La Charte des droits et libertés de la personne (la Charte) prévoit à l’article 19 que « tout employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit »[2].
Pour toute personne exerçant sa profession dans le domaine de la dotation en 2025, il est sans équivoque qu’une politique salariale accordant un salaire préférentiel à un groupe particulier déterminé sur la base des critères protégés par la Charte[3] serait une pratique illégale. Il serait par conséquent fort surprenant de trouver une politique créant une discrimination aussi flagrante de nos jours.
L’article 19 de la Charte permet à l’employeur d’accorder un traitement différencié à son personnel sur la base de certains critères objectifs, mais à condition que ces critères soient communs à tous les membres de son personnel. Il s’agit de l’expérience, de l’ancienneté, de la durée du service, de l’évaluation au mérite et de la quantité de production ou du temps supplémentaire.
La Loi sur les normes du travail (LNT) circonscrit davantage le champ d’exercice du droit de gérance de l’employeur à l’intérieur des balises tracées par la Charte.
La non-discrimination de salariés à temps partiel
Le volet historique de l’adoption de cette protection est intéressant. En 1990, le législateur québécois a souhaité introduire à la LNT un nouvel article visant à protéger un groupe de salariés vulnérables : les salariés à temps partiel. La lecture du Journal des débats[4] permet de comprendre les motivations des parlementaires de l’époque. Selon ce qu’ils rapportent, deux groupes sont statistiquement surreprésentés parmi les salariés à temps partiel : les femmes et les jeunes. Certaines entreprises auraient une structure salariale accordant des taux de salaire inférieurs aux salariés à temps partiel en comparaison à ceux à temps plein. Ils souhaitent mettre fin à cette discrimination en adoptant l’article 41.1 LNT.
La nouvelle disposition proposée introduit l’interdiction d’accorder à un salarié un salaire inférieur en raison de son statut d’emploi. On souhaite interdire aux employeurs d’appliquer une rémunération différente aux salariés pour le seul motif qu’ils travaillent habituellement moins d’heures par semaine. Cependant, cette interdiction comporte une limite importante : elle ne s’appliquerait pas aux salariés qui gagnent un taux horaire de plus de deux fois le salaire minimum.
Cette limite a provoqué de vifs débats lors de la Commission permanente des affaires sociales. Les députés de l’opposition y voyaient la permission de discriminer les salariés qui gagnaient 10,60 $ de l’heure et plus, le taux de salaire minimum de l’époque étant de 5,30 $.
Malgré les représentations faites par les députés de l’opposition soulignant la probable contravention à l’article 19 de la Charte, l’article 41.1 LNT fut adopté avec cette limite.
Il faudra attendre 2018 avant de voir cette distinction supprimée. L’article 41.1 LNT se lit désormais ainsi :
« 41.1. Un employeur ne peut accorder à une personne salariée un taux de salaire inférieur à celui consenti à ses autres personnes salariées qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement uniquement en raison de son statut d’emploi, notamment parce qu’elle travaille habituellement moins d’heures par semaine. »
Les tribunaux ont eu peu d’occasions d’interpréter et d’appliquer cet article depuis 35 ans. Trois critères doivent ainsi être observés pour conclure à une disparité illégale :
- Les personnes salariées effectuent-elles les mêmes tâches?
- Les personnes salariées travaillent-elles au sein du même établissement?
- La distinction est-elle fondée uniquement sur le statut, notamment le fait que la personne salariée travaille habituellement moins d’heures par semaine?
Ainsi, si les personnes salariées à temps plein font des tâches différentes de celles à temps partiel, la distinction pourrait être permise[5]. Un tribunal d’arbitrage a déjà déterminé qu’une échelle salariale distincte pour les personnes salariées à temps partiel et les étudiants n’était pas discriminatoire, puisqu’elle était basée sur le nombre d’heures d’expérience et que la distinction prenait fin à partir d’un certain seuil d’expérience[6]. Par ailleurs, il convient de souligner que cet article ne s’applique qu’au taux de salaire[7] et non à l’ensemble des conditions salariales offertes.
Les personnes salariées à l’emploi d’une agence de placement de personnel
En 2018, le législateur a également introduit une nouvelle protection visant des personnes salariées considérées comme étant vulnérables. L’article 41.2 LNT prévoit :
« 41.2. Une agence de placement de personnel ne peut accorder à une personne salariée un taux de salaire inférieur à celui consenti aux personnes salariées de l’entreprise cliente qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement uniquement en raison de son statut d’emploi, notamment parce qu’elle est rémunérée par une telle agence ou qu’elle travaille habituellement moins d’heures par semaine. »
Cela signifie concrètement que deux personnes salariées qui travaillent côte à côte dans la même usine, soit une à l’emploi d’une agence et l’autre à l’emploi de l’usine, devront avoir un taux de salaire équivalent si leur expérience et leurs qualifications sont équivalentes, par exemple.
