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Discipline en milieu de travail : regard sur de nouvelles approches

Face aux défis du monde du travail, les employeurs peuvent être créatifs dans la mise en place de nouvelles pratiques en matière de mesures disciplinaires. Regard sur des solutions novatrices qui pallient les approches traditionnelles. 
11 décembre 2024
Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

La gestion de la discipline en entreprise est à la croisée des chemins. Les approches traditionnelles, bien qu’ancrées dans les pratiques, peuvent être remises en question face aux nouvelles réalités du marché du travail. Mes Geneviève Beaudin et Alexandre Pinard, CRIA, respectivement associée et avocat principal en droit du travail et de l’emploi chez Lavery, proposent une réflexion approfondie sur les fondements, les limites et les solutions de rechange possibles en matière de gestion disciplinaire.

Un système sous pression

Les statistiques sont éloquentes. En 2023, plus de 4 100 plaintes ont été déposées à la CNESST pour des congédiements sans cause juste et suffisante. Du côté syndical, sur environ 500 sentences arbitrales rendues, 22 % concernaient des mesures disciplinaires, nécessitant en moyenne cinq jours d’audience par dossier.

« Ce n’est pas juste de l’argent. Il y a tout l’investissement, par exemple sur le plan du temps et de l’énergie tant pour la préparation que pour l’accompagnement », souligne MBeaudin.

Une évolution historique marquante

La gestion disciplinaire au travail a considérablement évolué au fil du temps. MPinard rappelle qu'« à l'époque de la Nouvelle-France, les pratiques disciplinaires étaient sévères, avec des employés souvent infantilisés et soumis à des châtiments corporels ». Il souligne également que « l'avènement du syndicalisme au 20e siècle a transformé la discipline en milieu de travail, introduisant des protections légales et rendant le processus plus encadré et équitable ». Ces évolutions illustrent le passage d'une approche autoritaire à un cadre juridique protégeant les droits des personnes salariées.

L’efficacité remise en question

Les études sur l’effet des mesures disciplinaires traditionnelles soulèvent des interrogations. « Plusieurs chercheurs ont conclu qu’il n’y avait pas de corrélation entre l’imposition d’une sanction et la correction d’une inconduite », note Me Pinard, ajoutant que «  même au niveau des perceptions, seulement la moitié des gens disciplinés estiment la démarche bénéfique, en leur permettant de quitter vers un meilleur emploi, d’apprendre les règles de l’entreprise, d’amender leur conduite ou d’améliorer leur relation avec leur gestionnaire ».

Des solutions innovantes

L’autodiscipline

Pour certains milieux professionnels, particulièrement ceux où le personnel est plus autonome, l’autodiscipline représente une option innovante. « Lorsqu’une personne employée est autonome et nécessite peu d’encadrement, on s’attend à ce qu’elle respecte les règles de bonne conduite, les règles d’entreprise. Par contre, s’il y a un manquement, la sanction risque d’être plus sévère », précise Me Beaudin. La professionnelle cite en exemple une entreprise manufacturière qui a transformé son approche et implanté l’autodiscipline. L’entreprise a même supprimé les contremaîtres des quarts de soir et de nuit. Un employé a été pris à dormir. L’employeur a imposé trois mois de suspension. Bien que l’arbitre ait réduit la suspension à un mois, il a tout de même maintenu une sanction importante, reconnaissant la particularité du système d’autodiscipline en place.

La participation active de la personne employée

Une approche novatrice consiste à prévoir une participation de la part de la personne employée. Me Alexandre Pinard explique : « Dans certaines conventions, les parties ont prévu que la personne sanctionnée peut présenter une proposition de mesure à l’employeur. La personne peut ainsi affirmer : “Je l’ai fait, mais je trouve que cinq jours, c’est un peu trop. Avec trois jours, on pourrait tourner la page.” Si l’employeur accepte le compromis, cela permet de résoudre le tout sans litige, alors que la personne est déjà dans un état d’esprit axé sur sa réhabilitation ».

La suspension symbolique

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, la suspension symbolique est particulièrement d’intérêt. « La personne continuera à travailler, à recevoir sa rémunération, mais dans son dossier, le temps de sa suspension sera noté. Par exemple, on est rendu à une semaine de suspension, un mois de suspension », explique Me Beaudin.

La suspension réflexive payée

Cette approche mise sur la réflexion plutôt que la punition. Me Pinard explique : « Je ne veux pas te placer en état de précarité. Je ne veux pas que tu retournes chez toi et que tu ne sois pas capable de faire l’épicerie. L’employeur accepte alors de maintenir le salaire en échange du fait qu’une réelle réflexion soit faite sur la situation. Cette approche pourrait, je le crois, permettre d’atteindre une correction plus rapidement, sans devoir imposer de nombreuses suspensions sans solde de plus en plus longues ».

La prime de bonne conduite

Me Beaudin présente cette possibilité : « L’idée, c’est de dire que la personne aura droit à une prime en argent si tout va bien. Puis s’il y a un problème, s’il y a des manquements, à ce moment-là, tu n’auras pas le droit à ta prime. Cela pourrait permettre de voir la discipline  davantage comme une réhabilitation positive que comme une simple punition ».

Le système de points de démérite 

À l’instar du système de points d’inaptitude de la SAAQ, ce système offre une approche plus structurée. « Ça transfère une partie de la responsabilité d’avoir à se prononcer sur le caractère sérieux ou grave d’une situation avec des règles du jeu qui sont convenues d’avance. Cela permet également d’éviter de devoir imposer des suspensions sans solde. », précise Me Pinard.

Le cadre légal : une considération essentielle

Quelle que soit l’approche choisie, le respect du cadre légal demeure primordial. Me Geneviève Beaudin insiste : « Si l’on arrive avec plein de bonnes idées, plein de bonnes intentions, puis qu’on applique quelque chose de nouveau, mais qui n’est pas prévu dans la convention collective, et que l’arbitre dit “oui, bien, c’est bien intéressant, mais les parties ne se sont jamais entendues pour un style de gestion comme ça”, ça peut être problématique. » Il est donc essentiel de s’assurer de disposer des marges de manœuvre requises pour intégrer dans la convention collective, le contrat de travail ou les politiques d’entreprise ces nouvelles façons de faire.

Vers un avenir plus équilibré

La gestion de la discipline en milieu de travail est manifestement en pleine mutation. Les nouvelles approches proposées offrent des pistes de solution prometteuses pour les organisations cherchant à moderniser leurs pratiques tout en maintenant l’efficacité et l’équité de leur système disciplinaire. L’important est de bien encadrer ces nouvelles approches et de les adapter aux réalités propres à chaque milieu de travail.


Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

Source : VigieRT, décembre 2024