Le présent article ne constitue pas une opinion juridique.
Le 12 mai 2025, la Cour d’appel[1] a confirmé que toute personne, société ou entité qui offre des services de location de personnel[2], qu’il s’agisse d’une activité principale, secondaire ou occasionnelle, est visée par le Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires (ci-après le « Règlement »). Le Règlement ne s’applique donc pas uniquement aux entreprises ayant pour seule activité le placement de personnel.
Dans cette affaire, des associations d’entrepreneurs cherchaient à faire invalider la définition d’agence de placement de personnel prévue au Règlement, au motif qu’elle est imprécise et de portée trop large. La Cour d’appel ne s’est pas rangée à leurs arguments, concluant plutôt à la validité de la définition. Malgré le caractère juridico-technique de l’arrêt à certains égards, plusieurs enseignements peuvent en être tirés par les CRHA et CRIA.
Le contexte
À titre de rappel, depuis 2018, la Loi sur les normes du travail (ci-après la « L.n.t. ») encadre les agences de placement, notamment par la mise en place d’un régime de permis. Nul ne peut plus exploiter une agence de placement de personnel sans détenir un tel permis et, corollairement, nul ne peut plus faire affaire avec une telle agence qui ne détient pas ce permis[3]. En sus, la L.n.t. interdit dorénavant aux agences de placement de personnel de verser à leurs salariés en mission chez autrui un taux de salaire inférieur à celui que reçoivent les personnes salariées de l’entreprise cliente qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement uniquement en raison de son statut d’emploi[4].
En 2020, alors qu’il entre en vigueur, le Règlement vient définir ce qu’est une agence de placement de personnel. Il précise alors les conditions d’obtention du permis et encadre les activités de placement de personnel, telles que notamment :
- La remise aux personnes salariées d’un document décrivant les conditions de travail qui leur sont applicables dans le cadre de leur affectation et les documents rendus disponibles par la CNESST concernant les droits des personnes salariées et les obligations des employeurs en matière de travail;
- La conservation pendant au moins six ans des contrats conclus avec les entreprises clientes et les factures afférentes, de même que diverses informations relatives aux personnes salariées qui y sont affectées;
- L’interdiction d’exiger de la personne salariée des frais pour son affectation chez une entreprise cliente, pour la formation requise à cet effet ou pour les conseils reçus en vue de la préparation à des entrevues d’embauche;
- L’interdiction de prendre des mesures ou de convenir de disposition ayant pour effet de restreindre l’embauche de la personne salariée par l’entreprise cliente, sauf dans les six premiers mois du début de l’affectation de la personne salariée chez l’entreprise cliente[5].
En sus, l’agence peut voir son permis suspendu ou révoqué lorsqu’elle se retrouve dans certaines situations précises, notamment lorsqu’elle a été condamnée par une décision irrévocable d’un tribunal en matière de discrimination, de harcèlement psychologique ou de représailles, dans le cadre d’un emploi[6].
L’agence de placement : une définition large
L’agence de placement de personnel est définie au Règlement comme étant :
« une personne, société ou autre entité dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel en fournissant des salariés à une entreprise cliente pour combler des besoins de main-d’œuvre[7]. »
La Cour d’appel retient trois éléments principaux relatifs à l’agence de placement de personnel :
- La notion vise toute personne ou entité :
En effet, selon la Cour d’appel, la définition ne vise pas uniquement les agences spécialisées en placement de personnel, mais est de portée plus large.
- Il suffit qu’au moins une activité consiste à fournir du personnel :
La définition englobe toute offre organisée de location de personnel, peu importe qu’elle soit principale ou accessoire, pourvu qu’il s’agisse d’une activité économique exercée avec une certaine régularité. À l’inverse, un prêt ponctuel de personnel (ex. : un stage de parajuriste une fois tous les deux ou trois ans) ne constitue pas une activité de location visée par le Règlement.
- Le but est de combler un besoin de main-d’œuvre :
La Cour d’appel offre plusieurs exemples de raisons pouvant pousser une entreprise cliente à recourir à la location de personnel : combler une absence, pallier un surcroît de travail, remédier à une pénurie de main-d’œuvre, mettre en place une réforme, accomplir une tâche particulière, ponctuelle ou non récurrente, ou un projet spécial, etc.
Fournisseur de personnel ou de service
Pour répondre à la préoccupation de certains qui craignent d’être visés par la définition d’agence de placement en raison du fait qu’ils doivent dépêcher leurs employés chez l’entreprise cliente pour fournir leurs services (ex. : impartition de services ménagers, installation ou entretien de machinerie industrielle), la Cour d’appel rappelle qu’il s’agit d’une réalité tout autre.
