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Absentéisme et invalidité : une nouvelle loi change les règles

La Loi visant principalement à réduire la charge administrative des médecins récemment adoptée prévoit des changements majeurs pour les employeurs en matière de gestion de l’absentéisme et de l’invalidité. Coup d’œil sur ces changements.
20 novembre 2024
Me Jonathan Garneau, CRHA | Me Catherine Biron, CRHA

Le 9 octobre dernier, le projet de loi no 68 a reçu la sanction royale et est devenu la Loi visant à réduire la charge administrative des médecins (la « Loi »). La Loi contient différentes dispositions qui amènent des changements notables dans la gestion de l’absentéisme. Certaines seront applicables dès le 1er janvier 2025, alors que d’autres entreront en vigueur à une date qui reste à déterminer. Ces changements concernent principalement le suivi des dossiers d’invalidité ainsi que l’exigence de l’employeur d’obtenir un document attestant les motifs de l’absence d’un employé.

Suivi des dossiers d’invalidité et de lésions professionnelles

  1. Obligation de recevoir un service médical pour obtenir des remboursements

La Loi prévoit des ajouts à la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée, notamment l’interdiction pour un assureur ou un administrateur de régime d’avantages sociaux d’exiger, même indirectement, qu’un individu reçoive un service médical pour obtenir :

  • le remboursement des services d’un intervenant du domaine de la santé ou des services sociaux; et
  • le remboursement d’une aide technique.

La notion d’« aide technique » sera éventuellement précisée dans un règlement futur du gouvernement. Le ministre du Travail a toutefois spécifié qu’une canne et des béquilles constituent des aides techniques.

  1. Fréquence des services médicaux

La Loi prévoit également qu’un assureur ou un administrateur de régimes d’avantages sociaux ne pourra plus exiger qu’un individu reçoive un service médical à une fréquence prédéterminée différente de celle jugée appropriée par son médecin traitant afin qu’il bénéficie du maintien de prestations d’invalidité. En vertu de la Loi, le gouvernement pourra déterminer par règlement les cas et les conditions qui pourront faire exception à cette règle. Ces modifications s’appliqueront à la date d’entrée en vigueur de ce règlement.

  1. Certificats et billets médicaux

La Loi n’interdit pas à un assureur de demander qu’un service médical soit rendu ou qu’un certificat médical lui soit transmis de façon ponctuelle, notamment lorsqu’une modification de la condition ou de l’état de santé de la personne qui reçoit les prestations survient, ou lors de moments « jalons » d’un dossier d’invalidité.

Il est à prévoir que cette nouveauté affectera de façon importante le traitement de dossiers en matière d’invalidité. En effet, la demande d’assurance invalidité formulée par un employé ou la réclamation pour lésion professionnelle continuera d’être appuyée par un billet ou un certificat médical. Toutefois, l’assureur ou l’administrateur du régime ne pourra pas exiger par la suite que l’employé reçoive un service médical à une fréquence prédéterminée comme condition au versement des prestations d’invalidité. Il appartiendra alors au médecin qui a charge de l’employé de déterminer la fréquence des suivis médicaux, selon ce qu’il estime nécessaire et approprié. En d’autres mots, l’objectif de la Loi est que le médecin demeure « maître » de la fréquence et de la pertinence des suivis médicaux.

Exigence d’un document attestant les motifs d’une absence

La Loi vient modifier certaines dispositions de la Loi sur les normes du travail (LNT) pour encadrer le droit des employeurs d’exiger un document attestant les motifs de l’absence des employés. Ces modifications entreront en vigueur le 1er janvier 2025.

  1. Nombre et durée des périodes d’absence

La Loi ajoute à la LNT une interdiction pour l’employeur d’exiger un document attestant des motifs de l’absence d’un employé lors des trois premières périodes d’absence d’une durée de trois jours consécutifs ou moins pris par période de 12 mois.

Alors qu’elle était encore au stade de projet de loi, il était prévu qu’elle interdirait la demande d’un tel document lors des trois premières périodes d’absence d’une durée de trois jours consécutifs ou moins pris annuellement. Considérant l’adoption d’une modification prévoyant désormais que ces absences doivent être calculées sur une période de 12 mois, l’employé qui s’absente devra continuer d’aviser son employeur le plus tôt possible de son absence ainsi que lui communiquer les motifs de cette absence. Ce n’est toutefois qu’en cas d’une absence de plus de trois jours ou à partir de la quatrième période d’absence de trois jours ou moins dans une même année que l’employeur pourra exiger que l’employé lui fournisse un document attestant les motifs de son absence, y compris un certificat médical.

  1. Raisons familiales ou parentales

Lorsque l’absence ou le congé d’un employé sera lié à des raisons familiales ou parentales, l’employeur ne pourra exiger de l’employé qu’il lui fournisse un certificat médical, indépendamment de la durée de l’absence ou du congé. Seul un document attestant des motifs de l’absence pourra être demandé. Ainsi, lorsque l’absence découle de l’état de santé d’un membre de la famille, l’employeur ne pourra plus exiger, pour justifier une telle absence, que lui soit transmis le certificat médical de cette personne.

