En 2005, la Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Costco[1], a confirmé les critères sur lesquels s’appuyer pour mettre fin à l’emploi d’une personne incompétente, dont le rendement est insatisfaisant ou qui ne satisfait pas aux exigences de son poste, établissant ainsi un cadre d’analyse pour évaluer le sérieux des motifs de fin d’emploi invoqués par l’employeur. Dans le cadre d’un congédiement pour de tels motifs, l’employeur devra mettre en preuve les cinq éléments suivants :
- L’employé connaissait les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard;
- Ses lacunes lui ont été signalées;
- Il a obtenu le soutien nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
- Il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;
- Il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.
Depuis quelques années, certaines décisions[2] considèrent qu’un sixième critère doit être ajouté à cette grille d’analyse, à savoir que l’employeur doit avoir déployé des efforts raisonnables pour réaffecter l’employé concerné à un poste compatible avec ses compétences. Ce courant jurisprudentiel peut amener les employeurs à devoir faire une évaluation des postes disponibles avant de condamner un employé « à la peine capitale » qu’est le congédiement en droit du travail et de l’emploi.
Qu’en est-il de l’application de ces principes au personnel cadre d’une organisation?
Il est maintenant reconnu qu’un employeur ne peut simplement invoquer la perte de confiance envers un cadre pour justifier sa fin d’emploi pour motif sérieux, qu’elle se justifie notamment par un mauvais rendement ou la non-atteinte d’objectifs financiers[3]. Les tribunaux sont exigeants quant à la preuve requise et aux motifs invoqués avant de conclure à l’existence d’un motif sérieux de fin d’emploi, compte tenu des conséquences qui en découlent. Mentionnons par exemple l’absence de délai de congé[4] ou encore la perte du droit à la réintégration lorsque le cadre satisfait aux conditions pour déposer une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante en vertu, notamment, de la Loi sur les normes du travail[5] (ci-après la « LNT »).
Ainsi, on reconnaît désormais que les principes découlant de l’arrêt Costco doivent guider les employeurs dans le processus de fin d’emploi d’un cadre d’une organisation. La rigueur d’analyse de chaque critère doit évidemment être adaptée au poste concerné et au contexte de chaque dossier.
Dans le cadre de cet article, trois décisions seront analysées afin d’observer les particularités d’un congédiement administratif d’un cadre pour des motifs liés à la qualité de sa prestation de travail.
Premièrement, la décision Tourigny c. Fonds de solidarité des travailleurs du Québec[6], rendue en 2021, concerne le congédiement d’une directrice du marketing en raison de son incompétence. Dans cette décision, l’employée conteste son congédiement en déposant une plainte en vertu de l’article 124 de la LNT. Le Tribunal administratif du travail, faisant droit à la plainte, considère dans cette affaire que l’employeur n’avait pas démontré que la plaignante savait que, à défaut d’amélioration significative de sa part, elle risquait d’être congédiée. L’employeur prétendait essentiellement qu’une cadre du niveau de la plaignante devait « lire entre les lignes ». Le Tribunal a rejeté cet argument, car la perte d’un emploi est lourde de conséquences, et a conclu que « le risque de congédiement ne doit pas s’exprimer en messages cryptés »[7]. Sa plainte a donc été accueillie, et le congédiement a été annulé pour le motif que les critères de l’arrêt Costco n’ont pas été respectés. Cette décision précise aussi que les critères de l’arrêt Costco ne peuvent pas être modifiés pour le simple fait que l’employé occupe un poste de cadre.
La deuxième décision analysée dans le présent article est la décision Milliner c. Relais Nordik inc.[8], rendue en 2023. Dans cette décision, le plaignant occupe un poste de chef des services aux passagers sur un navire. Ses fonctions sont décrites en détail dans un contrat de travail intervenu entre son employeur et lui. L’employeur trouve le plaignant incompétent et procède à son congédiement. Celui-ci conteste son congédiement en déposant une plainte en vertu de l’article 124 de la LNT. Le Tribunal analyse les critères de l’arrêt Costco pour déterminer si le congédiement est justifié. Tout d’abord, le Tribunal considère que le plaignant connaissait les attentes de son employeur à son égard et qu’il était au fait des lacunes qu’il devait corriger. En effet, le contrat de travail contenait une description de tâches exhaustive et définissait bien le rôle et les responsabilités de sa fonction. Un processus d’évaluation annuelle avait aussi été appliqué avec rigueur pour permettre à l’employeur de préciser ses attentes et les lacunes à corriger. Toutefois, l’employé n’avait pas été avisé assez clairement du risque de perdre son emploi, et aucun délai pour corriger les lacunes ne lui avait été donné. Il faut noter que la preuve indiquait que la directrice des ressources humaines avait témoigné avoir déjà mentionné au plaignant qu’« on ne pourra pas continuer avec des comportements comme ça, il y aura des conséquences s’il n’y a pas d’amélioration »[9]. Le Tribunal considère toutefois que les propos utilisés ne sont pas suffisants pour permettre au plaignant de comprendre que son emploi est en jeu. La plainte a donc été accueillie, et le congédiement annulé.
