Le Canada est le champion international du télétravail, selon une étude récente de deux instituts européens. Pourtant, aucune loi n’encadre cette pratique au Québec. Les entreprises doivent donc s’en remettre aux balises juridiques applicables pour adapter leurs politiques internes à cette nouvelle réalité et régler les litiges.
L’étude menée par l’ifo Institute et EconPol Europe révèle que le personnel aimerait avoir, en moyenne, deux jours de télétravail par semaine. À l’inverse, le patronat n’envisage que 1,1 jour de télétravail par semaine dans un monde postpandémique. À l’échelle provinciale, la main-d’œuvre ontarienne est la plus nombreuse à travailler à distance (25 %), suivie par celle du Québec (20 %), selon un récent sondage de la firme Léger.
Le ministre du Travail Jean Boulet estime toutefois qu’il est inutile de légiférer et qu’il revient aux entreprises d’adopter leurs propres stratégies. Cette absence de cadre légal fait émerger des réflexions sur le respect des droits et des obligations en matière de santé et de sécurité du travail, du droit à la vie privée et de la protection des renseignements personnels, ou encore en ce qui concerne la gestion de la performance.
Un enjeu fondamental lié aux modes de travail à distance est l’horaire du personnel, dit incontrôlable. Alors que la frontière entre le fait d’être au travail ou non est de plus en plus poreuse, les gestionnaires doivent porter une attention particulière au temps et communiquer clairement leurs attentes. Cela implique, entre autres, de réfléchir au droit à la déconnexion. « On peut s’attendre à ce que la personne soit disponible en tout temps durant les heures normales de bureau et, lorsque ce n’est pas le cas, on doit avoir des règles qui obligent d’aviser le supérieur immédiat, lance Marianne Plamondon, CRHA, avocate associée chez Langlois Avocats. Rappelons que le télétravail est un privilège. »
Litiges avec le personnel
À moins d'en avoir convenu à l’embauche et indiqué dans le contrat, l’entreprise est toujours en droit d’exiger un retour au travail en présentiel. Cela dit, ce n’est pas parce qu’une personne refuse de revenir dans les locaux qu’il est permis de la congédier immédiatement. Le refus de revenir au travail et l’insubordination doivent alors faire l’objet d’une gradation des sanctions pour pouvoir éventuellement justifier une fin d’emploi.
Au-delà des enjeux spécifiques au télétravail, il est d’ailleurs nécessaire de faire la différence entre l’intervention disciplinaire et l’intervention administrative.
« L’intervention est disciplinaire pour un acte fautif, tel que des retards, un vol, des périodes d’absence, c’est-à-dire un comportement volontaire de la personne employée, explique Marjolaine Lessard-Jean, avocate chez Langlois. Elle a un but répressif et un caractère d’exemplarité. » L’intervention administrative, quant à elle, est non fautive parce qu’involontaire. L’acte est lié à une incapacité physique, mentale ou un manque de formation, par exemple. Une telle mesure vise à restaurer l’efficacité au sein de l’organisation. Lorsqu’une personne agit à la fois volontairement et involontairement, une intervention mixte peut être envisagée.
Face à une sanction sévère comme le congédiement ou une situation de harcèlement psychologique, le personnel bénéficie de plusieurs moyens de recours et peut réclamer une indemnité ou des dommages à la suite d’un licenciement abusif. Il peut porter directement plainte à l’interne, saisir la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, l’arbitre de griefs s’il est syndiqué, la Cour du Québec ou la Cour supérieure.
Gestion d’une intervention disciplinaire
Lorsqu’une intervention disciplinaire est nécessaire, plusieurs étapes doivent être suivies, et le tout s’applique autant en télétravail qu’en présentiel. Dans un premier temps, les gestionnaires ont la responsabilité de vérifier les faits et de colliger les preuves pertinentes pour en établir une description détaillée, par écrit. De quel type d’acte s’agit-il exactement? Quel jour et à quelle heure a-t-il été commis? À quel endroit? Qui peut corroborer?
