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Billets médicaux et horaires adaptés : que doit faire l’employeur?

Le retour au travail après une absence médicale soulève des enjeux d’ajustement. L’employeur doit accommoder ses employés, mais sans compromettre ses impératifs organisationnels. Deux décisions récentes clarifient les limites de cette obligation.
24 septembre 2025
Me Marie-Gabrielle Bélanger, CRIA | Me Frédérique Dalpé

Le retour au travail à la suite d’un accident, d’une blessure ou d’un problème de santé représente une occasion d’adaptation mutuelle entre le salarié et l’employeur. Loin de se réduire à une source de tensions, cette étape peut permettre un réajustement des attentes, des méthodes et des conditions de travail, dans le respect des capacités du salarié et des impératifs de l’organisation. Cependant, cette phase d’ajustement peut à l’occasion soulever des malentendus. Une confusion courante réside dans la croyance, parfois entretenue par les salariés, qu’un tel contexte de retour au travail leur permettra de gérer eux-mêmes leur horaire de travail ou encore de refuser certains quarts de travail.

Or, même si l’employeur est tenu à une obligation d’accommodement, cela ne signifie pas pour autant qu’il renonce à son droit fondamental de gérer l’organisation du travail. Les tribunaux rappellent à ce titre que la fixation des horaires, dans le respect de contraintes médicales, le cas échéant, demeure une composante essentielle du droit de gérance de l’employeur.

En effet, une décision rendue récemment par le Tribunal administratif du travail dans Chouinard c. Office des producteurs de bois de la Gatineau[1] rappelle avec fermeté les balises juridiques applicables et l’importance pour un salarié de s’acquitter de son obligation fondamentale, soit celle de fournir sa prestation de travail.

Dans cette affaire, dont la décision a été rendue en juillet 2025, un coordonnateur à la mise en marché s’était initialement absenté du travail pour une période d’un mois, laquelle absence était justifiée par un billet médical. À l’expiration de cette période, et sans transmission d’un nouveau certificat médical prolongeant son incapacité, il a informé l’employeur de son intention de reprendre le travail, uniquement à raison de deux journées par semaine. L’employeur s’est opposé à cette proposition d’horaire allégé, rappelant au plaignant que son poste exigeait une prestation de travail à temps complet.

L’employé a néanmoins persisté dans son refus de reprendre son emploi selon l’horaire régulier, sans fournir de justification médicale à l’appui de sa demande. Il a ainsi tenté d’imposer unilatéralement une modification de ses conditions de travail, sans l’aval de son employeur, et en contradiction avec les exigences de son poste.

Pour le Tribunal, en l’absence de toute preuve médicale ou d’explication sérieuse venant soutenir une incapacité de reprendre le travail à temps complet, le refus du plaignant a constitué une violation manifeste de ses obligations contractuelles. Ce manquement, par sa nature et sa persistance, s’analyse comme une faute importante, portant atteinte au fondement même de la relation d’emploi, laquelle repose sur la fourniture de la prestation de travail convenue.

Même si le dossier disciplinaire du plaignant était vierge, le congédiement constituait une sanction appropriée. L’employeur était confronté à un manquement volontaire et répété à une obligation essentielle du contrat, en l’occurrence celle de fournir la prestation de travail à temps plein. Le refus constant du plaignant de se conformer aux conditions normales d’exercice de ses fonctions, en l’absence de tout fondement médical et hors de tout cadre négocié, justifiait la rupture du lien d’emploi. Une distinction importante doit ainsi être faite entre les préférences personnelles d’un salarié et une limitation médicale objective, cette dernière ne pouvant servir de subterfuge pour imposer ses propres conditions de travail.

La décision rendue par le juge administratif dans l’affaire Aumont-Pigeon c. Spécialistes du Financement du Québec inc.[2] illustre clairement la ligne devant être tracée entre l’obligation de l’employeur d’accommoder un salarié pour des raisons médicales et l’absence d’obligation d’adapter ces conditions de travail aux conséquences d’un choix personnel. Dans cette affaire, la plaignante, une spécialiste en financement automobile, occupait un poste impliquant un horaire de travail régulier comprenant, notamment, une présence obligatoire un samedi sur deux. À la suite d’un déménagement pour des motifs personnels, l’éloignant de son lieu de travail par une distance de 75 km, elle s’est absentée pour des raisons médicales, dûment justifiées par des billets médicaux, pour une période d’environ 7 mois.

Au terme de cette absence, un retour progressif a été recommandé par son médecin traitant, lequel attestait qu’elle ne pourrait reprendre le travail qu’à raison de quatre jours par semaine, sans jamais travailler les fins de semaine. La plaignante a également exigé de ne pas effectuer les ouvertures de l’établissement le matin, de peur d’être en retard en raison de la grande distance qui séparait son domicile de son lieu de travail. Ces exigences s’avéraient toutefois incompatibles avec les besoins opérationnels de l’employeur, et il a refusé de modifier l’horaire de la salariée.

