ressources / relations-travail

Décisions marquantes en droit du travail pour l’année 2024

De nombreuses décisions d’intérêt pour les acteurs du monde du travail ont été rendues par les tribunaux en 2024. En ce début d’année, nous abordons ici celles qui ont retenu plus particulièrement notre attention.
26 février 2025
Me Marianne Poliquin, CRHA | Me Gabrielle Bartkowiak

La liberté d’association des cadres

Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13

La Cour suprême du Canada a rendu une décision très attendue en matière de syndicalisation des cadres.

L’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (« l’Association ») a déposé en 2016 une requête en accréditation afin d’être reconnue comme l’agent négociateur des cadres. Elle a demandé du même coup au Tribunal administratif du travail (« TAT ») de déclarer inconstitutionnelle l’exclusion des cadres de la définition de « salarié » au Code du travail. Le TAT a conclu à l’inconstitutionnalité de l’exclusion des cadres et donne raison à l’Association au motif que cette exclusion portait atteinte de manière substantielle à leur liberté d’association garantie par les Chartes[1].

L’employeur a contesté la décision devant la Cour supérieure, qui l’a infirmée, et a souligné que l’Association n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une violation à la liberté d’association. 

La Cour d’appel a rétabli la décision du TAT en déterminant, essentiellement sur la base des mêmes motifs, qu’il y avait une atteinte substantielle à la liberté d’association des cadres de premier niveau. Elle a souligné que cette entrave à la liberté d’association n’était pas justifiée.

Finalement, la Cour suprême a tranché cette saga judiciaire en concluant que l’exclusion d’une association de cadres de premier niveau du régime de syndicalisation prévu au Code du travail était constitutionnelle. Ces cadres n’avaient donc pas le droit de se syndiquer sous le régime du Code du travail. Malgré cette exclusion législative, les membres de l’Association sont parvenus à s’associer. Des recours alternatifs aux protections prévues au Code du travail existent, ce qui démontre qu’ils ne sont pas dans l’incapacité d’exercer leur liberté d’association ni de négocier collectivement avec leur employeur.

Le droit à la vie privée

Conseil scolaire de district de la région de York c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, 2024 CSC 22

Les enjeux relatifs à la protection du droit à la vie privée des employés dans le contexte des relations de travail font l’objet d’une abondante jurisprudence. La Cour suprême du Canada a analysé une situation qui s’est produite en Ontario dans le contexte de l’utilisation des outils technologiques au travail.

Un directeur d’école a accédé sans y être autorisé au journal électronique personnel de deux enseignantes, ce qui a mené à des réprimandes. Le syndicat a invoqué la violation de leur droit à la vie privée. Le journal en question était protégé par un mot de passe et sauvegardé sur une plateforme infonuagique privée (Google docs), non pas sur les systèmes du conseil scolaire. Informé de l’existence de ce journal, le directeur de l’école est entré dans la salle de classe de l’une des enseignantes après la fin des cours, en son absence, afin d’y remettre du matériel didactique. En constatant que l’ordinateur portable du conseil scolaire utilisé par l’enseignante était ouvert, le directeur a touché le tapis de la souris et a vu le journal apparaître à l’écran. Il a lu ce qui y était affiché, a défilé le reste du document, puis a pris des photos de son contenu à l’aide de son téléphone cellulaire. Les deux enseignantes y inscrivaient leurs préoccupations quant à leur milieu de travail. Le conseil scolaire s’est ensuite appuyé sur ces communications pour imposer des réprimandes écrites aux enseignantes[2].

Le syndicat a contesté les réprimandes en affirmant que la fouille effectuée par le directeur avait violé le droit à la vie privée des deux enseignantes. L’arbitre du travail a rejeté le grief, jugeant que les enseignantes avaient une attente réduite en matière de vie privée et que l’employeur était justifié d’enquêter pour résoudre un problème d’environnement de travail toxique.

La Cour divisionnaire de l’Ontario a confirmé la décision de l’arbitre, car elle estime que l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés[3] (la « Charte canadienne »), qui protège contre les fouilles abusives, ne s’appliquait pas en contexte de travail. Cependant, la Cour d’appel de l’Ontario a annulé cette décision, statuant que les conseils scolaires sont soumis à la Charte canadienne et que les enseignantes bénéficient de la protection contre les fouilles abusives.

