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Contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée?

Comment s’assurer que le contrat de travail auquel nous avons affaire est à durée déterminée ou indéterminée? Une affaire qui illustre l’importance de la qualification correcte des contrats. 
6 novembre 2024
Me Alexandre Mottet, CRIA | Me David Lecours, CRIA

Contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée? La Cour d’appel se prononce

Dans le récent arrêt Golf des Quatre Domaines inc. c. Bélanger[1], la Cour d’appel a dû procéder à la qualification du contrat de travail de sa directrice générale afin de déterminer si ce dernier était à durée indéterminée ou à durée déterminée. La Cour d’appel a conclu que la juge de première instance a commis une erreur dans l’interprétation du contrat, puisqu’il est à durée indéterminée en raison de l’absence d’indices concrets démontrant l’intention commune des parties de transformer le contrat à durée indéterminée en un contrat à durée déterminée.

Cet arrêt important met en lumière plusieurs points cruciaux concernant la nature des contrats de travail et les droits de l’employé en cas de résiliation.

1) Les faits

L’intimée était l’employée du Golf des quatre domaines inc. (ci-après « GQD » ou « l’employeur ») depuis 1999. Elle travaillait comme adjointe comptable et adjointe du président lorsqu’elle a été promue directrice générale du GQD en janvier 2018. Son contrat de travail était d’abord verbal, pour finalement être consigné par écrit et signé par les parties le 25 mars 2018. Ce contrat de travail prévoyait, notamment, un salaire de base à 96 000 $ ainsi qu’une faculté de résiliation bilatérale moyennant un préavis de 8 semaines pour l’employeur et un préavis de 30 jours pour l’employée[2]. Il était également prévu qu’en cas de résiliation du contrat de travail par l’employeur, l’employée retrouverait automatiquement ses anciennes fonctions[3].

Quelques mois suivant la signature du contrat de travail, l’employée adresse une lettre au GQD soulevant son mécontentement face à son poste, la lourdeur de ses tâches, la portée de ses responsabilités et le non-respect de certains engagements pris à son égard. En réponse à cette lettre, le GQD propose l’addendum suivant au contrat afin de favoriser une certaine stabilité et de la mettre en confiance :

« La présente est pour confirmer qu’un montant forfaitaire de 10 000,00 $ sera versé à l’employée pour le premier payable de décembre de chaque année pour un contrat de 5 ans à compter de ce jour, soit de l’année 2018 à 2022 inclusivement. Dans le cas où il y aurait un départ volontaire ou un congédiement, le montant de l’année en cours lui sera payé et les montants des années subséquentes seront annulés.[4] » 

[notre soulignement] [sic]

Cet addendum est accepté par l’employée et signé par les parties le 23 mai 2018.

Le 16 novembre 2018, elle est mise en arrêt de travail par son médecin qui retient un « trouble d’adaptation avec humeur anxiodépressive secondaire à du harcèlement au travail et épuisement professionnel relié aux exigences de son travail[5] ».

Le 30 novembre 2018, le GQD informe son employée de la résiliation de son contrat de travail à titre de directrice générale. Par le fait même, elle est avisée de la réintégration de ses anciennes fonctions[6], ce qu’elle refuse.

En novembre 2019, elle intente un recours en congédiement déguisé devant la Cour supérieure afin de réclamer des dommages au GQD, de même que le salaire pour les années non complétées de son contrat de travail qu’elle estimait être à durée déterminée de 5 ans[7]. Le GQD soutient, au contraire, que le contrat de travail était à durée indéterminée et que l’employée a quitté son emploi volontairement en refusant de réintégrer ses anciennes fonctions, faisant en sorte qu’aucune indemnité de fin d’emploi n’était nécessaire[8].

La notion de congédiement déguisé a été définie de la manière suivante par la Cour suprême du Canada :

« [24] Lorsqu’un employeur décide unilatéralement de modifier de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail de son employé et que celui-ci n’accepte pas ces modifications et quitte son emploi, son départ constitue non pas une démission, mais un congédiement […][9] ».