Pour l’employeur, le refus de la plaignante de reprendre son horaire régulier et son entêtement à imposer son propre horaire de travail s’assimilaient à une décision unilatérale de ne plus occuper son poste selon les conditions convenues, ainsi interprété comme une démission. La plaignante invoquait quant à elle un congédiement déguisé, alléguant un refus d’accommodement lié à sa nouvelle réalité géographique.

Le Tribunal a rejeté cette prétention, concluant qu’aucun comportement de l’employeur n’était empreint de mauvaise foi, de malice ou d’arbitraire. Dans sa décision, le Tribunal souligne que la plaignante ne présente aucune limitation fonctionnelle découlant de son état de santé qui obligerait l’employeur à revoir l’organisation de son horaire. Le refus d’adapter l’horaire ne constitue donc ni de la discrimination ni un congédiement déguisé. Il rappelle également que, si le déménagement constitue une décision légitime de la plaignante, les conséquences qui en découlent, notamment l’impossibilité de respecter l’horaire de travail qu’elle avait avant son absence, ne sauraient être imputées à l’employeur.

Les décisions rendues dans les affaires Chouinard et Aumont-Pigeon réaffirment, avec constance et clarté, les principes fondamentaux régissant le retour au travail en contexte d’absence pour raison médicale. Si l’obligation d’accommodement raisonnable impose à l’employeur une réelle ouverture à l’adaptation des conditions de travail, cette obligation demeure toutefois circonscrite par les limites du raisonnable, lesquelles sont balisées par les capacités du salarié, les exigences du poste, ainsi que le droit de gérance de l’employeur. Il ne s’agit pas du droit inconditionnel du salarié de dicter les modalités de sa reprise du travail ni de substituer ses préférences personnelles à l’organisation rationnelle de l’entreprise.

Il importe de rappeler que l’obligation fondamentale du salarié demeure la fourniture de sa prestation de travail. Comme souligné par la Cour suprême[3], l’obligation d’accommodement ne vise pas à altérer l’essence du contrat de travail, lequel repose sur un échange réciproque : le salarié fournit une prestation de travail en contrepartie d’une rémunération. L’accommodement a pour objectif de permettre au salarié de s’acquitter de cette obligation malgré des limitations fonctionnelles réelles et attestées, mais il ne peut servir à justifier une modification unilatérale des conditions d’emploi fondée uniquement sur des considérations personnelles. En l’absence de justification médicale, l’employeur n’est pas tenu de compenser les conséquences de divers choix individuels pris par un salarié.

Dans cette perspective, les tribunaux rappellent qu’un salarié ne peut imposer unilatéralement ses préférences, même dans un contexte de retour progressif. En l’absence de limitations fonctionnelles documentées, le refus de reprendre le travail selon les modalités convenues constitue un manquement aux obligations contractuelles. À l’inverse, le refus de l’employeur de se conformer à des demandes non justifiées médicalement ne saurait être interprété comme un congédiement déguisé ou une forme de discrimination. L’accommodement raisonnable exige une collaboration réciproque, fondée sur des faits objectifs et une volonté d’adaptation mutuelle, dans les limites des capacités organisationnelles de l’employeur.

En somme, l’obligation d’accommodement n’a ni pour objet ni pour effet de créer un rapport de force asymétrique permettant au salarié d’imposer ses propres conditions de travail. Elle repose sur une logique d’équilibre sans pour autant compromettre la bonne marche de l’entreprise.


Author
Me Marie-Gabrielle Bélanger, CRIA Associée, Avocate Fasken
Marie-Gabrielle Bélanger pratique le droit du travail et de l’emploi et traite de toutes les facettes de la relation d’emploi. Ayant développé une compétence particulière dans les dossiers de harcèlement psychologique, elle est parfois appelée à agir comme enquêtrice ou comme conseillère dans le traitement des plaintes, tant auprès d’entreprises de compétence provinciale que fédérale.

Elle fournit également des conseils sur divers aspects du droit du travail et de l’emploi, y compris les conventions collectives, les relations et les normes du travail, et la santé et la sécurité au travail. Marie‑Gabrielle représente des clients devant les tribunaux administratifs et civils dans des litiges en matière d’emploi impliquant l’imposition de mesures disciplinaires, les droits de gérance de l’employeur, l’absentéisme et le harcèlement psychologique. Dans les dernières années, les changements apportés au monde du travail l’ont amenée à développer sa connaissance des nouvelles méthodes de travail, dont le télétravail.

Author
Me Frédérique Dalpé Avocate Fasken
Frédérique Dalpé est avocate au sein du Groupe Travail, emploi et droits de la personne à notre bureau de Montréal. Au cours de ses études, elle s’est démarquée par l’excellence de ses résultats académiques, qui lui auront valu l’obtention du prix Réjane-Laberge-Colas en 2019. Frédérique a également complété en 2021 un programme d’été virtuel à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar afin de développer ses connaissances du système juridique sénégalais et de l’OHADA.

Source : VigieRT, septembre 2025

1 2025 QCTAT 2862.
2 2023 QCTAT 434.
3 Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, par. 15.

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