Les facteurs aggravants n’arrêtaient pas de défiler dans la tête de notre gestionnaire : gravité de la faute, importance du poste occupé, taux d’absentéisme élevé, manque d’honnêteté, mise en péril de la réputation de l’entreprise, entorse au Code d’éthique. Bref, rupture du lien d’emploi et bien-fondé de la décision de mettre fin à son emploi.
À force de se répéter mentalement les points forts de son dossier, voici qu’une petite voix, de plus en plus forte, se fit entendre à l’oreille de cette gestionnaire : « As-tu vraiment écouté ce que le plaignant avait à te dire au sujet de son cas? ».
Prise au jeu, la gestionnaire (G) se mit à dialoguer intérieurement avec cette voix (V).
G – Mais bien sûr! Je l’ai rencontré, comme il se doit, avant de lui remettre son avis de congédiement.
V – Et que lui as-tu dit?
G – D’entrée de jeu, je lui ai dit que l’absentéisme abusif est à proscrire au sein de notre entreprise. En guise de preuve, je lui ai exhibé des statistiques récentes, qui démontrent sans l’ombre d’un doute que notre entreprise ne peut plus se payer le luxe de fermer les yeux sur les nombreuses absences de ses salariés.
V – Mais as-tu demandé et surtout écouté pourquoi ce salarié s’était absenté du travail dans les derniers mois?
G – À quoi bon? Ce sont toujours les mêmes excuses qui reviennent, jour après jour.
V – Et si les motifs d’absence étaient bien particuliers, ta décision aurait-elle été la même?
G – Que veux-tu dire?
V – Et si je te disais qu’en moins de trois mois, toutes les tuiles possibles sont tombées une à une sur le plaignant? AVC de son père et décès subséquent, Alzheimer subit de sa mère et placement immédiat requis, accident d’auto de sa sœur et nécessité pour le plaignant d’assurer son transport au travail matin et soir, départ de sa conjointe du domicile conjugal et déménagement consécutif du plaignant. Et, comble de malheur, diagnostic de cancer du côlon, avec intervention chirurgicale imminente!
Silence de la gestionnaire, qui regardait ses colonnes de statistiques, indiquant un taux croissant d’absentéisme pour l’ensemble des salariés de l’entreprise. La voix reprit doucement :
V – Ce sont pourtant là les facteurs atténuants que l’arbitre a pris en compte et a relatés dans sa sentence arbitrale. Et quand le procureur syndical t’a demandé si tu avais pris en considération le dossier du plaignant, tu as répondu un non catégorique.
Baissant la tête, la gestionnaire reconnut son manquement dans l’appréciation des circonstances particulières justifiant l’absentéisme du plaignant; elle invoqua alors le deuxième volet du dossier en question :
G – N’oublie pas qu’il a falsifié deux certificats médicaux. Cela justifie amplement son congédiement.
V – Certes, mais le plaignant s’est confessé de sa faute à la première occasion. Mais réalises-tu que l’arbitre a retenu que c’est en raison du suivi très serré que tu as exercé à l’endroit du plaignant que ce dernier s’est senti contraint de fournir coûte que coûte des certificats médicaux pour justifier ses absences? Sais-tu pourquoi il a falsifié son premier certificat médical? Eh bien, je vais te le dire! Le plaignant a eu une gastroentérite pendant deux jours. Alors qu’il ne pouvait pas sortir de chez lui, tu as insisté pour qu’il se rende à la clinique afin d’obtenir un certificat médical. Ai-je vraiment besoin d’épiloguer? Quant à son deuxième certificat médical, le plaignant s’est bien rendu à l’hôpital cette journée-là. Il devait subir une intervention chirurgicale mineure. Mais en raison d’une forte fièvre due à une grippe carabinée, le spécialiste a reporté son intervention chirurgicale à une autre date.
G – Cela n’excuse pas sa falsification de deux certificats médicaux.
V – C’est bien ce que l’arbitre a écrit en toutes lettres dans sa sentence. Mais as-tu lu le reste de sa phrase? L’arbitre t’a reproché de ne pas avoir tenu compte du formulaire que tu avais pourtant demandé au médecin spécialiste de te fournir, dans le cadre de ton enquête disciplinaire. Il y est écrit, noir sur blanc, que le plaignant s’est bel et bien rendu à l’hôpital ce jour-là, qu’il a subi différents tests, mais que son intervention chirurgicale a été reportée à une autre date en raison de sa forte fièvre.
