Que l’on ait 2 ou 25 années d’expérience, chaque entrevue lors d’une enquête de harcèlement, ou toute autre enquête de nature administrative, peut réserver son lot de surprises. Dans les dossiers de harcèlement, ces entrevues sont fondamentales, car elles fournissent généralement les éléments essentiels sur lesquels l’enquêteur basera ses conclusions. Voici quatre principes essentiels qui guideront le CRHA dans la préparation et la réalisation de telles entrevues.
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Connaître les règles du processus
D’emblée, la personne interviewée, qu’elle soit plaignante, mise en cause ou témoin, sera vraisemblablement intimidée à l’idée de participer à votre entrevue. Pour la plupart, il s’agit d’une première expérience et peut-être même de la dernière dans le cadre d’un tel processus. Se retrouver face à un enquêteur qui est sûr de lui fera toute la différence.
Il est important de se procurer et de réviser la plainte originale ainsi que toute déclaration présente dans le dossier. Il est également essentiel de connaître les directives, les politiques ou les autres règles encadrant le processus d’enquête de harcèlement au sein de votre organisation ou, le cas échéant, chez votre client.
En tant qu’enquêteur, vous devez avoir un mandat clair. Dans la plupart des cas, ce mandat provient du service des ressources humaines et s’appuie sur une directive d’entreprise. À titre de rappel, au Québec, la Loi sur les normes du travail impose l’obligation à l’employeur d’adopter une politique concernant la prévention du harcèlement, ce qui comprend le traitement des plaintes. L’enquêteur doit être diligent et demander copie de cette politique. Certains organismes publics, par exemple le gouvernement fédéral, iront jusqu’à publier un guide d’enquête. Ces documents sont une source inestimable de renseignements pertinents.
En l’absence de règles précises, il est alors de votre responsabilité de confirmer avec votre mandant le cadre d’opération et la base de votre autorité d’enquête. Le mandant ainsi que la révision personnelle des règles du processus d’enquête en vigueur répondront habituellement à plusieurs de vos questions.
Une excellente connaissance de vos obligations et de vos responsabilités vous servira de base afin de répondre aux questions fréquentes des personnes interviewées :
- Peut-on enregistrer l’entrevue?
- Peut-on être accompagné?
- Où aura lieu l’entrevue?
- Quel genre de rapports seront produits?
- Qui aura accès aux rapports?
Sans être une liste exhaustive, ces questions sont celles qui reviennent le plus fréquemment et auxquelles il faut être préparé avant les entrevues. L’enquêteur bien préparé qui répond avec assurance aux préoccupations des personnes interviewées saura s’attirer le respect de son interlocuteur et démontrer qu’il prend le dossier au sérieux.
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Établir le lien de confiance
Une méthode efficace pour entrer en contact avec les personnes qui seront interviewées est de demander au service des ressources humaines d’envoyer individuellement un premier avis à chacune d’entre elles afin de les informer du début du processus d’enquête et que l’enquêteur prendra directement contact avec elles. Lorsque cette démarche est faite par courriel, l’enquêteur peut être en copie conforme. Ce processus légitime l’intervention de l’enquêteur, particulièrement s’il fait partie d’une firme externe.
Ensuite, un contact écrit peut être établi avec chaque participant. Cet échange permet de programmer la rencontre, en personne ou en vidéoconférence. Dans cette note, il est conseillé d’informer la personne interviewée des renseignements essentiels suivants (liste non exhaustive) :
- Le droit à une entrevue dans la langue officielle de son choix;
- Le droit d’être accompagné;
- Le droit de réviser sa déclaration;
- Le devoir de confidentialité.
Ces éléments peuvent être complétés par d’autres dispositions faisant partie du processus interne, ce qui permet de répondre aux questions de base. Il est également recommandé de communiquer à la personne interviewée un plan des étapes à venir afin de la rassurer. Bien entendu, chaque élément d’information essentiel énoncé peut bénéficier de détails supplémentaires.
Par exemple, si l’on informe la personne interviewée de son droit d’être accompagnée, il est judicieux de demander l’identité de l’accompagnateur avant l’entrevue, le cas échéant. Cette précaution évite que l’interviewé se présente avec une personne faisant déjà partie de votre liste d’entrevues...
Le mot d’ordre pour la convocation : soyez CLAIR et PRÉCIS.
Une fois la convocation envoyée, il est possible que l’interviewé souhaite contacter l’enquêteur pour d’autres questions. Une première invitation bien préparée évitera la grande majorité de ces situations. Pour les exceptions, un appel ou une correspondance complémentaire, peuvent être nécessaires. Cependant, il convient d’éviter les discussions portant directement sur l’affaire et pouvant faire partie de la preuve. L’entrevue est le forum approprié pour cet échange.
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Maintenir la confiance pendant l’entrevue
Le jour de l’entrevue, il est essentiel de continuer à faire preuve d’impartialité ainsi que d’intégrité et de démontrer sa connaissance du processus. Dans n’importe quelle rencontre, personnelle ou professionnelle, il y a toujours un moment que l’on surnomme « casser la glace ». Cette étape est d’autant plus importante lorsqu’il s’agit d’une entrevue dans le cadre d’une enquête.
