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ANALYSE DU PROFESSEUR - Avon : une ambitieuse transformation

La compagnie Avon s’est donné un défi de taille : augmenter de 18 à 26 ses campagnes annuelles de vente. Ce changement requiert la mise à jour et la convergence de divers systèmes de commercialisation et d’exploitation, un investissement considérable et un accroissement de la capacité de vente et de distribution.

23 septembre 2008
Françoise Morissette

Cependant, le réseau de vente et de distribution est entre les mains de représentantes qui ne sont pas des employées d’Avon, mais des travailleuses autonomes. Qui plus est, le taux de roulement est élevé : 80 % par année, ce qui oblige la compagnie à recruter et à former 57 000 nouvelles représentantes annuellement. L’instabilité du réseau non seulement affecte la complexité et les opérations, mais accroît aussi la difficulté des processus de changement.

Comme toute entreprise, Avon est en relation d’autorité directe avec ses employés. Toutefois, le réseau de vente et de distribution est sous son influence, plutôt que sous son autorité. Il s’agit donc d’une relation indirecte, où les leviers de performance sont limités par le statut légal des travailleuses.

Principaux agents de réalisation du changement
Bien que l’augmentation des campagnes de vente affecte de nombreux groupes – finance, marketing, services informatiques, etc. –, son succès dépend ultimement de deux groupes clés : les représentantes et les directeurs régionaux.

Représentantes : vulnérabilité et volatilité
Un tel défi serait considérable même si tous les acteurs-clés étaient employés par Avon. Dans ce cas, le groupe le plus susceptible d’affecter la viabilité de cette initiative n’est pas employé par l’entreprise et sa composition se modifie presque complètement chaque année. Une fluctuation annuelle de 80 % est corsée à gérer en période stable. Au cours d’un changement majeur, elle peut devenir paralysante.

Ce changement dépend de la capacité d’Avon à susciter l’engagement et à augmenter le rendement des représentantes. Pour ce faire, l’entreprise a besoin de stratégies spécifiques et appropriées. Nous sommes d’accord avec les recommandations de l’équipe de l’Université d’Ottawa en matière de formation, de rémunération, de transmission des valeurs, de reconnaissance, de culture, etc.

Cependant, étant donné l’importance et la volatilité du réseau de vente et de distribution, il est primordial de bien saisir le point de vue des représentantes : une analyse des besoins s’impose donc. Que pensent les représentantes de ce nouveau défi? Quelles sont leurs attentes et leurs objections? Que requièrent-elles pour s’y préparer et pour l’implanter : information, outils, formation, accompagnement? Comment les soutenir durant la période de transition?

Mieux l’entreprise comprendra leur optique (réactions, intentions, objections, désirs), mieux elle saura instaurer des systèmes efficaces pour y faire face. Pour ce qui est de l’approche à privilégier, des groupes de recherche-action seraient préférables à un sondage, afin d’obtenir la qualité et la quantité de données requises. Avon ne devrait pas avoir à « deviner » ce qui aiderait les représentantes à passer de 18 à 26 campagnes. Elle devrait le « savoir » et, pour ce faire, il faut le leur demander.

De plus, Avon doit suivre de près les réactions des représentantes à l’implantation de leurs recommandations. Par exemple, imaginons qu’elles veulent de la formation en techniques de vente. Quelles sont leurs réactions à la formation ? Imaginons aussi qu’elles souhaitent une amélioration des bons de commande. Comment réagissent-elles au nouveau formulaire? Une collaboration étroite entre les représentantes et l’entreprise favorisera un climat de partenariat dans la réalisation de ce changement.

Directeurs régionaux : leadership essentiel
Ce groupe fait le pont entre les représentantes et l’organisation. À ce titre, il peut transmettre des informations dans les deux sens et servir d’intermédiaire. Les directeurs régionaux jouent un rôle de premier plan pour inspirer l’engagement, réduire la résistance et accroître le rendement des représentantes. Cependant, ce projet leur donne une charge de travail et des responsabilités accrues; il multiplie les risques :
  • Comment voient-ils ce changement?
  • Sont-ils tous sur la même longueur d’ondes?
  • Ont-ils les habiletés et le soutien requis pour réussir?
  • Comment renforcer leur leadership?
  • Comment accroître et soutenir leur engagement?
  • Comment les récompenser?