Les disparités de traitement fondées sur la date d’embauche
Les articles 87.1 à 87.3 LNT sont plutôt connus par les acteurs du monde syndical. Ils interdisent les dispositions d’une convention collective qui accorderaient des conditions plus avantageuses aux personnes salariées embauchées avant une date déterminée. L’adoption de ces articles de la LNT avait pour objectif de contrer les effets discriminatoires de ce type de clauses sur les plus jeunes.
Lors de la négociation d’une convention collective, il arrivait que l’employeur et le syndicat s’entendent pour geler ou bonifier les conditions avantageuses des membres en place, tout en adoptant des conditions moins avantageuses qui s’appliqueraient aux personnes embauchées par la suite. C’est ce qu’on appelle dans le jargon des relations de travail une « ».
Les futurs membres du syndicat n’étaient évidemment pas en mesure d’exprimer leur voix quant au contenu de la convention collective qui s’appliquerait à eux. L’économie se faisait donc sur le dos des futurs collègues, souvent des personnes plus jeunes. Cette inégalité perdurait, et ces personnes n’avaient parfois jamais l’occasion de bénéficier des conditions plus avantageuses, réservées aux anciens. Elles pouvaient traîner ce désavantage tout au long de leur carrière.
En prohibant les disparités de traitement fondées sur la date d’embauche, on a interdit par ricochet la discrimination fondée sur l’âge, protégée par la Charte.
En présence d’un recours alléguant une disparité de traitement fondée sur la date d’embauche, le tribunal devra analyser les effets de la convention collective sur un groupe donné et déterminer si la seule base est la date d’embauche. Comme l’écrit la Cour : « Il faudrait être naïf pour croire que les employeurs, connaissant les prescriptions de la L.N.T., rédigent des clauses salariales qui créent de façon évidente une disparité dans le traitement de ses employés uniquement en fonction de la date d’embauche. »[7] Une analyse des intentions des parties lors de la négociation de la convention collective, de même que le contexte de l’adoption de celle-ci, est parfois nécessaire.
Évidemment, l’article 87.2 LNT précise que la distinction « fondée sur l’ancienneté ou la durée du service n’est pas dérogatoire ».
Finalement, l’article 87.3 LNT fait état des situations d’exception. Il permet l’application de conditions différenciées à la suite d’un accommodement particulier pour une personne salariée handicapée. Il permet aussi les conditions de travail « qui sont temporairement appliquées à une personne salariée à la suite d’un reclassement ou d’une rétrogradation, d’une fusion d’entreprise ou de la réorganisation interne d’une entreprise ». Lorsqu’une disparité salariale résulte du réaménagement des échelles salariales en place, la situation doit s’appliquer uniformément à toutes les personnes salariées qui font les mêmes tâches dans le même établissement, et la situation doit se résorber dans un délai raisonnable.
Ce survol des motifs de disparités salariales interdits par la LNT témoigne clairement du rôle joué par cette loi à caractère social dans le portrait législatif québécois : elle prévoit des normes minimales que les parties ne peuvent contourner, même par contrat[9]. La LNT est en quelque sorte un rempart à la loi du marché.
Références :
- Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1.
- Charte des droits et libertés de la personne, c. C -12.
- Charte des droits et libertés de la personne, article 10 : « Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap. Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. »
- Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission permanente des affaires sociales, 1re sess. 34ème légis, 4 décembre 1990 « Étude détaillée du projet de Loi 97- Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives ».
- Commission des normes du travail c. La Maison Simons inc., C.Q. Québec (ch. civile), 200-02-002848-945, 13 octobre 1995, j. Bond, demande de permission d’appeler rejetée : 1995 CanLII 4960 (QC CA).
- Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Boulangerie Vincent-Massey – CSN c. Boulangerie Canada Bread Ltée, 2020 CanLII 49438 (QC SAT).
- Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Répit-Ressource de l’Est de Montréal, 2024 QCCQ 3302, demande de permission d’appeler accordée : 2024 QCCA 1279.
- Commission des normes du travail c. Progistix-Solutions inc., 2008 QCCQ 2845, par. 4, appel rejeté : 2009 QCCA 2054.
- 93 LNT.
1 | Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1. |
2 | Charte des droits et libertés de la personne, c. C -12. |
3 | Charte des droits et libertés de la personne, article 10 : « Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap. Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. » |
4 | Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission permanente des affaires sociales, 1re sess. 34ème légis, 4 décembre 1990 « Étude détaillée du projet de Loi 97- Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives ». |
5 | Commission des normes du travail c. La Maison Simons inc., C.Q. Québec (ch. civile), 200-02-002848-945, 13 octobre 1995, j. Bond, demande de permission d’appeler rejetée : 1995 CanLII 4960 (QC CA). |
6 | Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Boulangerie Vincent-Massey – CSN c. Boulangerie Canada Bread Ltée, 2020 CanLII 49438 (QC SAT). |
7 | Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Répit-Ressource de l’Est de Montréal, 2024 QCCQ 3302, demande de permission d’appeler accordée : 2024 QCCA 1279. |
8 | Commission des normes du travail c. Progistix-Solutions inc., 2008 QCCQ 2845, par. 4, appel rejeté : 2009 QCCA 2054. |
9 | Art. 93 LNT. |