Comment, alors, forger sa place comme acteur influent dans l’amélioration de la performance humaine? Quelle approche privilégier? Quels leviers activer? Dans quelle mesure peut-on optimiser son apport à l’amélioration de la performance du personnel de production?
S’inspirant d’une recherche-action menée en 2011, le présent article dégage les facteurs essentiels à considérer. Les professionnels de la formation pourront s’y référer pour accroître l’efficacité des interventions menées auprès des employés de production en contexte manufacturier et appuyer le positionnement stratégique de leur service. Il présente également l’expérience de Bombardier Aéronautique, qui a adopté une approche systémique d’amélioration de la performance humaine, en appui au nouveau programme CSeries.
Ingénierie de la performance humaine (IPH)L’ingénierie de la performance humaine est une approche d’intervention systémique et systématique visant à résoudre des problèmes et à saisir des occasions liées à la performance des personnes. Axée sur les résultats, cette approche vise l’atteinte d’un accomplissement humain auquel l’organisation accorde une valeur. Le processus d’intervention privilégié comporte quatre étapes fondamentales : l’analyse des besoins, l’analyse des causes, la sélection et l’évaluation d’interventions présentant le meilleur potentiel d’impact, à moindre coût (adapté d’ISPI; Gilbert, 1978; Stolovitch et Keeps, 1999; Pershing, 2006, Rummler et Brache, 1995; Broad, 1997).
En observant la performance à plusieurs niveaux (organisation, emploi, tâche), cette approche ouvre la porte à l’utilisation d’interventions très diversifiées, et non uniquement liées à la formation (Gilbert, 1978; Irlbeck, 2002). En ce sens, selon Patricia L. Hardré, l’IPH offre une vision plus intégratrice de la performance humaine que les modèles classiques d’ingénierie de l’apprentissage. Il revient donc à l’intervenant en IPH, au delà des considérations propres à sa fonction, d’orchestrer les efforts d’individus aux expertises et responsabilités variées dans la mise en œuvre de projets d’amélioration de la performance humaine. En adoptant un tel rôle, le professionnel de la formation peut élargir la portée de ses actions et son influence comme partenaire de choix en amélioration de la performance.
Leviers à mettre en œuvreLe processus d’intervention est au cœur de la démarche en vue d’optimiser les interventions auprès des employés de production.
1. Analyser les besoins pour cerner l’écart de performance, tout en vérifiant la pertinence d’effectuer une intervention pour le combler. La collecte d’information qualitative et quantitative, appuyée sur des indicateurs de performance mesurables, favorise une perception partagée du problème par l’ensemble des acteurs (Pershing, 2006; Kaufman et Swart, 2009).
2. Analyser les causes de façon à cibler les facteurs environnementaux ayant une incidence sur la performance des individus, des groupes et de l’organisation. On s’intéressera en priorité aux systèmes organisationnels, aux systèmes de gestion, aux systèmes humains et sociaux de même qu’à l’environnement technique et physique (voir figure 1). Les problèmes souvent complexes alors rencontrés peuvent requérir des interventions multidisciplinaires.
3. Sélectionner la ou les meilleures solutions pour combler ces écarts de performance, qu’elles soient liées ou non à la formation, et ainsi mobiliser les parties prenantes dans la mise en œuvre de ces solutions. Les spécialistes impliqués sont amenés à déterminer à la fois la nature des interventions, les coûts et les retombées probables. Ils identifient de façon pertinente des options qui présentent un meilleur rapport efficacité-coût. Par ailleurs, une approche combinant plusieurs types d’intervention favoriserait l’efficacité et le caractère durable des mesures mises en place (Pershing, 2006; Alvero, Austin et Sasson, 2006; Broad, 2006). Ce travail collaboratif facilite également l’évaluation des retombées. La responsabilité de démontrer la valeur ajoutée est alors partagée, plusieurs interventions étant menées de concert pour combler un même écart.
4. Évaluer et mesurer tout au long du processus d’intervention. Ces activités permettent la collecte de données qui appuient l’analyse des besoins, le choix des interventions, la rétroaction entre l’intervenant et les parties prenantes, l’évaluation de l’impact et la rentabilité de la démarche (ISPI, 2008). Interrogées sur les résultats et la valeur ajoutée des interventions du service d’apprentissage, les entreprises balisées dans le cadre de la recherche citent en exemple les indicateurs de performance de l’organisation, tels que le temps de cycle, les délais de livraison, les rejets ou les erreurs. À terme, si l’évaluation et la mesure n’occupent pas une place centrale dans les projets d’amélioration de la performance, il demeurera difficile de prétendre générer une valeur ajoutée pour son client (Guerra-Lopez et Leigh, 2009).