Le cœur du débat porté devant la Cour suprême concernait la question de savoir si les conseils scolaires publics de l’Ontario étaient considérés comme faisant partie du gouvernement et, par conséquent, s’ils étaient soumis à la Charte canadienne, laquelle s’applique aux actions gouvernementales. La Cour a conclu que les conseils en question faisaient partie du gouvernement et précisé que cette détermination s’appliquait spécifiquement aux conseils scolaires de l’Ontario. Il faudrait donc attendre une autre occasion pour qu’elle se prononce sur l’applicabilité de la Charte canadienne aux écoles publiques d’autres provinces ou à la gestion des écoles privées[4].

Ainsi, la Cour a tranché en faveur des enseignantes, affirmant que la Charte canadienne protégeait les enseignants contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives sur leur lieu de travail. Par la même occasion, la Cour est revenue sur les principes relatifs à l’attente raisonnable de vie privée d’un employé dans son milieu de travail, dont le cadre d’analyse est différent de celui appliqué aux fouilles abusives dans le contexte criminel.

Bien que s’inscrivant dans le contexte d’un conseil scolaire de l’Ontario, cette affaire vient rappeler à tous les employeurs l’importance de bien évaluer l’attente raisonnable de vie privée d’un employé lorsqu’il s’agit d’exercer une surveillance ou une enquête dans le milieu de travail. Les employeurs seront bien avisés d’adopter une politique claire concernant l’utilisation des outils technologiques dans le milieu de travail afin d’encadrer le plus possible l’attente des employés quant au respect de leur vie privée.

La discrimination fondée sur l’état civil et la parentalité

Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, 2024 QCCA 204

Dans cette affaire, la convention collective prévoyait des congés d’assiduité accordés pour les salariés rencontrant certains critères en matière d’absentéisme. Les congés de maternité et de paternité ainsi que les congés parentaux ne faisaient pas partie des congés qui ne sont pas pris en compte dans les absences aux fins de l’octroi du congé d’assiduité.

Après l’entrée en vigueur de la convention collective, le syndicat a déposé un grief collectif demandant que les congés de maternité et de paternité ainsi que les congés parentaux soient inclus dans les congés qui ne sont pas pris en compte aux fins de l’octroi du congé d’assiduité, au même titre que les congés sociaux, en alléguant que leur exclusion était discriminatoire. L’arbitre a rejeté le grief suivant trois motifs : la convention collective différenciait les congés parentaux des congés sociaux, les employés en congés parentaux n’étaient pas réputés être au travail pour les fins d’obtention du congé d’assiduité et la parentalité n’était pas un motif de discrimination selon l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne[5] (la « Charte »), conformément à l’arrêt SIISNEQ[6] rendu en 2010.

La Cour supérieure a confirmé cette décision, jugeant que l’arbitre avait rendu une décision raisonnable en respectant la hiérarchie des tribunaux, puisque l’arrêt SIISNEQ concernait directement la question de la situation parentale et que l’arrêt Laroche c. Lamothe, [7]rendu en 2018, n’avait pas renversé SIISNEQ.

En appel, le syndicat a insisté sur le fait que le motif de discrimination basé sur l’état civil devait inclure la notion de « parentalité » ou de « situation parentale », que cette question faisait l’objet d’une jurisprudence contradictoire, que l’arrêt SIISNEQ est une décision isolée et que le juge aurait commis une erreur révisable en ne concluant pas que la décision de l’arbitre était déraisonnable.

La Cour d’appel a rejeté l’argumentaire du syndicat, soulignant que l’arrêt SIISNEQ a été confirmé par l’arrêt Beauchesne[8] et que ces deux arrêts ont autorité sur les décisions de tribunaux inférieurs. De plus, la Cour a rappelé que les motifs énumérés à la Charte sont exhaustifs et n’incluent pas la situation parentale[9]. Enfin, elle a souligné que, bien que cet argument ne soit pas déterminant, les parties n’ont pas prévu ce motif dans les dispositions de la convention collective portant sur la discrimination.