[nos soulignements]

2) La Cour supérieure du Québec

En première instance, la juge de la Cour supérieure arrive à la conclusion que le contrat de travail est à durée déterminée et que l’intimée a bien été l’objet d’un congédiement déguisé, condamnant ainsi le GQD à lui verser la rémunération prévue pour la durée restante du contrat équivalant à 179 623,73 $ et 10 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires[10].

Selon la juge, l’addendum au contrat de travail permet de conclure que l’intention des parties était de transformer le contrat à durée indéterminée en un contrat à durée déterminée de 5 ans[11] :

« [56] Placé dans son contexte, l’ajout des mots “pour un contrat de cinq ans à compter de ce jour soit de l’année 2018 à 2022 inclusivement” contenu à l’Addendum vise à modifier la nature du contrat à durée indéterminée, qui prévalait jusque-là entre les parties, pour en faire un contrat à durée déterminée de cinq (5) ans, du 23 mai 2018 au 22 mai 2022, ce qui permet de conférer à Christine Bélanger la stabilité convenue entre les parties. »

[nos soulignements]

En présence d’un contrat à durée déterminée, chaque partie doit exécuter le contrat d’emploi jusqu’à son terme. Ainsi, il est reconnu par la jurisprudence que l’employeur qui décide de mettre fin au contrat à durée déterminée avant son terme et sans motif doit verser à l’employé un montant équivalant à la rémunération convenue pendant la période restante au contrat[12].

Outre la qualification du contrat de travail, la juge a également conclu que l’employée a été congédiée sans motifs sérieux. Elle n’était pas tenue d’accepter d’être rétrogradée dans ses fonctions antérieures et de retrouver son ancien salaire, ce qui constitue, en réalité, un congédiement déguisé. En refusant de réintégrer ses fonctions antérieures, elle n’a pas démissionné volontairement; elle a été congédiée injustement[13].

3) La Cour d’appel

N’étant pas en accord avec la décision de première instance, le GQD a demandé sa révision devant la Cour d’appel.

Selon la Cour d’appel, la juge de première instance n’a pas commis d’erreur révisable en concluant que l’employée avait fait l’objet d’un congédiement déguisé[14]. En mettant fin à son contrat de travail sans préavis et en la contraignant à reprendre ses anciennes fonctions, le GQD a modifié unilatéralement et de façon substantielle les conditions essentielles de son contrat de travail, faisant en sorte qu’elle n’était pas tenue d’accepter ces modifications[15].

En revanche, la Cour est arrivée à la conclusion que la décision de première instance est entachée d’une erreur manifeste et déterminante concernant la qualification du contrat de travail. Pour la Cour, le contrat de travail est à durée indéterminée et non à durée déterminée[16].

Lorsqu’il est temps d’interpréter et de qualifier un contrat de travail, il importe de rechercher la véritable intention des parties. Cette étape nécessite de tenir compte de l’ensemble des dispositions du contrat de travail, ce qui a été omis par la juge de première instance[17]. Selon la Cour d’appel, la clause de résiliation bilatérale a été mise de côté au moment de la qualification, alors qu’il s’agit d’un indice marquant de l’intention des parties de ne pas se lier pour une durée fixe et précise[18]. D’ailleurs, il est bien reconnu par la jurisprudence que « l’ajout d’un terme ne transforme pas automatiquement le contrat de travail en un contrat à durée déterminée, lorsque les deux parties se réservent un droit de résiliation[19] ». Autrement dit, la Cour rappelle que la faculté de résiliation n’est pas conciliable avec les principes d’un contrat à durée déterminée.

Ainsi, pour la Cour d’appel, l’ajout d’un terme de 5 ans à l’addendum ne transformait pas le contrat de travail à durée indéterminée en un contrat de travail à durée déterminée sans la preuve d’une intention claire et non équivoque par les parties[20]. Dans la présente affaire, aucune preuve ne permettait d’arriver à une telle conclusion. Il n’y avait pas d’indices concrets de l’intention commune des parties de transformer la nature du contrat de travail[21].

Suivant ces motifs, la Cour d’appel estime que le contrat de travail entre les parties est à durée indéterminée et qu’ainsi, l’intimée a droit à un délai-congé raisonnable en vertu de la loi, ce qui correspond à 20 mois selon les circonstances de l’affaire, soit un montant de 105 981,90 $.

