Depuis la pandémie de COVID-19, le télétravail s’est imposé comme une pratique courante, souvent vue comme un accommodement pour les employés ayant des limitations fonctionnelles. De nombreuses entreprises ont adapté leurs politiques pour permettre le travail à distance, soulevant des questions sur les obligations des employeurs en matière d’accommodement. Une récente décision[1], où une conseillère en orientation demandait à continuer de travailler à distance en raison de ses limitations physiques, illustre ce débat.
Les faits
Dans cette affaire, le syndicat contestait la décision de la commission scolaire de refuser à une conseillère en orientation de travailler exclusivement en télétravail pour des raisons médicales. Souffrant d’un handicap physique, elle estimait pouvoir accomplir ses tâches à distance, comme elle l’avait fait durant la pandémie.
Selon son médecin, la travailleuse ne peut pas marcher plus de 400 mètres, monter une marche de plus de 35 cm, ni utiliser les transports en commun réguliers. Son médecin a précisé qu’elle ne peut parcourir que 150 mètres en 6 minutes et monter au maximum 10 marches, au prix d’un essoufflement et d’une période de repos.
L’employeur a refusé cette demande d’accommodement par le télétravail, affirmant que sa présence sur place était cruciale pour répondre aux besoins spécifiques des étudiants des petites communautés du nord du Québec, souvent déracinés pour poursuivre leurs études secondaires, postsecondaires ou professionnelles à Montréal. La salariée s’avérait la seule conseillère en orientation de l’antenne montréalaise de la commission scolaire, un lieu aménagé pour offrir un soutien complet aux étudiants, avec des espaces de repos, de travail et de rencontre.
L’exigence professionnelle justifiée
Il est établi que la travailleuse souffre d’un handicap au sens de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après la « Charte »). Ainsi, le Tribunal devait déterminer si l’exigence de présence en personne était justifiée par un lien rationnel avec les tâches à exécuter et si les accommodements proposés représentaient, pour l’employeur, une contrainte excessive.
L’article 20 de la Charte permet une exception à l’interdiction de discrimination en emploi pour une exigence professionnelle justifiée.
Le Tribunal a jugé que la présence physique était rationnellement liée aux tâches de la conseillère. Il a également souligné que les étudiants, souvent loin de leurs repères, nécessitent un soutien en personne, surtout en cas d’urgence ou de détresse. Ainsi, la conseillère joue un rôle crucial en les aidant à gérer le stress et les défis de leur éloignement de leur communauté et peut offrir un soutien immédiat par sa présence physique.
La contrainte excessive
Le Tribunal devait également déterminer s’il était possible d’accommoder la travailleuse sans que cela représente une contrainte excessive.
D’abord, le Tribunal a déterminé que, même si les limitations physiques de la conseillère sont importantes, elles ne l’empêchent pas de travailler du moment qu’il n’y a pas d’effort physique.
De plus, il appert que l’accommodement demandé était à durée indéterminée, sans pouvoir prévoir un retour au travail en présentiel en raison de la nature imprévisible de son état de santé. Le Tribunal a donc conclu que le fait de permettre le télétravail exclusif pour une durée indéfinie constituerait une contrainte excessive pour l’employeur, étant donné la nécessité de la présence sur place pour répondre aux besoins des étudiants et atteindre ses objectifs éducatifs.
L’obligation de coopération
Le Tribunal a analysé par le fait même l’obligation de coopération de chaque partie en matière d’accommodement, en ce qu’il est établi que le processus d’accommodement est une responsabilité partagée entre l’employeur, l’employé et, le cas échéant, le syndicat. Chaque partie doit participer de manière active et flexible à la recherche d’une solution raisonnable. L’employé doit fournir toutes les informations pertinentes et être ouvert aux propositions d’accommodement, même si elles ne sont pas idéales. Le processus d’accommodement est par nature un compromis et vise à trouver une solution qui permet à l’employé de continuer à travailler sans imposer une contrainte excessive à l’employeur.
Dans cette affaire, l’employeur a démontré que la conseillère n’avait pas pleinement coopéré, omettant de révéler son admissibilité au transport adapté, ce qui lui aurait permis de se rendre au travail malgré ses limitations. Cette omission a été jugée comme un manquement à son obligation de collaboration, essentielle dans le cadre d’un processus d’accommodement.
Conclusion
Cette décision réaffirme que le télétravail, bien qu’il représente un possible accommodement, ne peut être exigé systématiquement par une personne, surtout si la présence physique est justifiée par la nature des tâches et les besoins spécifiques.
Elle souligne également l’importance de la coopération de toutes les parties dans le processus d’accommodement. L’employeur a démontré que la conseillère n’avait pas respecté cette obligation, justifiant ainsi le rejet du grief.
Enfin, la décision rappelle que les accommodements doivent être raisonnables et ne pas imposer une contrainte excessive. Dans ce cas, l’accommodement demandé était à durée indéterminée, représentant une contrainte excessive pour l’employeur.
Cette décision confirme le droit des employeurs de refuser des demandes d’accommodement qui compromettent leurs objectifs opérationnels, lesquelles peuvent conduire à la preuve d’une conduite excessive.
1 | Syndicat des professionnelles et professionnels en milieu scolaire du Nord-Ouest (SPPMSNO) et Commission scolaire crie (Louise Ostiguy), 2025 QCTA 8. |