Compétences distinctives de l’intervenant en IPHL’exercice de ce rôle élargi exige du professionnel de la formation qu’il détienne certaines compétences particulières, dont la capacité à comprendre et à anticiper la stratégie de l’entreprise, ou encore à influencer l’organisation et les principales parties prenantes pour enclencher le changement (Freman-Smith, 2009). Il doit s’intéresser aux affaires : indicateurs de mesure de la performance organisationnelle, préoccupations des gestionnaires, facteurs perturbateurs sur une ligne de production, etc. Cette compréhension accrue lui permettra d’adapter son langage lorsque viendra le temps de coordonner les efforts d’une équipe multidisciplinaire et de positionner les interventions auprès de la direction. S’il s’intègre aux systèmes de gestion en place, le professionnel de la formation pourra également suivre l’évolution des affaires. Il sera aux premières loges pour constater les retombées des interventions, les mettre en lumière ou s’ajuster devant l’absence d’impact. Cette relation de proximité contribuera aussi à la création de partenariats avec les leaders des groupes ayant des objectifs d’amélioration concourants.
L’expérience de Bombardier Aéronautique
L’initiative Écosystème du programme CSeries est une démarche qui illustre en plusieurs points le caractère systémique de l’ingénierie de la performance humaine. Elle est le fruit de l’engagement du vice-président des opérations, lui-même entouré de visionnaires parmi les hauts dirigeants, à atteindre un seuil de performance de classe mondiale dans la mise en service de l’avion.
Dès les premières phases de conception de l’avion, le service d’apprentissage organisationnel a participé à des discussions de fond avec ces leaders quant à leur vision de l’apprentissage et de la performance à atteindre. La mise en commun des besoins provenant de toutes les parties prenantes a été un point tournant qui a mené à des décisions clés sur la création de valeur et l’adoption d’une approche intégrée d’amélioration de la performance humaine. Cette vision a inspiré le déploiement de plusieurs mesures convergentes, dont certaines sont soulignées dans le tableau ci-dessous.
Interventions Écosystème | Leviers activés |
L’avion en bois. La construction, par les employés de production, d’une réplique grandeur nature de l’avion CSeries pour simuler son assemblage. Les employés ont concrètement validé leur environnement de travail et suggéré plus de 1250 opportunités d’amélioration, dont plus de 900 ont déjà été implantées. Celles-ci ont contribué à réduire les risques associés à la sécurité, à la qualité et à la productivité. |
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Refonte des processus clés et mise en place d’outils technologiques intégrés pour favoriser la standardisation des pratiques et assurer la synergie des processus, de la conception du produit au soutien en service, en passant par la fabrication. |
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Programme d’intégration et de formation structuré pour tous les leaders et employés de l’avion CSeries. Destiné aux employés actuels ainsi qu’aux recrues, et animé par les gestionnaires de tous les niveaux de l’organisation, le programme d’intégration a eu pour effet d’accélérer l’adhésion à la culture d’amélioration continue, d’habiliter les employés et gestionnaires à agir avec compétence et de réduire la courbe d’apprentissage à leur arrivée en poste. |
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Recommandations
En résumé, il est recommandé aux professionnels de la gestion des ressources humaines ou de la formation œuvrant dans une organisation manufacturière, s’ils souhaitent améliorer la performance humaine de leur personnel de production, de mettre en œuvre les actions suivantes.
Préparer l’organisation
- Décrire ce qu’on entend par « performance » et identifier clairement le ou les objectifs d’amélioration organisationnels, en vue de favoriser l’alignement des différents services impliqués.
- Expliciter les mandats, rôles et responsabilités de chacun des individus ou services engagés dans des activités d’amélioration de la performance et encourager la collaboration au sein de groupes de travail multidisciplinaires.
- Orienter les systèmes de gestion vers l’atteinte des résultats valorisés par l’organisation.
Améliorer les pratiques
- Définir et appliquer un processus d’intervention qui encadre le rôle de l’intervenant en IPH et mettre en place des mesures d’évaluation à chacune des étapes de ce processus.
- Rapprocher l’intervenant et ses pratiques du terrain afin de favoriser la mobilisation des diverses parties prenantes.
- Mettre en œuvre des interventions variées, combinatoires et multidisciplinaires, en s’assurant que les efforts sont coordonnés et intégrés par un intervenant en IPS.
Cet article a mis en valeur des facteurs qui contribuent à l’amélioration de la performance humaine en contexte manufacturier et propose une approche reconnue pour parvenir à cette fin. Au professionnel de la formation, cette approche offre l’occasion d’exercer un rôle élargi comme chef d’orchestre et gardien du processus d’intervention. En combinant les efforts d’autres groupes œuvrant à l’amélioration de la performance, il optimise l’apport de chacun.
On peut affirmer qu’un tel décloisonnement des tâches du professionnel de l’apprentissage favorisera le positionnement de ce service comme acteur stratégique en amélioration de la performance humaine. On peut également spéculer qu’une participation accrue à ces projets multidisciplinaires facilitera l’identification d’indicateurs de mesures des retombées et accentuera la reconnaissance de la contribution de toutes les parties prenantes aux résultats, y compris celle du service de formation.
Julie Gouin, CRHA, chef de service, apprentissage organisationnel, Bombardier Aéronautique
Sonia Archambault, CRHA, conseillère ressources humaines et coordonnatrice de la formation, Albany International
Éric Bonneau, conseiller, santé, sécurité, Est du Canada, Dyno Nobel
Sébastien Drainville, consultant en technologies d’apprentissage
Source : Effectif, volume 17, numéro 1, janvier/février/mars 2014.
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