Conclusion et commentaires

En somme, l’arrêt Golf des Quatre Domaines inc. c. Bélanger illustre l’importance de la qualification correcte des contrats de travail tout en démontrant les conséquences juridiques de leurs résiliations.

Qualification du contrat : cette affaire rappelle l’importance de la clarté et de la précision dans la rédaction des contrats de travail. En cas d’ambiguïté ou de désaccord sur la nature juridique du contrat de travail, la recherche de l’intention des parties prévaudra en tenant compte de l’ensemble des dispositions contractuelles. Lorsque nous sommes en présence d’une clause de faculté de résiliation, il sera difficile de conclure à l’effet que les parties avaient l’intention commune de se lier pour une durée déterminée. Une faculté de résiliation permet à une partie de raccourcir la durée générale de l’engagement initialement prévue, ce qui n’est pas conciliable avec le contrat à durée déterminée. D’ailleurs, la présence d’un terme n’équivaut pas nécessairement à un contrat à durée déterminée ou ne transforme pas automatiquement un contrat à durée indéterminée en un contrat à durée déterminée. Une telle intention doit être exprimée de façon claire et sans équivoque.


Author
Me Alexandre Mottet, CRIA Avocat Cain Lamarre S.E.N.C.R.L.
Admis au Barreau en 2022, M Alexandre Mottet allie ses compétences en droit du travail à une solide formation en relations industrielles, acquise respectivement à l’Université Laval et à l’Université de Montréal. Membre de l’Ordre des conseillers en relations industrielles agréés (CRIA) du Québec, M Mottet exerce au sein du Groupe Travail et emploi à Val-d’Or, se spécialisant dans les rapports collectifs et individuels de travail ainsi que dans la rédaction de contrats de travail. Sa passion pour le droit du travail, éveillée durant ses études en relations industrielles, a pavé la voie à une carrière dédiée à la défense et à l’accompagnement des entreprises et des individus dans ce domaine complexe.

Doté d’un excellent esprit d’analyse et d’une approche client centrée sur la confiance, M Mottet sait instaurer un climat de sécurité, et trouver des solutions adaptées aux défis juridiques et humains de ses clients. Sa double compétence en droit et en gestion des ressources humaines lui confère une compréhension approfondie des enjeux du travail, ce qui lui permet d’offrir des conseils judicieux à des entreprises de toutes tailles. Sa passion, son dynamisme et son aptitude à travailler en équipe le rendent particulièrement apprécié dans son milieu professionnel.

Au-delà de sa pratique, M Mottet cultive une passion pour la cuisine, toujours en quête de nouvelles recettes et d’idées pour parfaire son art. La musique occupe également une place de choix dans sa vie, manifestée par son appréciation des concerts et sa découverte de nouvelles mélodies. Ces intérêts, loin de son univers juridique, révèlent une personnalité riche et diversifiée, toujours en recherche de croissance personnelle et professionnelle.

Author
Me David Lecours, CRIA Avocat, Associé Cain Lamarre S.E.N.C.R.L.

Source : VigieRT novembre 2024

1 Golf des Quatre Domaines inc. c. Bélanger, 2024 QCCA 620.
2 Bélanger c. Golf des Quatre Domaines inc., 2022 QCCS 5055, par. 33 et 58.
3 Id., par. 58 à 62.
4 Bélanger c. Golf des Quatre Domaines inc., 2022 QCCS 5055, par. 38.
5 Id., par. 73 et 74.
6 Id., par. 75.
7 Id., par. 3, 41 et 70.
8 Id., par. 71.
9 Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846.
10 Id., par. 72, 98 et 104.
11 Id., par. 49, 52 à 57.
12 Id., par. 65.
13 Id., par. 72, 79-80 et 85.
14 Golf des Quatre Domaines inc. c. Bélanger, 2024 QCCA 620, par. 28 à 32.
15 Id.
16 Id., par. 48.
17 Id., par. 36 et 37.
18 Id., par. 39.
19 Id., par. 40.
20 Id., par. 34 et 48.
21 Id., par. 48.