G – Le Code d’éthique de l’entreprise est bien clair : toute falsification constitue une faute grave, méritant discipline, laquelle peut aller jusqu’au congédiement.
V – Tu viens de le dire toi-même, « peut » et non « doit » aller jusqu’au congédiement. Autrement dit, il n’y a pas d’automatisme. Tu dois exercer ton jugement et tenir compte des circonstances particulières au cas spécifique que tu dois traiter. C’est d’ailleurs ce que le Code du travail du Québec enseigne aux arbitres, à l’article 100.12 f).
Avec fermeté, la petite voix conclut ainsi :
V – À défaut pour toi d’en tenir compte avant d’imposer la mesure disciplinaire, voici que l’arbitre rétablira la balance, considérera « toutes les circonstances de l’affaire » et, comme dans le présent cas, substituera au congédiement initialement imposé une autre mesure « qui lui paraîtra juste et raisonnable ».
G – Mais que faire de la réputation de l’entreprise? Nos clients font régulièrement affaire avec cet acheteur, qui a fait preuve de malhonnêteté et qui, par surcroît, occupe un poste de confiance au sein de l’entreprise.
V – À ce que je sache, les certificats médicaux sont confidentiels et ne sont donc pas portés à la connaissance des clients de l’entreprise. Qui plus est, le poste occupé par le plaignant depuis quinze ans (sans reproches et, au contraire, avec louanges de clients) n’a pas l’importance hiérarchique que tu as voulu faire entendre en arbitrage.
Sur ces paroles de sa voix intérieure, la gestionnaire s’est mise à relire, d’un œil nouveau, la sentence arbitrale qu’elle tenait encore dans ses mains et qui réintégrait le plaignant, moyennant une suspension sans traitement de plusieurs mois. Cette relecture l’a amenée à prendre en considération les principes généraux suivants, histoire de présenter la prochaine fois un dossier d’arbitrage gagnant-gagnant.
- En matière de vol ou de fraude, il faut se garder de tout automatisme, comme en a décidé la Cour suprême du Canada dans le célèbre arrêt McKinley (2001 2 R.C.S. 161). Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il y a eu falsification qu’il y a pour autant rupture du lien de confiance et, automatiquement, imposition d’un congédiement.
- S’il est vrai que le plaignant a falsifié deux certificats médicaux, ce qu’il l’a lui-même reconnu, ces certificats représentaient son véritable état de santé pour les deux courtes absences en litige. En ont dûment attesté le spécialiste qui a décidé d’annuler l’intervention chirurgicale en raison de l’état de santé de plaignant de même que le médecin traitant que le plaignant a dû consulter après sa gastroentérite.
- Un suivi médical trop serré risque d’amener un salarié à vouloir répondre « coûte que coûte » aux exigences de son employeur.
- Ce serait une erreur de se concentrer seulement sur une période d’absences dues à des incidents éprouvants et d’oublier l’ensemble du portrait du salarié (longue ancienneté, bon dossier d’emploi, louanges de clients).
- Nul n’est à l’abri des rhumes, gastroentérites et autres petites affections! C’est d’ailleurs pour cela que les conventions collectives prévoient généralement des banques de congés de maladie, soit, dans ce cas précis, de 15 jours par année.
- Le passé n’est pas toujours garant du futur. Ce n’est pas parce que l’on a dû s’absenter pour des raisons sérieuses (décès, cancer, divorce) que l’employeur doit agir de façon déraisonnable, en exigeant un certificat médical pour la moindre absence subséquente, alors que la convention collective ne requiert un certificat que pour une absence de plus de trois journées consécutives.
- La gestionnaire en poste ne doit pas agir avec rigidité, avec des œillères, sous peine de voir l’arbitre rétablir la situation.
- Il faut vraiment se mettre à la place de l’autre partie lorsqu’on se prépare pour un arbitrage de grief. Si on ne le fait pas, l’arbitre le fera sûrement! L’arbitre n’a pas le choix, il doit soupeser les positions des deux parties et prendre en compte toutes les circonstances de l’affaire sous étude, avant de rendre sa décision.
Me Diane Sabourin, CRHA, arbitre de griefs et formatrice
Source : Effectif, volume 17, numéro 2, avril/mai 2014.