pourra avoir sur soi et sur les autres. C’est tenter de prendre la meilleure décision en tant qu’être humain dans une société.

6. Être sensible aux personnalités - La personnalité des individus concernés entre en jeu dans cette délibération éthique. Tous n’ont pas le même regard sur autrui : certains ont plus d’empathie que d’autres. L’empathie est la clé afin de bien réfléchir à un problème éthique. Si le professionnel RH a l’impression que ses interlocuteurs n’en ont pas, il risque de se heurter à un mur qui l’empêchera d’établir un dialogue constructif. Si l’interlocuteur a une personnalité à tendance narcissique ou égocentrique, il y a fort à parier que les efforts du professionnel RH pour considérer les conséquences négatives sur autrui ne seront pas pris en compte. C’est ici que son courage et sa capacité à dialoguer entrent en jeu. Il lui faudra user de stratégies pour tenter d’influencer les décisions afin d’assurer la mise en oeuvre de bonnes pratiques.

7. Prendre une décision - Après avoir analysé tous les éléments, le professionnel RH doit prendre la meilleure décision possible dans cette situation. L’important dans une délibération éthique est de tenter de minimiser les conséquences sur autrui et de prendre une décision que les personnes concernées pourraient juger raisonnable. Afin de valider la qualité de la décision, voici trois questions à se poser :

  • Serais-je à l’aise pour défendre ma décision publiquement?
  • Ma décision pourrait-elle servir d’exemple dans une situation semblable?
  • Est-ce que je considérerais ma décision comme un bon choix, si c’était moi qui en subissais les conséquences?

Conclusion
Cette démarche semble lourde et compliquée? Pas si on prend conscience que toute personne a un jour ou l’autre fait une telle démarche soit avec elle-même, soit avec d’autres individus, et ce, sans même s’en rendre compte. La réflexion éthique est à la portée de tous et peut venir appuyer considérablement les décisions. Cette démarche peut tout aussi bien s’appliquer lors de situations complexes et délicates, sans qu’elles soient nécessairement accompagnées d’enjeux, de problèmes ou de dilemmes éthiques.

Rappelons que ce processus est nécessaire afin de réduire l’arbitraire, d’assurer l’équité et d’éviter les abus de pouvoir. La démarche éthique vise à prendre des décisions éthiques, donc en vue du bien commun. Si la décision est fondée uniquement sur les valeurs et les intérêts de la personne en autorité, il ne s’agit pas d’une décision éthique.

Manon Perreault, CRHA, consultante en ressources humaines, formatrice et conférencière, Perreault & associés

Source : Effectif, volume 18, numéro 3, juin/juillet/août 2015.


Pour aller plus loin : suggestions de lecture (web)

  • Boisvert, Yves, Magalie Jutras, G. A. Legault et Alison Marchildon, avec la collaboration de Louis Côté. Petit manuel d’éthique appliquée à la gestion publique, Édition Liber, 2003.
  • Legault, G. A. (1999). Professionnalisme et délibération éthique, Québec, Presses de l’Université de Québec, 290 p.
  • Farmer, Yanick, Marie-Ève Bouthillier et Delphine Roigt. Prise de décision en éthique clinique, Perspectives micro, méso et macro, sous la direction de Farmer, Presses de l’Université du Québec, 2013.