  1. Absences de plus de trois jours consécutifs

Si une absence initialement prévue pour une durée de trois jours ou moins est reconduite, l’employeur pourra alors demander à l’employé de lui fournir un document attestant les motifs de l’absence, puisqu’il s’agira alors d’une absence de plus de trois jours.

Possibilité de restreindre le droit d’accès aux renseignements médicaux

Il est prévu dans la Loi que le ministre aura la possibilité d’adopter un règlement qui restreindra le droit d’accès aux renseignements de santé et de services sociaux par un tiers qui n’a pas lui-même reçu le service médical, ce qui inclurait l’assureur, l’administrateur de régimes sociaux et l’employeur. Le cas échéant, le ministre pourrait également imposer l’utilisation d’un formulaire qui serait publié sur le site Web du ministère.

Pour les personnes responsables de la gestion et du suivi de ces dossiers en milieu de travail, cette modification s’accompagnera sans l’ombre d’un doute d’une diminution du nombre de billets et de certificats médicaux et, nécessairement, d’une diminution proportionnelle des renseignements qui seront à leur disposition pour assurer la saine gestion de l’absentéisme.

Il est également possible que les modifications apportées par la Loi affectent la durée de consolidation ou de rétablissement de personnes en invalidité.

À ce titre, il convient de rappeler qu’un employeur pourra tout de même exiger de son personnel qui s’absente de lui fournir un billet médical ou tout autre document attestant les motifs de son absence. Cela devra toutefois se faire dans le respect des nouvelles règles prévues par la Loi.

Conclusion

La Loi visant principalement à réduire la charge administrative des médecins contient des dispositions qui auront sans contredit des conséquences pratiques pour la gestion de l’absentéisme et des dossiers d’invalidité. Les employeurs devront désormais porter une attention particulière aux exigences qu’ils imposent à leur personnel en matière de justification des absences afin de ne pas contrevenir aux dispositions de la Loi sur les normes du travail. De même, le suivi des dossiers d’invalidité devra être assuré de manière attentive, particulièrement lorsque seront constatées des modifications de l’état de santé de la personne qui bénéficie de prestations d’invalidité. L’employeur qui s’estimerait en présence d’un dossier pour lequel les suivis médicaux sont insuffisants pourra tout de même, si cela est justifié, convoquer la personne pour une évaluation médicale par un expert qu’il désigne.


Author
Me Jonathan Garneau, CRHA Avocat Langlois Avocats
Jonathan Garneau, MBA, CRHA, est avocat chez Langlois Avocats. Il concentre sa pratique sur le droit du travail et de l’emploi. Il représente et conseille les employeurs. Il agit pour des organismes publics et parapublics et des entreprises privées, qu’il conseille et représente devant les tribunaux administratifs, les tribunaux d’arbitrage de griefs, de même que les tribunaux civils. En tant que procureur, il est appelé à intervenir dans différentes sphères du droit du travail, dont les relations de travail, la santé et sécurité du travail, le droit de l’éducation et les normes du travail, ainsi qu’en matière de harcèlement psychologique et de droits de la personne.

Author
Me Catherine Biron, CRHA Avocate, Associée Langlois Avocats
Me Catherine Biron, CRHA, est associée chez Langlois avocats à Montréal. Elle conseille et représente les entreprises en lien avec tous les aspects du droit de l’emploi et des relations du travail. Titulaire d’une maîtrise en droit du travail et en droits de la personne de l’Université d’Oxford en Angleterre, elle représente et aide des entreprises en milieux syndiqués et non syndiqués, et conseille, représente et prête main-forte à des sociétés constituées sous le régime provincial ou fédéral, qu’il s’agisse de PME ou de grandes entreprises. Me Biron s’occupe de relations du travail depuis plus de dix ans et est reconnue pour son sens pratique et ses capacités à agir dans des dossiers complexes et délicats. Elle agit dans le cadre de négociations de conventions collectives de même qu’en médiation, et elle représente des entreprises devant toutes les instances reliées à la gestion des employés, ainsi que dans une vaste gamme de dossiers de relations du travail et de droit de l’emploi (griefs, recours civils, droits de la personne et allégations de discrimination, recours pour harcèlement ou autres allégations de contravention aux normes du travail, lésions professionnelles, etc.). Elle possède une connaissance approfondie et une approche pratique de la gestion du rendement, de l’absentéisme, des comportements problématiques au travail et des questions liées à l’invalidité ou à la santé au travail. Me Biron est reconnue pour son approche avec les clients. Elle est aussi reconnue par ses adversaires pour son doigté. Elle est fréquemment invitée à prononcer des conférences ou à fournir des outils de formation pratiques à des gestionnaires en ressources humaines et en relations du travail.

Source : VigieRT, novembre 2024