Si les directeurs régionaux reçoivent la formation et le soutien requis, ce projet représente une occasion de décupler leur potentiel de leadership, et ce, de façon durable. Sinon, il peut créer de l’épuisement, du découragement et des départs. Le service des ressources humaines a raison de se pencher sur ce groupe clé, car il faut s’assurer de sa satisfaction et cultiver son développement.

Suivi des progrès
À mesure que l’implantation du projet se poursuit, il faut observer de près son déroulement. L’équipe de l’Université d’Ottawa ne se trompe pas en préconisant un suivi très serré : objectifs, mesures de rendement claires, évaluation et analyse des résultats et ajustement de la stratégie, le cas échéant. L’implantation passera par une période de transition au cours de laquelle bien des ajustements seront nécessaires sur le plan des infrastructures, des procédures et des personnes. Encore une fois, les réactions et le rendement des représentantes et des directeurs régionaux serviront d’indicateurs clés.

Culture et valeurs
Les étudiants ont raison : la transmission des valeurs et la création d’un climat accueillant et valorisant sont cruciales pour créer un sentiment d’appartenance chez les représentantes et pour les conserver. Plus la culture est forte et attirante, plus elle affecte la fidélisation. Bien que la culture ne soit pas le seul facteur ayant un impact à cet égard, elle joue un rôle majeur. Que peut faire Avon pour transmettre sa culture aux représentantes et les y intégrer? Les étudiants suggèrent une stratégie d’orientation et de communication efficace et l’organisation d’événements significatifs telles des activités bénéfice. Voilà de bonnes pistes à explorer. Mais encore une fois, qu’en pensent les représentantes?

Problème crucial
La dynamique fondamentale qui affecte la performance de l’entreprise est le taux de roulement : pourquoi est-il si élevé? Qu’a fait Avon pour en identifier les causes? Qu’a-t-on tenté pour le réduire? Qu’est-ce qui a bien ou mal fonctionné? Pourquoi? Par exemple, comprend-on les motifs qui poussent les représentantes à partir ou qui les attirent chez Avon? Saisit-on bien leurs besoins en matière d’orientation, de formation, de soutien, de reconnaissance? Existe-t-il un système efficace pour traiter les plaintes et résoudre efficacement les problèmes?

Une meilleure compréhension des facteurs affectant le taux de roulement donnerait à Avon les leviers pour le diminuer. Si l’organisation parvenait à l’amoindrir progressivement, ne serait-ce que de 10 % ou 15 % par année, les bénéfices seraient considérables en termes de productivité, d’engagement et d’agilité par rapport au changement. En se concentrant sur le taux de roulement, Avon pourrait à la fois réduire sa charge de travail (recrutement, orientation, formation, etc.) et accroître son rendement. Voilà l’enjeu capital de cette organisation.

Conclusion
Passer de 18 à 26 campagnes de vente représente un défi de taille, mais non insurmontable. À court et à moyen termes, ce changement aura-t-il les résultats escomptés en ce qui a trait à l’augmentation des ventes, à la réduction des coûts et à la satisfaction des employés et des clients? Il est trop tôt pour se prononcer.

Cependant, si Avon n’arrive pas à abaisser le taux de roulement de sa force de vente et de distribution, celui-ci continuera d’affecter ses chances de réussite, et ce, à long terme. Une stratégie consultative s’impose pour faire face à ce problème central. Pour demeurer un chef de file et un créateur de tendances, Avon doit s’attaquer à ce problème. Une approche participative et proactive aurait de bonnes chances de réussir.

Françoise Morissette, professeur émérite, Centre des relations industrielles, Université Queen’s, Kingston

Source : Effectif, volume 11, numéro 4, septembre/octobre 2008.


Françoise Morissette