Quant à la question du congé de maternité, la Cour d’appel a conclu que son exclusion pour l’octroi du congé d’assiduité ne repose pas réellement sur le motif prohibé de la grossesse, mais plutôt sur la situation parentale, à l’instar du congé de paternité et du congé parental et que, de ce fait, il n’y a pas de traitement discriminatoire. Après une analyse contextuelle du préjudice réel, la Cour a conclu également que l’exclusion du congé de maternité n’entraîne pas de préjudice réel et n’est donc pas une mesure discriminatoire fondée sur la grossesse.

Critères de l’arrêt Costco – Nécessité absolue de prévenir l’employé qu’il risque d’être congédié?

Syndicat de l’enseignement de la région de la Mitis c. Centre de services scolaire des Monts-et-Marées, 2024 QCCA 1280

Dans cette affaire, la direction d’une école constatait de plus en plus de lacunes quant à la prestation de travail d’une enseignante, notamment la progression des apprentissages, le ton employé avec ses élèves, le type d’enseignement et l’entretien de sa classe.

Après l’avoir avisée de ses problèmes de rendement et accompagnée, la direction a pris la décision de congédier l’enseignante, car elle constatait que cette dernière était incapable de prendre conscience de ses lacunes et difficultés. Elle a également souligné que, même en poursuivant l’accompagnement pédagogique, l’enseignante n’aurait pas amélioré de façon significative sa prestation de travail.

Le syndicat de l’enseignante a contesté son congédiement, alléguant notamment que l’employeur n’avait pas respecté les critères de l’arrêt Costco en matière de congédiement pour rendement insatisfaisant, en omettant de prévenir l’employée formellement qu’elle risquait un congédiement en l’absence d’amélioration de sa part. L’arbitre a conclu que ce seul fait ne pouvait justifier l’annulation du congédiement. L’enseignante devait forcément savoir que le défaut de s’améliorer pourrait mener à sa fin d’emploi. La Cour d’appel a estimé qu’une telle conclusion de l’arbitre n’était pas déraisonnable et a rappelé que les critères de l’arrêt ne doivent pas faire l’objet d’une analyse trop rigoriste, mais plutôt être appréciés de façon globale et contextuelle.

Le droit de retrait préventif et la réaffectation

Ouellet c. Tribunal administratif du Travail, 2024 QCCS 621

La Cour supérieure a rendu une décision concernant les obligations de l’employeur lorsqu’une employée enceinte exerce son droit de retrait préventif et demande une réaffectation.

L’employée a soumis une plainte à la CNESST, alléguant avoir subi des représailles ou des mesures discriminatoires après le refus de son employeur de la réaffecter à d’autres tâches dans le cadre du programme Pour une maternité sans danger. Cette plainte a été rejetée par la CNESST et ensuite par le TAT, lequel a conclu que les articles 40 et 41 de la Loi sur la santé et sécurité au travail[10] (« LSST ») ne confèrent qu’un droit au retrait immédiat du travail et non un droit de réaffectation.

Portée en contrôle judiciaire, la Cour supérieure s’est prononcée sur les obligations qui incombent à l’employeur dans ces situations.

La Cour supérieure a rappelé les objectifs de la LSST énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dionne[11]. Elle a souligné que le régime créé par cette loi a été conçu pour assurer la sécurité financière des travailleurs qui doivent se retirer temporairement pour éviter un travail dangereux. Ainsi, les droits prévus aux articles 40 et 41 de la LSST ont été conçus pour permettre aux travailleuses enceintes de continuer à travailler ou, si aucun autre lieu de travail sécuritaire n’est disponible, d’empêcher qu’elles soient pénalisées sur le plan financier.

La réaffectation, bien que non explicitement prévue par la loi, doit être sérieusement considérée comme une alternative au retrait et permettre à la travailleuse de continuer à travailler sans risques. La Cour supérieure a estimé que le TAT avait mal interprété les articles en question et que sa décision était déraisonnable. L’employeur a l’obligation d’examiner activement les possibilités de réaffectation à des tâches sans danger, lorsque cela est possible. Il ne peut se contenter de dire qu’une réaffectation n’est pas possible sans démontrer qu’il a cherché activement une solution.

