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L’art délicat d’offrir une rétroaction porteuse de changement

Une rétroaction porteuse de changement est claire et directe, elle vise à améliorer une situation tout en bâtissant la confiance entre la personne qui la donne et la personne qui la reçoit. Ce type de rétroaction est beaucoup plus que la simple expression d’un mécontentement; c’est un dialogue qui permet de mieux comprendre les enjeux, de clarifier la situation désirée et d’arriver à une entente sur les mesures à prendre.

12 janvier 2014
Jean-Philippe Bouchard, CRHA | Valérie Lanctôt-Bédard

Ce type de rétroaction, que l’on nomme feedback authentique, est un processus qui permet de prendre en considération les opinions, les émotions et les besoins des personnes impliquées, afin de créer un climat de confiance et de soutien mutuel.

Bien sur, le feedback authentique s’applique très bien dans le cadre de processus formels comme l’évaluation de performance, le bilan de projet, l’évaluation de fournisseurs ou autres rencontres de ce genre. Toutefois, il s’applique tout aussi bien à des situations informelles, que ce soit avec un collègue, une patronne ou un employé. En fait, il peut être utilisé dans toute situation où un comportement ou des paroles contrarient les personnes impliquées et où il y a une volonté d’améliorer la situation.

Impacts du feedback authentique
  • Attentes clarifiées
  • Confiance entre les parties
  • Engagement mutuel envers des objectifs communs

Pourtant, c’est un tout autre type de rétroaction qui prévaut aujourd’hui dans les organisations. Toutes sortes de moyens sont employés : commentaire acide en réunion de projet, soupir lors d’une demande de congé, courriel vitriolique avec le patron en copie conforme, remarque douteuse sur la qualité du rapport d’un collègue. Tous ces comportements et paroles sont une forme de rétroaction, puisqu’ils indiquent de manière plus ou moins subtile une insatisfaction envers une situation et un désir de changement immédiat ou dans un proche avenir.

Mais ces façons de faire, que l’on nomme feedback par insinuation, ne sont pas efficaces, puisqu’elles ont peu de chance de changer la situation, en plus de générer de la confusion et de la frustration chez les personnes concernées. De plus, lorsque ce type de rétroaction devient la norme pour toute une organisation, la qualité des relations est minée, menant à un climat de méfiance.

Impacts du feedback par insinuation
  • Non-amélioration de la situation qu’on aimerait changer
  • Confusion de la part de la personne qui le reçoit
  • Création d’un climat de méfiance lorsqu’il est généralisé

Pourquoi alors cette tendance à donner un feedback par insinuation plutôt qu’un feedback authentique? Parce que donner de la rétroaction est rarement chose facile. L’insinuation est souvent privilégiée parce que, malgré toutes les formations en communication et en leadership offertes, malgré tous les processus formels implantés, la rétroaction demeure avant tout un acte relationnel, éminemment personnel, qui demande beaucoup d’intelligence émotionnelle.

Les gens ont souvent peur d'offrir un feedback authentique. Peur de heurter l’autre, peur qu’il le reçoive comme une critique ou une attaque personnelle, rendant sa réaction imprévisible, peut-être colérique, peut-être passive-agressive. Peur de se révéler en donnant sur leurs préférences de l’information qui pourra se retourner contre eux. Peur d’avoir la responsabilité de régler le problème étant donné qu’ils l’ont eux-mêmes identifié. Peur d’empirer la situation en amenant un sujet sensible qui pourrait dégénérer en conversation difficile, causer des tensions inutiles ou même créer des conflits qui n’existaient pas au départ.

Toutes ces peurs correspondent à des risques bien réels. Par contre, il est possible de les minimiser et d’augmenter son aisance à donner du feedback authentique afin d’obtenir les résultats souhaités, tout en conservant une relation de confiance.

Quelques erreurs à éviter
Voici trois erreurs fréquentes et quelques pistes de solution pour soutenir une prochaine tentative de donner un feedback authentique.

Première erreur : vouloir changer l’autre
La première chose qui vient à l’esprit de beaucoup des gens, lorsqu’une personne a des comportements qui ne correspondent pas à leurs attentes, qui les frustrent ou qui les découragent, c’est que cette personne doit changer. Lorsque vient le moment de donner une rétroaction, ils le font avec la ferme conviction qu’ils ont raison et qu’il leur revient de faire changer l’autre. Armés de tous leurs arguments, de toute la force de leur caractère et de toute leur autorité, ils entrent dans une arène où il y aura un gagnant et un perdant.

