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Les griefs patronaux : un outil sous-utilisé

Le grief patronal peut être une solution stratégique et économique pour résoudre rapidement des litiges.
4 décembre 2024
Me Marie-Claude Perreault, CRIA | Me Naomy Simard-Dasilva

Cet article rédigé en 2008 a été mis à jour en octobre 2024

Souvent sous-estimé, le recours à la procédure de grief par l’employeur peut pourtant s’avérer être une solution économique et stratégique dans le règlement de certains litiges. En effet, la procédure de grief étant par nature un mécanisme allégé, les parties peuvent y trouver une solution à leurs litiges de manière plus efficace et moins onéreuse. Dans un contexte où les parties sont en contact étroit au quotidien, le règlement des litiges dans les plus brefs délais est souhaitable.  

Habituellement, le processus de grief diffère dépendamment qu’il soit initié par l’employeur, le syndicat ou la personne salariée. Il est donc nécessaire de se reporter aux dispositions de la convention collective afin de bien comprendre les modalités entourant le droit pour l’employeur de déposer un grief. À défaut de stipulations quant à la partie à qui s’appliquent lesdites dispositions, celles-ci s’appliquent de la même manière pour chacune des parties contractantes. Par exemple, le délai prévu dans le Code du travail pour le dépôt d’un grief est de six mois à compter du jour où la cause d’action a pris naissance. Les parties conviennent fréquemment de délais plus courts pour le dépôt d’un grief, l’article 71 du Code du travail n’ayant qu’un caractère supplétif. Cependant, le délai minimal est de 15 jours. Les parties doivent alors convenir de l’application ou non de ce délai à l’employeur et procéder à la rédaction des dispositions correspondantes en conséquence. À titre d’illustration, le tribunal d’arbitrage a rendu une décision où il a jugé que le délai de prescription de la convention collective ne s’appliquait pas à l’employeur puisque les dispositions pertinentes portaient uniquement sur le salarié, le groupe de salariés ou le syndicat. Ainsi, comme le rapportait l’arbitre, « le droit au grief existe pourtant pour l’employeur et si la procédure pour qu’il exerce ce droit n’est pas prévue à la convention collective […] c’est le Code du travail qui doit alors s’appliquer. »[1]

En bref, le grief déposé par l’employeur vise à réclamer d’un syndicat, ou même d’une personne salariée, qu’il se conforme à une obligation résultant de l’application de la convention collective. Évidemment, ces réclamations peuvent être de tout ordre et, bien que le grief patronal ne soit pas fréquemment utilisé, voici certaines situations où l’employeur a pu tirer profit de l’utilisation de la procédure d’arbitrage de grief. 

Recours en cas d’arrêt de travail ou de moyens de pression illégaux

En 2022 et 2023, les tribunaux ont tranché deux litiges[2]similaires où l’employeur avait déposé un grief alléguant une violation de la convention collective et réclamant que le syndicat cesse ses moyens de pression illégaux. Dans l’une de ces situations, l’employeur réclamait l’application de la procédure de rappel de ses personnes salariées après que le syndicat avait émis un mot d’ordre incitant les officiers syndiqués à ne plus se conformer à cette procédure prévue à la convention collective et à privilégier que le rappel au travail se fasse selon l’ancienneté des personnes salariées. Dans la convention collective, les parties avaient conclu que les six premières personnes salariées sur la liste de rappel soient assignées par ancienneté, tandis que les personnes suivantes se voyaient attribuer des heures de travail selon un principe d’équité. Le tribunal, concluant que le mot d’ordre du syndicat constituait une usurpation du droit de direction de l’employeur, et ce dernier n’ayant par ailleurs déposé aucun grief relatif à cette procédure de rappel, a ordonné au syndicat de cesser d’inciter ses membres à ne pas respecter la procédure de rappel au travail et de se conformer pleinement à la convention collective et aux directives de l’employeur. Le tribunal a toutefois rejeté la demande de l’employeur à l’égard des personnes salariées, précisant que celui-ci ne pouvait, en l’absence de sanctions disciplinaires préalables, demander que soient imposées des ordonnances pour sanctionner individuellement les personnes salariées. Dans l’autre cas, le tribunal statuait que les modifications apportées à l’uniforme des personnes salariées afin d’amener l’employeur à respecter une lettre d’entente, en contravention avec les dispositions de la convention collective en vigueur, étaient illégales. 

Dans ces situations, l’employeur bénéficie d’une façon rapide et efficace d’obtenir le respect de la convention collective et de faire cesser tout comportement nuisible au bon fonctionnement de l’entreprise. 