La Cour a donc annulé la décision rendue par le TAT et lui a retourné le dossier pour qu’il statue conformément aux faits et au droit.

Qualification du contrat de travail – Emploi à vie et ordonnance de réintégration

Gestion Juste pour rire inc. c. Gloutnay, 2024 QCCA 156

  1. André Gloutnay (« Gloutnay ») a commencé à travailler au Musée Juste pour rire en 1993, sous la direction de M. Gilbert Rozon (« Rozon »), président de Gestion Juste Pour Rire inc. (« GJPR »). En 1995, il a signé un premier contrat de travail avec le musée, suivi d’un second en 2002, lequel est à durée indéterminée.

En 2004, Gloutnay a signé une convention avec Rozon qui lui promettait un emploi « permanent à vie » en échange de la cession de sa collection de vidéos. Cette convention stipulait que Gloutnay serait responsable de la gestion de cette collection, qui appartiendrait à Rozon et serait transférée au Musée Juste pour rire après son décès. Le document ne faisait aucune mention du contrat de travail de 2002. En 2011, une modification au contrat de travail de 2002 a été signée, laquelle portait sur une réduction du salaire de Gloutnay. Cependant, cette entente ne mentionnait pas l’entente intervenue en 2004 entre Gloutnay et Rozon. En 2018, suivant la démission de Rozon et la vente de ses actions, GJPR a licencié Gloutnay, malgré l’entente intervenue en 2004 qui lui promettait un emploi à vie. C’est sur la base de cette mise à pied que Gloutnay a intenté une action en justice pour faire valoir ses droits.

La Cour supérieure a retenu les prétentions de Gloutnay à l’effet que l’engagement de Rozon n’avait pas été pris à titre personnel, mais plutôt comme président et mandataire de GJPR. Elle rejette également la prétention à l’effet qu’un contrat de travail à vie est contraire à l’ordre public et examine la question de la réintégration. Au final, la Cour supérieure ordonne à GJPR d’indemniser Gloutnay pour la perte salariale depuis la fin de son emploi, de le réintégrer et de lui verser la somme de 20 000 $ à titre de dommages moraux.

La Cour d’appel a confirmé les conclusions de la Cour supérieure quant à l’engagement de Rozon. Elle a indiqué que le fait de promettre un emploi à vie a eu pour effet d’emporter renonciation au droit de GJPR de résilier le contrat de travail en donnant un préavis raisonnable, comme le prévoit normalement l’article 2091 du Code civil du Québec. La Cour d’appel est toutefois intervenue sur la question de la réintégration et a conclu que GJPR devait verser à Gloutnay une indemnité correspondant à la perte de salaire jusqu’à l’âge de la retraite, habituellement prévue à 65 ans.

Abordant la controverse jurisprudentielle concernant le pouvoir d’ordonner la réintégration d’un employé en droit civil, la Cour d’appel a estimé que, dans les circonstances de la présente affaire, la Cour supérieure avait erré en ordonnant la réintégration de Gloutnay. Le caractère intuitu personae du contrat d’emploi fait obstacle à une telle réintégration :

La Cour d’appel a ordonné à GJPR d’indemniser Gloutnay pour la perte salariale jusqu’à sa retraite prévue à 65 ans.

Pratique interdite – Charte de la langue française

Kim c. Ultium Cam, 2024 QCTAT 3295

Dans cette affaire, le TAT s’est prononcé sur les nouvelles dispositions introduites par le projet de loi 96 concernant la démarche à laquelle l’employeur doit se conformer afin de justifier l’exigence de la connaissance d’une autre langue que le français.

Le TAT s’est saisi d’une plainte pour pratique interdite en vertu de la Charte de la langue française[13] (« CLF »). L’employeur avait affiché un poste qui exigeait la connaissance des langues anglaise et coréenne. Le plaignant a vu sa candidature rejetée en raison de son manque de compétences linguistiques et a décidé de porter plainte contre l’employeur. Le plaignant a allégué que l’exigence de la connaissance des langues anglaise et coréenne pour le poste affiché par l’employeur constituait une violation de ses droits linguistiques. Cela excluait l’accès au poste pour certaines personnes en raison de l’exigence de la connaissance d’une autre langue que le français, alors que selon lui, l’employeur n’avait pas démontré qu’une telle exigence était justifiée.

