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Présence syndicale en matière disciplinaire : portée et limites

La présence d’un représentant syndical dans le traitement d’un dossier disciplinaire a une portée qui varie selon la convention collective applicable et l’interprétation jurisprudentielle en découlant. En s’appuyant sur plusieurs affaires, les auteures nous proposent un portrait concis et exhaustif. 
29 octobre 2025
Me Marie-Gabrielle Bélanger, CRIA | Me Frédérique Dalpé

Présence syndicale en matière disciplinaire : portée

L’implication du syndicat dans le traitement des dossiers disciplinaires demeure un sujet d’importance au sein du droit du travail québécois. La recherche d’un équilibre entre la protection des droits individuels et la préservation de l’autorité de l’employeur y est d’ailleurs constante. La présence du représentant syndical lors d’une rencontre de nature disciplinaire peut, selon le contexte, s’inscrire dans une logique de garanties procédurales. Toutefois, la portée de cette présence varie sensiblement selon les stipulations de la convention collective applicable et l’interprétation jurisprudentielle qui en découle.

En effet, les conventions collectives peuvent prévoir la présence syndicale lors d’une rencontre de nature disciplinaire, comme une faculté offerte au salarié ou, à l’inverse, une obligation stricte imposée à l’employeur. Cette distinction n’est pas sans conséquence sur la validité des mesures disciplinaires adoptées subséquemment. Par exemple, dans l’affaire Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal et Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux[1], l’arbitre était appelé à analyser une clause conventionnelle selon laquelle le salarié convoqué à une rencontre disciplinaire pouvait exiger d’être accompagné d’un représentant syndical. Cette formulation laissait au salarié la liberté d’exercer ce droit, et l’absence du représentant syndical ne conduisait ainsi pas automatiquement à la nullité de la sanction disciplinaire imposée.

À l’opposé, la décision rendue par l’arbitre dans l’affaire Association des formateurs en conduite automobile du Québec (CSD) et École de conduite Tecnic Rive-Sud inc.[2] met en lumière une clause conventionnelle d’une rigueur formelle. Dans cette affaire, la convention collective prévoyait qu’un représentant du syndicat devait être présent à toute convocation d’un salarié lorsque l’employeur envisageait d’imposer une mesure disciplinaire. L’emploi du verbe « devoir » conférait ainsi à cette exigence un caractère impératif, et l’arbitre a considéré, dans sa décision, que son inobservation constituait un vice de fond. L’absence du représentant syndical lors de la rencontre disciplinaire a alors entraîné l’annulation de la sanction, le salarié devant être réintégré et indemnisé pour les pertes subies.

L’examen parallèle de ces deux décisions permet de saisir avec précision les conséquences juridiques de l’absence du représentant syndical lors d’une rencontre de nature disciplinaire. Lorsque la convention collective prévoit simplement la possibilité pour le salarié d’être accompagné, l’absence du représentant n’est pas, en soi, de nature à vicier la mesure disciplinaire, sauf en cas de préjudice démontré. En revanche, lorsque la convention impose la présence syndicale comme une obligation de fond, le non-respect de cette exigence vicie le processus et entraîne l’annulation de la sanction, indépendamment de la démonstration d’un préjudice. Cette dichotomie jurisprudentielle souligne l’importance, pour les praticiens, de maîtriser les dispositions conventionnelles applicables, celles-ci déterminant non seulement l’étendue des droits des salariés, mais également les obligations de l’employeur et les conséquences d’un manquement à la procédure.

Présence syndicale en matière disciplinaire : limites

Au-delà de la question de la présence du représentant syndical, il est essentiel d’approfondir la réflexion sur les limites de l’intervention syndicale dans le cadre du processus disciplinaire. À cet égard, la décision rendue par l’arbitre dans l’affaire Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes et Société canadienne des postes[3] offre un éclairage particulièrement instructif sur la portée et les restrictions du rôle du représentant syndical lors d’une rencontre de nature disciplinaire. Dans cette affaire, le grief syndical alléguait que la gestionnaire avait entravé l’action du délégué syndical, empêchant ainsi une défense pleine et entière du salarié et portant atteinte à la liberté d’association garantie par la Charte canadienne des droits et libertés.

L’arbitre expose d’abord le contexte : le salarié, convoqué pour une entrevue disciplinaire relative au non-port de la ceinture de sécurité, était accompagné de son délégué syndical, conformément à la convention collective. Dès l’ouverture de la rencontre, ce dernier cherche à interroger la superviseure sur des éléments périphériques, tels que son horaire de travail et sa position au moment de l’infraction. La gestionnaire refuse de répondre sur-le-champ, précisant que ces questions seraient abordées à la fin de l’entretien. Or, à la clôture de la rencontre, elle met fin à la discussion sans répondre aux questions du délégué et quitte les lieux. Par la suite, une suspension de cinq jours est imposée au salarié, sanction réduite à trois jours à l’issue du processus de grief.