Avant même qu’un mot ait été prononcé, cette attitude crée de la fermeture et diminue les chances d’améliorer la situation. Elle déclenche des comportements défensifs et, dans tous les cas, elle rend le dialogue ardu, souvent émotif et rarement constructif.

Passer à une intention constructive
Une intention constructive est toujours liée à des objectifs, des intérêts et des besoins qui dépassent les comportements spécifiques des individus. En fait, si on y regarde de plus près, ce que toute personne désire vraiment n’est pas que l’autre change, mais bien que la situation s’améliore. En pensant de cette manière, l’intention devient plus inclusive et élargit l’éventail des solutions possibles, augmentant ainsi la capacité des deux parties à s’entendre sur les prochaines actions.

La première étape pour développer une intention constructive est de prendre conscience de son intention. Lorsqu’une personne entre en interaction avec une autre, l’intention qu’elle porte est cruciale et constitue l’un des principaux déterminants de la qualité du dialogue.

Pour clarifier son intention avant d’offrir une rétroaction à quelqu’un, une personne devrait se poser les questions suivantes :

  • Qu’est-ce qui me motive à donner cette rétroaction?
  • Avec quelle attitude aimerais-je entreprendre ce dialogue?
  • Qu’est-ce que j’aimerais voir changé par la suite?
  • Quelles sont mes autres options pour améliorer la situation?

Prendre le temps de se poser ces questions permettra de prendre du recul et de focaliser l’attention sur l’objectif réel : améliorer la situation.

Deuxième erreur: évacuer les émotions de la conversation
Dans le monde du travail, on entend souvent qu’il ne faut pas le « prendre personnel ». Erreur. Une rétroaction est toujours personnelle et, par le fait même, a toujours une composante émotive, que ce soit pour celui qui la donne ou celui qui la reçoit. Trop souvent, les gens tentent de minimiser, de cacher leurs émotions, de les évacuer du dialogue. C’est une mauvaise stratégie, puisque la meilleure façon d’augmenter l’intensité d’une émotion est justement de la nier.

Les émotions sont un système d’information qui permet à chacun de reconnaître qu’un de ses besoins est menacé. Une émotion est comme une vague qui passe à travers le corps, phénomène qui ne se gère pas, ne se contrôle pas : ça se vit! « Vivre » ses émotions et non pas « agir » à partir de celles-ci. Agir à partir de la colère mène presque toujours à la violence verbale ou même physique. Au contraire, vivre sa colère permet d’identifier le besoin qui n’est pas comblé dans la situation actuelle. C’est à partir de la conscience de ses besoins que l’action d’un individu sera juste.

Prendre les émotions en considération
D’abord, en préparation à la rétroaction, on doit prendre le temps de reconnaître les émotions vécues. Si elles sont fortes et orageuses, il faut en parler à une personne de confiance afin de ventiler et de faire baisser la pression. On peut aussi en profiter pour se demander ce qui est si important dans cette situation pour susciter autant d’émotion.

Ensuite, toujours avant de s’engager dans le dialogue, la personne doit tenter d’imaginer ce que l’autre vit en regard de la situation. Se demander avec une réelle curiosité ce que l’autre peut bien être en train de vivre, avec en tête ces possibles réponses: de la crainte, de la frustration, du découragement, de la confusion.

Lors de la conversation, si des émotions se manifestent, il faut simplement les nommer afin de diminuer leur emprise. Par exemple : « Comme tu peux voir, je suis très énervé lorsqu’on parle de ce sujet, c’est extrêmement important pour moi d’avoir ta collaboration » ou « Cette situation me déçoit énormément, j’aimerais tellement qu’on puisse avoir une vision commune du problème ». Les mots eux-mêmes n’ont pas tant d’importance, l’idée ici est de révéler qu’une émotion est présente sans que cela ne devienne dramatique.

