Introduction
Détérioration du climat de travail, absentéisme, atteinte à la santé mentale et à l’intégrité psychique : le harcèlement psychologique et sexuel en milieu de travail peut avoir des conséquences importantes pour la personne concernée, mais aussi pour ses collègues. Pour l’organisation, il peut notamment engendrer des pertes financières, des recours devant les tribunaux administratifs et judiciaires, une atteinte à sa réputation.
Si les gestionnaires sont souvent en première ligne, les administrateurs ont également un rôle crucial en raison de leur responsabilité de surveillance et de reddition de comptes. Ils doivent notamment s’assurer que l’organisation dispose de politiques efficaces et de mécanismes fonctionnels pour prévenir et traiter les situations de harcèlement psychologique et sexuel.
Cet article vise à faire le point sur les principales obligations légales des administrateurs, à mettre en lumière les enjeux de gouvernance associés au harcèlement et à proposer des conseils concrets pour réagir de manière appropriée.
Responsabilités légales et morales des administrateurs
Au Québec, l’employeur a l’obligation de prévenir et de faire cesser le harcèlement en vertu de la Loi sur les normes du travail et d’autres lois applicables selon la juridiction. Cette obligation incombe à toutes les organisations, qu’elles soient de compétence fédérale ou provinciale. Elles doivent avant tout adopter une politique visant à prévenir, à faire cesser et à prendre en charge les situations de harcèlement. Une telle politique s’applique normalement à l’ensemble du personnel et aux gestionnaires, mais aussi aux membres d’un conseil d’administration.
Dans certaines circonstances, les administrateurs peuvent être tenus personnellement responsables d’une situation. Leur responsabilité peut être de nature civile (devoir de diligence et de loyauté), contractuelle (selon leur mandat et les règlements internes de l’organisation) ou encore statutaire, dans certains cas prévus par la loi. Les administrateurs agissant de bonne foi peuvent bénéficier d’une immunité relative, mais elle ne les protège pas en cas de négligence grave ou d’inaction manifeste. Afin d’éviter une telle situation, des moyens s’offrent à eux.
Il incombe aux administrateurs de contribuer au maintien d’une culture et d’un climat de travail sains et respectueux. Ils doivent également promouvoir une culture de gouvernance éthique, où le respect, l’équité et la responsabilité sont au cœur des décisions.
Évolution des attentes ET RÔLE DES ADMINISTRATEURS
Depuis plusieurs années, les tribunaux se fondent de plus en plus sur la notion ou le test de la « personne raisonnable » afin d’évaluer la conduite des administrateurs dans le cadre de la gestion d’une situation de harcèlement. Ce test évolue de concert avec les normes sociales et les attentes en matière de gouvernance éthique. Par exemple, le mouvement #MeToo (Dis son nom au Québec) a affecté de façon importante la prise de décisions en matière de harcèlement sexuel.
Les administrateurs ont un devoir de loyauté, de diligence et de prudence. Ils doivent s’assurer, à ce titre, que l’organisation :
- Possède une politique claire contre le harcèlement qui respecte le cadre législatif applicable;
- Dispose de mécanismes de traitement des plaintes efficaces et impartiaux;
- Forme et sensibilise les membres de son personnel, de la direction et des administrateurs au sujet des notions d’incivilité et de harcèlement psychologique et sexuel en milieu de travail, de prévention et d’identification de telles situations;
- Fait preuve de transparence et de rigueur dans le suivi des situations problématiques;
- Est en mesure de déclarer toute situation de conflits d’intérêts, qu’ils soient réels ou potentiels.
Devoirs des administrateurs en situation de harcèlement
En présence d’une situation potentielle ou avérée de harcèlement psychologique ou sexuel, les administrateurs devraient notamment s’assurer, selon la personne visée par la plainte, d’effectuer des démarches concrètes.
La plainte vise un membre du personnel (non-administrateur) :
- Vérifier que la politique interne est claire et accessible et qu’elle a été appliquée par l’organisation.
