Cet article rédigé en 2013 a été mis à jour en octobre 2024
La gestion d’un processus d’enquête en matière de harcèlement soulève souvent plusieurs questions, notamment sur l’organisation de celle-ci.
Il est possible que la procédure de traitement des plaintes prévue dans la politique organisationnelle en matière de harcèlement définisse déjà l’approche que l’entreprise souhaite adopter. Dans ce cas, il suffit de s’y référer. Il se peut également que l'entreprise ait prévu une marge de manœuvre selon la situation à traiter et des conflits d’intérêts qui peuvent se présenter. Il est crucial de déterminer si cette démarche sera menée à l’interne ou confiée à une ressource externe.
Il convient également de rappeler que l’article 4 du Code de déontologie impose aux CRHA ǀ CRIA de respecter leurs limites, leurs aptitudes et leurs compétences avant d’accepter ou d’entreprendre un mandat. Il est essentiel d’éviter d’entreprendre des travaux pour lesquels on n’est pas suffisamment préparé. Les conséquences potentielles d’une enquête mal menée sont significatives pour les parties concernées, ce qui exige une expertise et une préparation adéquates. Dans ce contexte, et dans le cadre de sa mission de protection du public, l’Ordre a publié le Guide d’encadrement – Pratique professionnelle en matière d’enquête à la suite d’une plainte pour harcèlement au travail, afin d’orienter les professionnelles et professionnels dans de telles démarches.
Quelle que soit l’approche retenue, elle comportera des avantages et des inconvénients. Voici quelques exemples.
Processus d’enquête interne
Avantages
- Mise en œuvre rapide de la démarche
- Connaissance approfondie de la culture et des modes de fonctionnement de l’entreprise (bien que cela puisse devenir un inconvénient si le recul nécessaire fait défaut.)
- Réduction des coûts et des investissements financiers
- Rapidité de traitement, non dépendante des disponibilités d’un tiers externe
Inconvénients
- Risque de perception d’un conflit d’intérêts
- Possibilité que les conclusions de l’enquête soient contestées ou non reconnues.
- Diminution de la confiance en raison du double rôle assumé par les ressources internes
- Un temps limité à consacrer à l’enquête, souvent en concurrence avec d’autres priorités quotidiennes
Processus d’enquête externe
Avantages
- Apparence accrue de neutralité et d’impartialité
- Expertise approfondie des lois applicables et recours à une méthodologie éprouvée
- Maîtrise des techniques et des règles propres aux enquêtes
- Rédaction d’un rapport rigoureux, utile en cas de recours
Inconvénients
- Coût élevé
- Dépendance à la disponibilité de l’enquêtrice ou l’enquêteur externe
Si l’on opte pour un processus d’enquête externe, il est crucial d’établir rapidement une liste d’enquêtrices et enquêteurs potentiels. Cette liste pourra assurément être utile si le besoin se fait sentir. Cette démarche permet de prendre le temps de mieux comprendre leurs approches respectives et d’assurer une diversité d’options. Il est déconseillé de se limiter à une seule ressource d’enquête, afin de maintenir la flexibilité et la neutralité du processus.
Dans certains cas, la contrainte budgétaire peut être déterminante. Si tel est le cas, il est essentiel de bien encadrer la personne responsable du dossier en définissant clairement son mandat et ses responsabilités. Toutefois, il convient d’éviter de désigner le supérieur immédiat comme intervenant principal dans l’enquête. Confier cette responsabilité à une personne qui est également impliquée dans le suivi quotidien pourrait entraîner une confusion des rôles et nuire à la qualité de la relation professionnelle avec les parties concernées.
Par ailleurs, il est fortement recommandé d’impliquer les délégués syndicaux dans le processus. Leur contribution peut s’avérer précieuse, tant pour l’apport d’informations pertinentes que pour leur rôle de soutien dans la mise en place et le suivi de la démarche. Leur participation contribue également à renforcer la crédibilité et l’équité du processus.
Flexibilité du processus
Le dépôt d’une plainte formelle doit systématiquement déclencher l’évaluation de sa recevabilité. Cette étape préliminaire permet de déterminer si une enquête formelle est nécessaire. Même si l’on choisit d’externaliser le processus d’enquête, cette évaluation initiale peut tout à fait être réalisée en interne.
De nombreuses entreprises préfèrent d’ailleurs gérer elles-mêmes cette étape, en raison de son caractère essentiellement technique. L’évaluation de la recevabilité repose sur la vérification de critères précis, notamment :
- L’accessibilité au recours par la présumée victime : s’assurer que la personne à l’origine de la plainte peut légitimement recourir au mécanisme prévu.
- Le respect des délais de dépôt : confirmer que la plainte a été déposée dans les deux ans suivant le dernier événement allégué.
- La présence des éléments définis par la loi, à savoir :
- une conduite vexatoire;
- un caractère répétitif, ou, à défaut, un geste unique d’une gravité significative;
- une conduite hostile ou non désirée;
- les effets négatifs générés dans le milieu de travail.