Le TAT a rappelé que la CLF protège le droit des personnes de travailler en français. L’exigence de la connaissance d’une langue autre que le français est interdite, à moins que cela soit nécessaire pour accomplir les tâches liées au poste offert et que tous les moyens raisonnables aient été entrepris pour éviter l’imposition d’une telle exigence.

Pour bénéficier de la présomption de pratique interdite prévue par la CLF, le plaignant, qui n’était pas lié à l’employeur par un contrat de travail, devait démontrer : (1) avoir posé sa candidature à la suite d’une offre d’emploi de l’employeur; (2) que l’employeur exige la connaissance spécifique d’une langue autre que le français pour accéder au poste; et (3) avoir déposé sa plainte dans les 45 jours suivant la pratique interdite dont il se plaignait.

Une fois la présomption établie, il incombait à l’employeur de démontrer que l’exigence linguistique était justifiée. Il devait prouver que la connaissance d’une autre langue était effectivement nécessaire pour accomplir les tâches et qu’il avait pris tous les moyens raisonnables pour éviter une telle exigence avant l’affichage du poste.

Le TAT a estimé que l’employeur n’est pas parvenu à renverser la présomption, puisqu’il n’a pas démontré avoir pris tous les moyens raisonnables pour éviter l’imposition de l’exigence de la connaissance d’une autre langue que le français, selon les exigences du test en trois étapes prévues au nouvel article 46.1 de la CLF : « Un employeur est réputé ne pas avoir pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’exiger la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que la langue officielle dès lors que, avant d’exiger cette connaissance ou ce niveau de connaissance, l’une des conditions suivantes n’est pas remplie : 1° il avait évalué les besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir; 2° il s’était assuré que les connaissances linguistiques déjà exigées des autres membres du personnel étaient insuffisantes pour l’accomplissement de ces tâches; 3° il avait restreint le plus possible le nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l’accomplissement nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que la langue officielle. »

Le TAT a donc accueilli la plainte, concluant que l’employeur a contrevenu à la CLF en imposant des exigences linguistiques non justifiées.

Discrimination en raison de la grossesse – Demande d’accommodement en télétravail

Syndicat des employés et des employées de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (SECDPDJ-CSN) c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), 2024 CanLII 67123 (QC SAT)

Dans cette décision, une employée a demandé un accommodement pour travailler en télétravail à temps plein en raison de sa grossesse, invoquant une fatigue excessive et un besoin de dormir pendant la journée. L’employeur a refusé cette demande et insisté sur l’application d’une politique hybride nécessitant une présence minimale au bureau de deux jours par semaine. Il a par ailleurs procuré un matelas à l’employée afin de lui permettre de faire une sieste au travail si elle en ressentait le besoin. Le syndicat a contesté cette décision et argué que le refus d’autoriser le télétravail à temps plein constituait une discrimination fondée sur la grossesse et une violation de la convention collective en matière d’hygiène.

Le Tribunal a accepté la proposition du syndicat selon laquelle l’employée a subi de la discrimination à première vue en raison de sa grossesse. L’exigence de l’employeur concernant la présence au travail deux jours par semaine a été reconnue comme étant une norme raisonnable, et l’employeur a offert à la plaignante un accommodement raisonnable afin de lui permettre de s’y conformer. Le Tribunal a analysé ensuite la question de l’hygiène au travail. Il a précisé que les aménagements proposés par l’employeur, notamment un matelas pour dormir au bureau, étaient raisonnables, et que la plaignante n’avait pas prouvé que les conditions de travail n’étaient pas conformes aux normes d’hygiène.

Le Tribunal a rejeté le grief, estimant que l’employeur a respecté son obligation d’accommodement en proposant des solutions raisonnables. Il a également souligné que la plaignante et le syndicat n’avaient pas collaboré efficacement pour trouver une solution acceptable en rejetant de façon catégorique les propositions de l’employeur.

Demande de transfert du coût des prestations en vertu de l’article 326 LATMP

911 Pro inc., 2024 QCTAT 494

Le TAT est revenu sur la question à l’origine d’une certaine controverse jurisprudentielle concernant la démission invoquée afin de justifier une demande de partage de coûts.