Enfin, lorsque l’autre manifeste ses émotions – souvent par son comportement non verbal –, on doit prendre le temps de les considérer. Une émotion a besoin d’être écoutée, elle n’est pas un problème à résoudre. Parfois, la meilleure attitude est de rester silencieux tout en démontrant son attention et son intérêt. Pour indiquer son intérêt, il est aussi possible de redire ce qui a été entendu ou de nommer l’émotion perçue. Par exemple : « … tu es frustré parce qu’il était important pour toi de terminer ce rapport avant vendredi. Est-ce que j’ai bien compris? »

Troisième erreur : attendre que la goutte fasse déborder le vase
Choisir le moment approprié est critique pour obtenir un impact positif d’une rétroaction. Mais ce n’est pas aussi facile qu’on pourrait croire. Dans beaucoup d’organisations, la pression sur les livrables est très forte, la lourdeur des responsabilités est très élevée, la complexité des processus demande énormément d’énergie. Les entreprises n’ont jamais eu autant besoin de collaboration et pourtant l’accent est sur la tâche, laissant de côté les nécessaires aspects relationnels. Cela a souvent pour conséquence un trop long délai avant de donner une rétroaction.

Celle-ci finit souvent par être donnée lorsque la situation devient extrêmement urgente et importante. Cela s’appelle… une crise! Et lorsqu’il y a état de crise, les solutions possibles sont limitées et le stress de tous est très élevé. Dans ces conditions, il sera difficile d’avoir un dialogue ouvert, d’explorer des solutions créatives et de conserver ou même rebâtir la confiance.

Donner régulièrement une rétroaction
Une fois par mois? Une fois par semaine? Une fois par jour? Tout dépend du contexte spécifique dans lequel les personnes impliquées travaillent. Mais peu importe la fréquence spécifique, prendre le temps de donner de la rétroaction sur de petits irritants de manière régulière permet d’ajuster la relation en temps réel, de ne pas accumuler de frustrations et surtout de garder le canal de communication ouvert entre les parties. De plus, développer la capacité à donner de la rétroaction sur de petits enjeux prépare à en donner sur des enjeux qui sont plus importants.

Créer une culture de feedback authentique
Le monde du travail est un monde d’interdépendance qui demande collaboration, confiance, compréhension et créativité pour performer à un niveau optimal. Pour avoir accès à ces qualités, il faut les entretenir de manière régulière et consciente. Il faut donc accepter sans surprise que certains comportements des collègues, patrons et employés ne correspondent pas aux attentes de tous. Afin d’ajuster ses attentes et de les transformer en ententes, chacun doit considérer comme normal de consacrer du temps à parler de ce qui l’irrite, le dérange, l’exaspère, le frustre, le déprime, le stresse, de manière ouverte et constructive.

Pratiquer le feedback authentique de manière quotidienne, sur de grands et petits enjeux, est une manière d’être le changement que tous souhaitent voir dans leur organisation et ainsi amorcer une transformation vers une culture où il y aura plus de feedback authentique et moins de feedback par insinuation.

Jean-Philippe Bouchard, CRHA, MA, coach et consultant en développement des leaders et des équipes, Spiralis, et Valérie Lanctôt-Bédard, coach, médiatrice et formatrice en communication, Spiralis

Source : Effectif, volume 16, numéro 5, novembre/décembre 2013.


Jean-Philippe Bouchard, CRHA PDG, Coach et Formateur Spiralis, Coaching et Formation en Dialogue Authentique

Jean-Philippe Bouchard est consultant en DO depuis 1996 et coach professionnel depuis 2010. Il détient un baccalauréat de HEC Montréal et une maîtrise en DO de l’Université Concordia. Il se spécialise en développement du leadership et dans l’amélioration du climat des équipes de travail. Il forme et coache des gestionnaires sur le leadership, la communication interpersonnelle, le harcèlement psychologique, la gestion de conflits et la performance des équipes de travail. En tant que facilitateur, il vise à créer des espaces de dialogue qui permettent de faire émerger les enjeux fondamentaux de toutes les parties afin d’avancer vers davantage de mobilisation, de confiance et d’efficacité.


Valérie Lanctôt-Bédard Formatrice certifiée, médiatrice et intervenante Spiralis
Valérie Lanctôt-Bédard se consacre à la formation et à l’intervention en communication interpersonnelle depuis 2003. À la tête de Spiralis consultants, une firme de formation et de coaching, elle aide les individus et les équipes de travail à améliorer l’efficacité de leurs échanges. Elle exerce la médiation dans des contextes de harcèlement psychologique et de conflits familiaux. Elle donne également du coaching de transformation et du coaching de conflit. Titulaire d’une maîtrise en prévention et règlement des différends de l’Université Sherbrooke, elle est formatrice certifiée et certificatrice au Center for Nonviolent Communication, médiatrice accréditée (IMAQ et ADR Institute) et coach professionnelle certifiée.