Cette analyse rigoureuse garantit que seules les plaintes répondant aux critères établis progressent vers une enquête formelle, optimisant ainsi les ressources et renforçant la crédibilité du processus.
Limites de l’enquête
Qu’elle soit menée en interne ou en externe, une enquête comporte des limites qu’il est important de reconnaître :
- Perception des résultats par les parties - L’enquête aboutit rarement à une satisfaction complète pour toutes les parties impliquées. Souvent, celles-ci restent perplexes face aux conclusions. Dans certains cas, la dimension émotionnelle des expériences vécues par les parties, notamment la présumée victime, peut ne pas avoir été pleinement prise en compte, ce qui peut engendrer un sentiment de frustration.
- Problèmes liés à la confidentialité - La confidentialité, bien que nécessaire au processus, est parfois perçue comme une entrave. Certaines parties peuvent se sentir privées d’informations essentielles, notamment concernant les conclusions de l’enquête ou les mesures prises à l’encontre de l’autre partie. Elles expriment parfois le souhait d’avoir accès au rapport complet pour évaluer le sérieux de la démarche. Cette perception d’un manque de transparence alimente souvent un sentiment d’insatisfaction.
Face à ces limites, la médiation peut représenter une solution pertinente, même après la conclusion de l’enquête. Cette approche permet de répondre aux besoins émotionnels et communicationnels des parties en facilitant un dialogue constructif. Elle offre également la possibilité de rétablir un certain équilibre et de reconstruire une relation professionnelle, particulièrement importante si les parties concernées doivent continuer à collaborer au sein de l’entreprise.
Bien qu’un congédiement puisse être envisagé lorsque les faits de harcèlement sont avérés, cette sanction n’est pas systématique. La médiation peut donc contribuer à explorer des solutions de rechange adaptées au contexte, tout en préservant, dans la mesure du possible, le climat de travail et la dynamique organisationnelle.
Conclusion
Il est essentiel de ne pas négliger l’importance de la prévention, une obligation organisationnelle en vertu des dispositions de la Loi sur les normes du travail. Les statistiques montrent qu’une personne sur deux impliquée dans un processus d’enquête finit par quitter l’entreprise ou voit son lien d’emploi modifié. Ce constat soulève une question fondamentale : est-ce un coût acceptable, surtout lorsque de bons éléments se retrouvent, parfois malgré eux, pris dans ce mécanisme?
Ce constat est d’autant plus préoccupant lorsque l’on sait qu’en moyenne seulement 20 % des plaintes déposées confirment effectivement la présence de harcèlement. Cela met en lumière l’importance de prioriser des stratégies de prévention efficaces. En sensibilisant les employées et employés, de même qu’en clarifiant ce qui constitue — ou non — du harcèlement, les organisations peuvent réduire les plaintes non fondées et les conséquences négatives des enquêtes. Une telle approche préventive permet de protéger non seulement les individus, mais aussi d’assurer la stabilité et la cohésion du milieu de travail.
C’est précisément pourquoi investir dans la prévention est une démarche non seulement judicieuse, mais aussi rentable à long terme. Cela commence par une sensibilisation à grande échelle, visant à démystifier le concept de harcèlement, à distinguer ce qui en relève et ce qui n’en relève pas, et à promouvoir des comportements respectueux en milieu de travail. Une prévention proactive contribue à réduire les incidents, à protéger le climat organisationnel et à préserver les talents, renforçant ainsi la santé globale de l’entreprise.
Applications pratiques
- Agir rapidement : intervenir dès qu’une situation à potentiel conflictuel est soulevée. Cela peut inclure des discussions avec les personnes concernées pour clarifier ce qui a été observé ou assurer un suivi auprès de celles qui manifestent régulièrement des désaccords.
- Surveiller la dynamique d’équipe : porter une attention particulière aux interactions lors des rencontres d’équipe; elles peuvent souvent être propices à l’émergence de conflits. Il est impératif de ne pas tolérer les comportements inappropriés et d’appliquer une politique de tolérance zéro de manière constante et cohérente.
Comportements à privilégier par la ou le professionnel RH
- Outiller les gestionnaires : fournir aux gestionnaires les ressources et les formations nécessaires pour qu’elles et ils puissent jouer leur rôle efficacement. De nombreux gestionnaires manquent de compétences ou de confiance pour intervenir de manière proactive.
- Établir un processus d’intervention clair : développer un cadre d’intervention permettant à la professionnelle ou au professionnel RH d’agir sans remettre en question son rôle ou sa légitimité. Ce processus doit être adapté aux pratiques et à la culture organisationnelles, favorisant ainsi son acceptation et son efficacité.
Pour aller plus loin
- Guide d’encadrement de la pratique professionnelle en matière d’enquête à la suite d’une plainte pour harcèlement au travail, Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec, 2021, https://carrefourrh.org/outils/lignes-directrices/guide-encadrement-harcelement
- Sigouin, M.-J. et L. Bernier. Comment traiter une plainte de harcèlement psychologique, Le Corre en bref, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2007.