La dernière décision analysée est la décision Di Fruscia c. Traffic Tech inc.[10], rendue également en 2023. Dans cette affaire, l’employeur met fin à l’emploi du plaignant pour des agissements ayant brisé le lien de confiance requis dans le cadre de ses fonctions et pour le motif qu’il n’atteignait pas les exigences de rendement. L’employeur invoque, en premier lieu, que les conditions d’ouverture de l’article 124 de la LNT ne sont pas remplies puisque l’employé occupe des fonctions de cadre supérieur, soit le poste de président d’une division de la compagnie de logistique spécialisée dans le transport commercial terrestre, aérien et maritime. Le Tribunal rejette la prétention de l’employeur puisque l’employé possède peu de pouvoirs décisionnels et que, malgré son titre, son autonomie décisionnelle est restreinte, voire inexistante, tout comme sa participation à l’élaboration des stratégies de l’entreprise. Le Tribunal analyse la fin d’emploi comme un congédiement mixte. Bien qu’il n’analyse pas chacun des critères de l’arrêt Costco, il note que le plaignant n’a jamais été clairement informé des attentes de l’employeur, qu’il n’a jamais fait l’objet d’une évaluation de rendement, qu’à aucun moment il n’a été avisé de l’insatisfaction de son supérieur à son égard et que, à défaut d’amélioration, il serait congédié. Le Tribunal a, encore une fois, considéré que l’employeur n’a pas démontré avoir une cause juste et suffisante de congédiement et qu’il aurait dû agir autrement.
Ces décisions récentes mettent en évidence l’importance pour les employeurs de respecter rigoureusement les critères de l’arrêt Costco, même lors du congédiement d’un cadre. De plus, ces décisions permettent également de conclure que le dernier critère énuméré par cet arrêt, soit la nécessité que l’employé ait été prévenu du risque de congédiement, à défaut d’amélioration de sa part, est souvent lacunaire dans de tels dossiers en raison, généralement, d’un facteur humain. Aussi, ces décisions nous rappellent l’importance de bien communiquer nos attentes à l’égard d’un cadre et des objectifs qu’on s’attend qu’il atteigne, entre autres, par l’entremise de son contrat de travail et de ses évaluations.
Voici quelques recommandations et bonnes pratiques visant à respecter les exigences de l’arrêt Costco et à documenter les dossiers de rendement et de compétence de vos employés :
- Rédaction claire des contrats de travail : Inclure dans les contrats de travail une description détaillée et claire des responsabilités, des attentes et des objectifs en matière de rendement. Les responsabilités, attentes et objectifs peuvent être révisés par écrit de temps à autre.
- Évaluations régulières officielles: Mettre en place des évaluations à intervalle régulier (annuel, trimestriel ou autre) et bien documenter les atteintes et non-atteintes des objectifs fixés afin de garantir que les employés sont informés de leur rendement par rapport aux attentes.
- Mise en place d’un plan d’amélioration du rendement: En cas de problématique récurrente, informer clairement le cadre de ses lacunes par rapport aux responsabilités, aux attentes et aux objectifs fixés et proposer un calendrier structuré pour la correction des lacunes démontrées, avec un soutien ciblé pour lui permettre d’améliorer son rendement de manière mesurable, dans une durée déterminée, avec des suivis réguliers.
- Communication claire des conséquences: Lorsque le rendement ou la compétence d’un employé ne s’améliore pas et que vous envisagez une fin d’emploi, il est important que ce risque ait été préalablement communiqué à votre employé dans le cadre du plan d’amélioration mis en place.
- Documenter le processus: Garder une preuve écrite des différentes étapes et mesures mises en place et des communications officielles concernant le plan d’amélioration afin de pouvoir assurer une preuve du processus entrepris dans l’éventualité d’un litige lié à la fin d’emploi.
En conclusion, bien que les employeurs aient le droit de congédier un cadre en raison de son rendement au travail ou de la qualité de sa prestation, ils doivent le faire en conformité avec les critères établis en jurisprudence pour maximiser les chances de gain de cause en cas de contestation et assurer à leur organisation une position favorable lors de négociations liées à une fin d’emploi. Une approche transparente et rigoureuse est essentielle pour gérer efficacement les problèmes de rendement des employés, tout en respectant les droits légaux des deux parties.
1 | Costco Wholesale Canada Ltd c. Laplante, 2005 QCCA 788. |
2 | Commission scolaire Kativik c. Association des employés du Nord québécois, 2019 QCCA 961. |
3 | Voir, notamment, Premier Tech ltée c. Dollo, 2015 QCCA 1159, par. 69 à 78. |
4 | Article 2094 CCQ. |
5 | RLRQ, c. N-1.1., article 124. |
6 | Tourigny c. Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (FTQ), 2021 QCTAT 4199. |
7 | Id, par. 231. |
8 | Milliner c. Relais Nordik inc., 2023 QCTAT 3168. |
9 | Id, par. 55. |
10 | Di Fruscia c. Traffic Tech inc., 2023 QCTAT 4893. |