Il est ainsi judicieux d’identifier des témoins et de collecter les déclarations de toutes les personnes impliquées. « Il est fondamental de connaître la version de la personne qui aurait commis l’acte fautif avant d’imposer la sanction », précise Marjolaine Lessard-Jean. À la suite de l’enquête, une intervention ne sera peut-être pas requise s’il n’y a finalement pas eu de faute, en l’absence de preuves, si le règlement est imprécis, inconnu ou incompris, ou si la situation résulte d’un conflit de personnalités. En revanche, si la faute est prouvée, des mesures devront être prises.
Dans un deuxième temps, s’il y a matière à intervenir, il peut s’agir d’une suspension temporaire, notamment en cas de violence, de harcèlement, de vol ou de fraude. « C’est une décision qui doit être prise à tête reposée et non sous le coup de l’émotion », souligne Marjolaine Lessard-Jean. La sévérité de la sanction est généralement établie de façon graduelle, selon un principe d’équité, c’est-à-dire que tout le personnel doit être traité de la même façon pour un acte et un dossier similaire. Un simple avis verbal ou écrit pourra parfois suffire. Les circonstances atténuantes ou aggravantes, le degré de la faute et son incidence sur l’image de l’entreprise sont tout autant de facteurs déterminants.
Une fois choisie, la mesure doit être mise par écrit et versée au dossier de la personne sanctionnée en rappelant les règles de conduite de l’entreprise et les conséquences en cas de récidive. Lors d’une rencontre disciplinaire, les expertes suggèrent à la hiérarchie immédiate et aux ressources humaines d’être présentes. La sanction doit être imposée dans un délai raisonnable ou selon la procédure prévue dans la convention collective ou le contrat de travail.
Rendement et performance en contexte de télétravail
En cas d’absentéisme involontaire, d’incompétence ou de performance inadéquate comme c’est le cas dans le quiet quitting, une évaluation de rendement permettra de connaître les forces et les faiblesses du personnel. Un suivi proactif est primordial. « C’est important de planifier des réunions régulières et participatives, au moins deux fois par an et d’une durée de plus d’une heure, affirme Marianne Plamondon. Il faut demeurer objectif, donner l’heure juste, et faire preuve d’équité envers tous les membres d’une même équipe. »
Si un problème de rendement est constaté, il est recommandé de mettre en place un plan d’intervention en recueillant des éléments précis sur les causes et les conséquences. Ce plan d’amélioration de la performance devrait être clair, encourageant et inclure un énoncé des compétences attendues ainsi qu’un échéancier de quatre à six mois pour démontrer les évolutions. La personne employée doit comprendre rapidement les actions qui s’imposent et pourrait même bénéficier d’une formation ou de mentorat pour y arriver.
En contexte de télétravail, si des doutes sérieux sont émis quant à l’intégrité d’un employé ou employée, le recours à la surveillance pourrait être justifié, mais il est fondamental de se questionner sur la légalité à l’égard de la vie privée des outils utilisés. « Pour être légitime, la surveillance effectuée devrait se faire sous forme de vérifications sporadiques et non de manière continue et systématique », souligne Marjolaine Lessard-Jean.
D’autres types d’interventions administratives sont parfois utiles, comme la lettre administrative, la rétrogradation, voire le congédiement, à condition de respecter la règle applicable. Il existe cinq exigences auxquelles l’entreprise doit satisfaire si elle souhaite congédier une personne. La première est de s’assurer que celle-ci connaît les politiques et les attentes de l’entreprise. Ses lacunes lui ont été signalées, elle a bénéficié de soutien ainsi que d’un délai pour corriger la situation. Enfin, elle a été prévenue du risque de congédiement à défaut d’amélioration.
Chaque mesure doit être adaptée au cas particulier et documentée de façon détaillée. Dans un contexte de télétravail, une politique et un manuel incluant les attentes de l’entreprise sont incontournables pour éviter les litiges et assurer une gestion efficace de la performance.
Nous remercions Me Marianne Plamondon, CRHA et Me Marjolaine Lessard-Jean, avocates chez Langlois pour leur collaboration à cet article.