- S’assurer que la direction prend la plainte en charge. Cela pourrait signifier le déclenchement d’une enquête interne ou externe.
- Effectuer un suivi auprès du conseil d’administration : les administrateurs peuvent être informés de la situation et des mesures prises. Il importe alors de respecter la confidentialité entourant la plainte et les personnes impliquées. Le conseil d’administration n’a pas, sauf circonstances particulières, besoin de connaître le nom des victimes ou des présumés agresseurs.
La plainte vise un membre de la haute direction (direction générale, cadre supérieur) :
- Agir immédiatement. En fonction du contexte, la situation peut exiger une réaction rapide.
- Avoir recours à certaines mesures, si la situation le justifie. Elles peuvent prendre plusieurs formes : suspension pour fins d’enquête, déclenchement d’une enquête externe, retrait temporaire des fonctions, etc.
- S’assurer que le conseil d’administration prend en charge la gestion de la plainte et du dossier, si les circonstances l’exigent, pour éviter les conflits d’intérêts.
La plainte vise un membre du conseil d’administration :
- Exclure l’administrateur visé de toute discussion ou décision liée à la plainte ou aux événements dans lesquels il a été impliqué.
- Assurer l’impartialité du processus et limiter les risques réputationnels en ayant recours à l’enquête externe et indépendante.
Saine gouvernance et bonnes pratiques (250 mots)
Une saine gouvernance repose, entre autres, sur la traçabilité des décisions. Chaque étape, chaque mesure prise doit être soigneusement documentée. Il est essentiel d’avoir un protocole clair pour le traitement des plaintes, y compris celles visant un administrateur. Trop souvent, ces mécanismes sont inadéquats, voire inexistants.
Voici quelques bonnes pratiques :
- Adopter un code de conduite du conseil d’administration, y compris un mécanisme de traitement des plaintes.
- Revoir régulièrement les politiques internes pour s’assurer qu’elles sont à jour et efficaces.
- Former les administrateurs sur les enjeux psychosociaux et les obligations légales.
- Mettre en place des mécanismes permettant d’éviter les conflits d’intérêts potentiels ou réels dans l’éventualité où un membre du conseil d’administration est impliqué de quelque façon que ce soit dans une situation pouvant constituer du harcèlement psychologique, que ce soit à titre de plaignant, de personne mise en cause ou de témoin.
- Obtenir les renseignements quant au nombre de plaintes formulées au sein de l’organisation, leurs conclusions, ainsi que les moyens mis en place par l’organisation pour prévenir et faire cesser la situation.
- En présence de situations délicates, solliciter les services d’un conseiller ou d’une ressource externe.
Conclusion
Le harcèlement psychologique et sexuel en milieu de travail peut affecter plusieurs personnes dans une organisation et engendrer des conséquences négatives pour celle-ci. Il ne s’agit pas que d’un enjeu de ressources humaines ou de conformité juridique : c’est également un enjeu de gouvernance qui touche directement les membres d’un conseil d’administration. Ils ont un rôle important à jouer dans la prévention et la gestion des situations de harcèlement. Pour s’assurer que l’organisation est bien outillée pour y faire face, ils ont tout intérêt à adopter une posture proactive, éthique et rigoureuse, contribuant ainsi à créer un environnement de travail sain, respectueux et sécuritaire pour tous.
« 5 réflexes à adopter par tout administrateur »
- Demander d’obtenir, au moins une fois par année, les données concernant le climat de travail au sein de l’organisation, l’existence de plaintes ou de signalements de situations de harcèlement, la formation du personnel et des gestionnaires de l’organisation, etc.
- Valider l’existence d’une politique ainsi que de mécanismes efficaces et impartiaux de traitement des plaintes.
- Déclarer rapidement les situations de conflit d’intérêts personnels, qu’ils soient potentiels ou avérés, et se retirer.
- Promouvoir la formation du conseil d’administration sur les enjeux psychosociaux.
- Documenter toutes les actions et les décisions prises par le conseil d’administration en lien avec les situations de harcèlement.