Dans la présente affaire, l’employeur a contesté une décision de la CNESST qui avait refusé de transférer le coût des prestations liées à la lésion professionnelle d’un travailleur. Il avait été victime d’un accident de travail en 2020. Toutefois, le travailleur a démissionné en 2021, empêchant ainsi l’employeur d’effectuer une assignation temporaire pour réduire les coûts de l’indemnité de remplacement de revenu. Ainsi, le TAT devait déterminer si cette démission constituait une situation d’injustice pour l’employeur en l’obérant injustement au sens de l’article 326 al. 2 de la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles[14].

Dans son dispositif, le TAT a rappelé que cette notion faisait référence à une situation où l’employeur se voit imposer un coût excessif lié à un accident du travail, en raison des circonstances extérieures à l’accident lui-même. L’analyse de cette question se fait en examinant les principes juridiques en matière de financement, notamment le fait qu’un employeur est responsable des coûts de prestations, sauf en cas de situations exceptionnelles, comme l’impossibilité d’exécuter une assignation temporaire.

Le TAT a conclu que la démission du travailleur a entraîné une situation d’injustice pour l’employeur, car elle l’avait privé de la possibilité de réduire les coûts en assignant temporairement le travailleur. De surcroît, la période concernée représentait un tiers des coûts totaux liés à la lésion professionnelle. Le TAT a donc accueilli la contestation et a décidé que le coût de l’indemnité de remplacement de revenu entre la période où le travailleur avait démissionné et recommencé à travailler devait être imputé aux employeurs de toutes les unités.

La discrimination à l’emploi, les accusations criminelles et le devoir de loyauté

Niphakis c. Indeed Canada Corp., 2024 QCTAT 3315

Un salarié œuvrant à titre de chef d’équipe des ventes dans une entreprise de recrutement a fait l’objet d’une arrestation en lien avec des accusations de fraude et a été remis en liberté en attendant son procès. L’employeur a appris la nouvelle dans les journaux et a décidé d’effectuer de plus amples recherches en ligne. Il a ainsi découvert l’existence de jugements civils condamnant son salarié à un million de dollars pour fraude et l’a suspendu avec solde pour fins d’enquête.

Au terme de son enquête, l’employeur a congédié le salarié au motif qu’il était impliqué dans des activités incompatibles avec la mission et les valeurs de l’entreprise. Le salarié a déposé une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, alléguant avoir été victime d’un congédiement sans cause juste et suffisante.

L’employeur prétend que ce ne sont pas les accusations criminelles qui constituaient la cause du congédiement, mais bien les jugements en matière civile. Or, lors de son enquête, qui a débuté après sa connaissance d’accusations criminelles, plusieurs questions portaient sur les motifs de son arrestation. L’employeur a ajouté que le plaignant a failli à son devoir de loyauté en omettant de l’informer des jugements civils et de la poursuite criminelle.

L’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne protège les salariés contre la discrimination et les stigmates sociaux injustifiés envers les individus ayant des antécédents judiciaires. Le TAT a rappelé que cette protection s’étend au salarié en attente de subir son procès ou visé par des accusations criminelles. Le salarié n’a pas à prouver que les accusations criminelles constituent la cause unique du traitement préjudiciable.

Le TAT a estimé que les accusations criminelles participaient véritablement à la cause du congédiement, puisqu’elles étaient à l’origine de l’enquête de l’employeur. Or, l’employeur n’a pas réussi à faire la preuve que les accusations de fraude immobilière du salarié étaient incompatibles avec son poste dans le domaine du recrutement.

Quant au devoir de loyauté, le TAT a souligné son désaccord avec l’argumentaire de l’employeur. Le salarié n’a pas à divulguer à son employeur, qui ne l’a d’ailleurs pas demandé, ses démêlés avec la justice, qui n’ont aucun lien avec son emploi et qui concernent sa vie personnelle, d’autant plus qu’il était toujours présumé innocent.

Le TAT a accueilli la plainte et a ordonné la réintégration du salarié.