Remboursement de sommes versées en trop au syndicat ou aux personnes salariées

Le grief patronal peut également s’avérer utile pour régler les questions d’ordre financier qui découlent de l’application de la convention collective. Le cas le plus évident est, bien entendu, celui des clauses prévoyant le remboursement des salaires versés pour activités syndicales. L’application de ces clauses peut s’avérer litigieuse lorsqu’il est temps de faire les comptes et l’employeur peut recourir à la procédure de grief pour réclamer au syndicat les sommes qu’il juge lui appartenir. Advenant une situation où le syndicat omet de remettre à l’employeur les sommes versées pour lesdites libérations, le grief patronal permet de trancher la question le plus rapidement possible et de fixer le montant du remboursement le cas échéant. Dans le même ordre d’idées, le grief patronal est souvent l’outil le plus efficace pour réclamer des montants relatifs aux honoraires et aux frais d’arbitrage. L’arbitre de grief peut alors fixer, dans l’exercice de son mandat, l’importance et les modalités de remboursement de toute somme qu’un employeur aurait versée en trop à une personne salariée[3]

Recours en dommages-intérêts pour procédures abusives déposées par le syndicat

L’utilisation abusive de la procédure de grief est une manœuvre déplorable visant essentiellement à court-circuiter la gestion des relations du travail en entreprise. De plus, avec la montée d’une certaine crainte de se voir poursuivre pour manquement au devoir de représentation, certains syndicats tendent à favoriser le dépôt d’un grief plutôt que de chercher à en déterminer d’abord le bien fondé. Ainsi, les tribunaux d’arbitrage ont reconnu le droit de l’employeur de se prévaloir de la procédure de grief pour se faire indemniser à l’égard des dommages subis par un abus de procédure de la part du syndicat. La situation s’est produite en 2021[4] lorsqu’un employeur a déposé un grief afin de réclamer le remboursement des frais que lui a causé un arbitrage après que le syndicat eut présenté une exception déclinatoire entraînant des reports d’audience de 2013 à 2019 avant d’être finalement retirée par ce dernier, après de prétendues « vérifications ». L’arbitre a finalement conclu que le syndicat avait agi de manière téméraire en maintenant pendant des années un argument dénué de tout fondement. 

Ainsi, pour qu’une procédure soit qualifiée d’abusive, elle doit non seulement être dénuée de fondement en fait et en droit, mais aussi revêtir un caractère abusif lors de son dépôt. Des éléments comme la frivolité de la demande, la malice, la mauvaise foi, la témérité ou l’apparente absence de fondement juridique sont des indicateurs que les tribunaux prennent en compte pour conclure à un abus de procédure. Cette évaluation se fait à travers le prisme de la personne raisonnable placée dans des circonstances similaires, permettant de déterminer si le comportement de la partie syndicale s’apparente effectivement à une utilisation déraisonnable des recours judiciaires, visant à retarder ou nuire plutôt qu’à obtenir justice.

Il est évidemment possible pour l’employeur d’utiliser la procédure de grief dans d’autres circonstances. Il peut être bénéfique pour l’employeur d’utiliser à son profit un procédé souple qui comporte de nombreux avantages, tant procéduraux que financiers. 

En conclusion, puisque le grief patronal trouve son fondement dans les clauses mêmes de la convention collective, il est important pour l’employeur de prévoir comment il souhaite utiliser la procédure d’arbitrage de grief dès l’étape des négociations. L’importance d’une bonne rédaction des clauses de la convention collective prend ici tout son sens puisque cela lui permettra à coût sûr de tirer avantage d’un outil qui gagne à être connu. 

Publié avec l’autorisation de MC Perreault Avocate conseil Inc.


Author
Me Marie-Claude Perreault, CRIA Avocate MCPerreault avocate inc.
Associée chez Lavery, Marie-Claude Perreault, CRIA, exerce ses compétences en droit du travail et de l’emploi dans tous les secteurs des relations du travail et sert une clientèle issue tant du secteur privé que du secteur public. Ses principaux mandats consistent à faire des représentations devant les tribunaux administratifs et les tribunaux de droit commun, dans des litiges soumis devant les arbitres de griefs, les arbitres de différends, la Commission des relations du travail et la Commission des lésions professionnelles. La négociation de conventions collectives constitue également une bonne partie des mandats qu’elle exécute. Elle participe aussi à la gestion stratégique et juridique de conflits de travail. De plus, on lui confie fréquemment des mandats concernant des régimes de retraite, qu'il s'agisse de la fusion, de la cessation, de la scission, de l'instauration, de la négociation ainsi que des litiges sur des questions relatives à de tels régimes. Elle remplit également des mandats d’assesseure patronale dans le cadre d’arbitrage dans des dossiers complexes impliquant des régimes de retraite. Me Perreault est membre du Barreau du Québec depuis 1990.

Author
Me Naomy Simard-Dasilva Avocate MCPerreault avocate inc.
Avocate en droit du travail et de l'emploi et en droit de la santé et sécurité au travail.

Source : VigieRT, décembre 2024

1 Sainte-Foy (Ville de)etSyndicat des employés manuels de la Ville de Sainte-Foy (S.C.F.P.), section locale 2360, D.T.E. 2002T-1095 (T.A.)
2 Syndicat des pompiers et pompières du Québec (Section locale Saguenay – SCFP 7171) c. Saguenay (Ville), 2023 CanLII 51430 (QC SAT); Corporation d’urgences-santé de la région de Montréal Métropolitain c. Syndicat du Préhospitalier-CSN, 2022 QCCA 97.
3 Code du travail, L.R.Q. c. C-27, art. 100.12 b) et d).
4 Régie intermunicipale de police Richelieu Saint-Laurent c. Fraternité des policiers et policières Richelieu Saint-Laurent, 2021 CanLII 53793 (QC SAT)