Le syndicat arguait que cette attitude avait entravé la capacité du délégué à clarifier les faits et à présenter une défense complète, générant un préjudice tant pour le salarié que pour la réputation syndicale. Il sollicitait des dommages-intérêts compensatoires et punitifs, invoquant une violation de la convention collective et de la liberté d’association.

L’arbitre procède alors à une analyse minutieuse des dispositions de la convention collective. Dans le cadre de son analyse, elle rappelle que le droit de représentation syndicale vise à permettre au représentant d’accompagner le salarié, de participer de bonne foi à la discussion et de contribuer à la clarification de la situation. Toutefois, ce droit ne confère pas au délégué la prérogative de diriger la rencontre ni d’imposer la teneur des échanges. L’arbitre souligne que la conduite de l’entrevue disciplinaire relève du pouvoir de direction de l’employeur : la version à livrer est celle du salarié, et non celle du représentant syndical.

L’arbitre constate que le délégué amorce la rencontre en questionnant la superviseure avant même que le salarié ne présente sa version, ce qui n’est pas conforme à l’esprit de la procédure disciplinaire. Elle estime que le refus de la gestionnaire de répondre à ces questions était légitime, notamment pour préserver l’intégrité du processus et éviter d’influencer la défense du salarié. L’arbitre conclut que le syndicat n’a pas démontré d’entrave substantielle ni de préjudice réel : la défense du salarié a été assurée, comme en témoigne la réduction de la sanction. Enfin, elle rejette la demande de dommages punitifs, considérant que la preuve d’une conduite malveillante ou d’une atteinte grave à la liberté d’association fait défaut.

Cette analyse met en exergue les limites inhérentes à l’implication syndicale dans le processus disciplinaire. Si la convention collective protège la présence et l’action du représentant syndical, cette protection doit s’exercer dans le respect du cadre disciplinaire et des prérogatives de direction de l’employeur. Le représentant syndical ne peut exiger de l’employeur qu’il réponde à toutes ses questions, surtout si elles ne sont pas pertinentes au dossier. L’employeur conserve son droit de direction, et la conduite de la rencontre disciplinaire lui appartient. L’absence de réponse à certaines questions ou la limitation du rôle du délégué syndical ne constitue pas nécessairement une violation de la convention collective, à moins qu’un préjudice concret ne soit démontré.

Conclusion

En définitive, l’implication du syndicat dans un dossier disciplinaire s’avère être un mécanisme de protection des droits des salariés, mais elle connaît des limites inhérentes au cadre conventionnel et à la nature même du processus disciplinaire. Les décisions analysées démontrent que la présence syndicale peut être une condition de fond ou une simple faculté, selon la rédaction de la convention collective. Elles rappellent également que le rôle du représentant syndical, bien que protégé, doit s’exercer dans le respect des règles du dialogue social et des prérogatives de l’employeur. L’équilibre entre la défense des droits des salariés et le maintien de l’autorité disciplinaire de l’employeur repose sur une interprétation nuancée des textes et une appréciation contextuelle des faits, ce que la jurisprudence québécoise illustre avec clarté et rigueur.


Author
Me Marie-Gabrielle Bélanger, CRIA Avocate, associée Fasken

Marie-Gabrielle Bélanger pratique le droit du travail et de l’emploi et traite de toutes les facettes de la relation d’emploi. Ayant développé une compétence particulière dans les dossiers de harcèlement psychologique, elle est parfois appelée à agir comme enquêtrice ou comme conseillère dans le traitement des plaintes, tant auprès d’entreprises de compétence provinciale que fédérale.

Elle fournit également des conseils sur divers aspects du droit du travail et de l’emploi, y compris les conventions collectives, les relations et les normes du travail, et la santé et la sécurité au travail. Marie‑Gabrielle représente des clients devant les tribunaux administratifs et civils dans des litiges en matière d’emploi impliquant l’imposition de mesures disciplinaires, les droits de gérance de l’employeur, l’absentéisme et le harcèlement psychologique. Dans les dernières années, les changements apportés au monde du travail l’ont amenée à développer sa connaissance des nouvelles méthodes de travail, dont le télétravail.


Author
Me Frédérique Dalpé Avocate Fasken

Frédérique Dalpé est avocate au sein du Groupe Travail, emploi et droits de la personne à notre bureau de Montréal. Au cours de ses études, elle s’est démarquée par l’excellence de ses résultats académiques, qui lui auront valu l’obtention du prix Réjane-Laberge-Colas en 2019. Frédérique a également complété en 2021 un programme d’été virtuel à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar afin de développer ses connaissances du système juridique sénégalais et de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA).


Source : VigieRT, octobre 2025

1 2025 QCTA 146.
2 2023 QCTA 69.
3 2025 QCTA 232.

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