Author
Me Marianne Poliquin, CRHA Avocate Cain Lamarre

Admise au barreau du Québec en 2019, Me Marianne Poliquin exerce au sein du bureau de Montréal où elle pratique en droit du travail et de l’emploi, ainsi qu’en litige civil et commercial. Titulaire d’un baccalauréat en droit et d’un certificat en relations industrielles, Me Poliquin adopte une approche holistique de ses dossiers, enrichie par une compréhension profonde des dynamiques humaines grâce à son diplôme d’études collégiales en intervention en délinquance, et à son statut de CRHA (conseillère en ressources humaines agréée). Elle possède également une accréditation du Barreau du Québec comme avocate menant des enquêtes en harcèlement psychologique en milieu de travail.

Avant de se lancer dans le droit, Me Poliquin a mené une carrière impressionnante en tant qu’entraîneuse professionnelle de natation artistique. Elle a notamment été entraîneuse-chef d’un club en Suisse pendant plusieurs années et a accompagné l’équipe nationale suisse dans une série de compétitions internationales. Parallèlement, elle a nourri une passion pour la musique, œuvrant à titre de DJ pendant plus de 10 ans.

Ce qui distingue Me Poliquin dans sa pratique juridique est son esprit de coach inné, une qualité qui transcende son passé sportif pour imprégner son approche professionnelle. Empathique, Me Poliquin sait s’adapter à chaque situation où l’approche humaine et globale des enjeux, combinée à une authentique passion pour aider les autres, fait d’elle une professionnelle remarquable et dévouée.

Au-delà de sa pratique professionnelle, Me Poliquin s’intéresse à la psychologie et à la criminologie, ainsi qu’à la musique, aux voyages et à la découverte de nouvelles activités. Parmi les causes qui lui tiennent à cœur se trouvent la santé mentale et l’accès aux soins de santé mentale, c’est pourquoi elle est impliquée sur le conseil d’administration de l’Association canadienne pour la santé mentale, Division du Québec, depuis 2021.


Author
Me Gabrielle Bartkowiak Avocate Cain Lamarre
Admise au Barreau du Québec en 2023, M Gabrielle Bartkowiak exerce sa pratique au bureau de Saguenay en droit du travail et de l’emploi, en assurance et responsabilité et en enquêtes administratives.

Également titulaire d’un baccalauréat intégré en affaires publiques et relations internationales de l’Université Laval, son parcours illustre une profonde compréhension des enjeux légaux et internationaux. Avant de rejoindre le Barreau, elle a notamment enrichi son expérience en droit en tant que stagiaire à la magistrature à la Cour du Québec, et comme auxiliaire d’enseignement et de recherche à la Faculté de droit de l’Université Laval.

M Bartkowiak se distingue par ses compétences exceptionnelles en analyse, en vulgarisation, et en rédaction juridique : des aptitudes renforcées par une formation complémentaire en journalisme. Sa passion pour le droit, combinée à un tempérament humain et à son leadership, font d’elle une professionnelle dévouée, capable de naviguer à travers les complexités du droit avec assurance et empathie.

Source : VigieRT, février

1 L’alinéa 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés et l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne.
2 Conseil scolaire de district de la région de York c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, 2024 CSC 22, par. 6-14.
3 Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11.
4 Conseil scolaire de district de la région de York, supra note 1, par. 84; Soulignons qu’au Québec, l’article 24.1 de la Charte des droits et libertés de la personne prévoit également une protection contre les fouilles abusives : « Nul ne peut faire l’objet de saisies, perquisitions ou fouilles abusives. »
5 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.
6 Syndicat des intervenantes et intervenants de la santé Nord-Est québécois (SIISNEQ) (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Basse-Côte-Nord, 2010 QCCA 497.
7 Laroche c. Lamothe, 2018 QCCA 1762.
8 Beauchesne c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), 2013 QCCA 2069.
9 Procureure générale du Québec c. Association des juristes de l’État, 2017 QCCA 103.
10 Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ c S-2.1.
11 Dionne c Commission scolaire des patriotes, 2014 CSC 33.
12 Gestion Juste pour rire inc. c. Gloutnay, 2024 QCCA 156, par. 51.
13 Charte de la langue française, RLRQ c C-11.
14 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ c A-3.001.