En effet, le contrat de service, d’entreprise ou de sous-traitance (ci-après indistinctement « contrat de service »)[8] a pour objet le service lui-même et son résultat, plutôt que le fait de pourvoir à un besoin de main-d’œuvre. L’entreprise cliente supervise le résultat, mais pas la prestation de travail de chaque salarié comme tel, cette tâche étant plutôt laissée à son employeur, soit l’entrepreneur ou le fournisseur de service.
L’objet du contrat liant l’agence de placement de personnel à l’entreprise cliente étant la capacité de travail des personnes salariées mises à disposition, et non un résultat ou un service fini, il s’agit donc d’une distinction fondamentale entre la location de personnel et le contrat de service.
Ainsi, l’une des principales différences entre le contrat de location de personnel et celui de service réside sur qui, de l’employeur ou du client, contrôle et supervise au quotidien le salarié. Par exemple, si l’employeur détermine le nombre d’employés qu’il affecte chez le client, vérifie régulièrement si le travail est bien fait et examine les problèmes d’exécution et les ajustements à apporter, le contrat en serait alors un de service[9].
Au contraire, la location de personnel implique une certaine distance entre l’employeur et le travailleur, le premier n’étant pas sur place pour surveiller l’exécution du travail par le second. Le contrat en est alors un de placement de personnel si c’est le client qui décide du nombre d’heures effectuées par jour, affecte le salarié à des tâches et supervise au quotidien son travail. Ce lien de subordination entre le salarié et l’entreprise cliente était d’ailleurs déjà reconnu comme étant un élément déterminant du contrat de location de personnel[10].
Une incertitude qui subsiste
La Cour d’appel reconnaît que la définition de l’article 1 du Règlement pourrait être plus précise, tout comme elle identifie déjà des zones grises qui devront être éclaircies et interprétées avec le temps grâce aux débats judiciaires et quasi judiciaires en fonction des faits de chaque situation.
En effet, la Cour ne peut se prononcer à l’avance pour traiter tous les scénarios, et il revient aux employeurs et à la CNESST de déterminer si leur situation est visée par cette définition et d’en débattre judiciairement ou quasi judiciairement en cas de désaccord.
Conclusion
Ce récent arrêt de la Cour d’appel confirme que la portée du Règlement est large et qu’il vise toute entité qui offre, même de façon accessoire, des services de location de personnel pour combler un besoin de main-d’œuvre.
La prudence s’impose donc : un contrat mal qualifié pourrait exposer les personnes concernées à des sanctions administratives ou pénales, dont des amendes variant de 600 $ à 6 000 $ pour une première violation, et de 1 200 $ à 12 000 $ en cas de récidive[11].
À la lumière de cet arrêt, les employeurs affectant leurs employés auprès d’entreprises clientes ou ceux accueillant des personnes salariées qui ne sont pas les leurs devraient donc réévaluer dès maintenant leurs pratiques, documenter leurs relations contractuelles et, en cas de doute, obtenir un avis juridique ou consulter la CNESST afin de s’assurer de respecter leurs obligations.
En effet, en matière de location de personnel, ce qui compte n’est pas le titre du contrat, mais la réalité du contrôle exercé sur les personnes salariées et la finalité recherchée par la cliente. Il est donc important de clairement distinguer si une situation implique une telle location de personnel ou constitue plutôt un contrat de service.
1 | Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Association des entrepreneurs spécialisés en procédé industriel du Québec, 2025 QCCA 587. |
2 | Aussi désigné « location de main-d’œuvre » ou encore « placement de personnel ». |
3 | Art. 92.6 L.n.t. |
4 | Art. 41.2 L.n.t. |
5 | Art. 22 et 23 du Règlement. |
6 | Art. 11 et 40 du Règlement. |
7 | Ibid., par. 3.005. |
8 | Régi par les articles 2098 et suivants du Code civil du Québec, le contrat d’entreprise se définit comme la réalisation d’un ouvrage matériel ou intellectuel ou la prestation d’un service que le client n’entend pas exécuter lui-même ni faire exécuter par ses salariés, mais qu’il confie à un tiers, qui s’exécutera personnellement ou par le truchement de ses propres salariés, dont il contrôlera la prestation. |
9 | Cette notion n’est pas nouvelle, la Cour d’appel ayant déjà décidé que de tels attributs relevaient davantage du contrat d’entreprise que du contrat de location de personnel : Association de la construction du Québec c. Consortium M.R. Canada Ltée, 2002 CanLII 30329 (QC CA), en ligne : <https://canlii.ca/t/1cx7n |
10 | FIQ — Syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, 2021 QCCA 1096, par. 52 et suivants, en ligne : <https://canlii.ca/t/jgstj>. Voir également : 9205-0194 Québec inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2015 QCCLP 1399, par. 40 et 41, en ligne : <https://canlii.ca/t/ggqdb |
11 | Article 140.1 L.n.t. |
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