Chacun a sa propre technique pour mener à bien les entrevues. Il peut être rassurant d’entamer la conversation avec un sujet connu que vous avez déjà exposé lors de l’invitation, comme le rappel des droits et des responsabilités des parties ou des témoins.
Proposer un court préambule à l’entrevue est une approche plus légère que d’entrer directement dans le vif du sujet. Ce préambule, s’il fait partie de la déclaration qui sera éventuellement révisée et signée par la personne interviewée, sert également à prouver que cette dernière a bel et bien été informée de la possibilité d’être accompagnée, de poser des questions pendant l’entrevue, de s’engager à assurer la confidentialité de l’entretien, etc.
Cette période en début d’entrevue, que l’on pourrait qualifier de formalité administrative, vise à détendre l’atmosphère et à permettre à l’enquêteur et à l’interviewé de s’ajuster au ton de chacun. Après avoir passé en revue les engagements de chacun, il est judicieux de commencer par la question suivante : « Avez-vous des questions? » C’est la première question, et elle permet d’évacuer toutes les inquiétudes dès le début. Bien entendu, les questions posées par les interviewés ainsi que les réponses de l’enquêteur sont consignées dans la déclaration.
À propos de la déclaration, il est pertinent de rappeler à la personne interviewée qu’elle pourra la réviser et qu’il sera possible d’y apporter des modifications si nécessaire. Cette mesure s’applique surtout lorsque l’enquêteur paraphrase les propos recueillis. Autant que possible, on essaiera de prendre les notes sous forme de verbatim lorsque les réponses sont courtes. Cette technique s’applique également si on utilise un enregistrement, car il est rare que l’on effectue une transcription intégrale de l’entrevue pour les besoins du rapport d’enquête. Dans ce dernier cas, l’enregistrement intégral peut être fourni comme annexe sous forme électronique.
Afin d’éviter les surprises à la suite de la révision de la déclaration, on peut prendre le temps de relire nos notes d’entrevue en présence de l’interviewé, avant la fin de l’entretien. On évitera ainsi les ambiguïtés ou les mauvaises interprétations lors de la prise de note. En procédant de cette façon, on devrait se retrouver avec une déclaration révisée qui sera minimalement amendée lors de sa révision.
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Garder le cap!
Une des difficultés souvent rencontrées lors des entrevues est celle de garder le cap sur les allégations qui font l’objet d’une enquête.
Lors de la révision initiale des allégations, il est fortement suggéré de préparer un questionnaire pour chaque personne qui sera interviewée. Il faut se rappeler que les allégations fondées reposent sur des critères précis qui sont généralement reconnus comme étant :
- La répétition ou la conduite grave;
- La conduite vexatoire hostile ou non désirée;
- La conduite qui porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique;
- La conduite qui rend le milieu de travail néfaste.
Attention! Il faut prendre connaissance de la définition exacte qui se trouve dans la politique de l’employeur. Donc, on cherchera à établir l’existence de critères qui soutiendront notre conclusion.
Même si, parfois, les parties ou les témoins sont très loquaces, on doit faire preuve de patience tout en ramenant l’interviewé aux allégations qui font l’objet d’une enquête. Il est possible que certaines questions portent sur le contexte entourant une allégation et se révèlent très pertinentes; toutefois, on reste principalement concentré sur les faits.
Si une partie ou un témoin ne se rappelle pas certains faits, il faut alors les rassurer de cette possibilité et surtout éviter de se laisser entraîner du côté des présomptions ou des évènements hypothétiques.
Il arrive parfois que des incidents qui pourraient faire surgir d’autres allégations soient portés à la connaissance de l’enquêteur. Dans ces cas, il est généralement entendu avec le mandant que l’enquêteur l’en avisera et devra obtenir une modification du mandat d’enquête original pour inclure ces allégations additionnelles.
Conclusion
La communication est la première qualité essentielle d’un enquêteur lors de l’entrevue. C’est donc sur la base d’une communication claire et sans ambiguïté que repose l’entretien. En veillant à établir une relation de confiance dès le début et en fournissant les informations nécessaires, on permet aux parties et aux témoins impliqués de se sentir à l’aise durant leur entretien.
L’enquêteur est à la recherche de faits qui soutiendront son analyse rigoureuse pour une conclusion probante quant aux allégations en cause. À titre d’enquêteur et de CRHA, il est de notre responsabilité de mener ces entretiens avec empathie, intégrité et impartialité.
Bien qu’il soit probable que l’employeur pour lequel l’enquêteur effectue le mandat ait déjà une politique de prévention en matière de harcèlement en milieu de travail, l’Ordre met à notre disposition un guide d’encadrement qui détaille l’ensemble du processus d’enquête de façon générale.
L’usage du masculin dans ce document a pour seul but d’alléger le texte.