Note de la rédaction : Les informations contenues dans ce document ont été examinées et validées comme étant à jour au 16 octobre 2024 par Me Rhéaume Perreault, CRIA.
Nul besoin de décrire longuement le succès monstre des sites tels que Twitter et Facebook. À lui seul, le site Facebook affichait pas moins de 750 millions de membres au mois d’août 2011! Évidemment, les utilisateurs des médias sociaux sont aussi les salariés des entreprises.
L’évolution technologique en milieu de travail permet certes d’améliorer la productivité et l’efficacité des salariés, mais elle peut également être la source de problèmes. Et les conséquences du phénomène sur le monde du travail sont nombreuses; il est intéressant de noter entre autres que la frontière entre les notions de vie privée et d’obligation de loyauté semble, à certains égards, de plus en plus mince. Cette situation n’est pas le résultat d’une nouvelle législation ou d’un revirement jurisprudentiel, mais bien des nouvelles habitudes sociales des salariés qui tendent souvent à faire une surexposition de ce qui était jadis davantage du domaine privé.
L’obligation de loyauté…
À titre d’exemple, la jurisprudence est relativement claire quant à l’obligation de loyauté envers l’employeur en dehors des heures du travail. Cette obligation perdure d’ailleurs après la cessation de l’emploi. Dans la cause Concentrés scientifiques Bélisle inc. c. Lyrco Nutrition inc., la Cour d’appel du Québec écrivait notamment que, puisque le salarié « ne travaille pas à son compte mais pour celui de l’employeur, qui seul dispose des fruits du travail, le salarié ne doit pas nuire à l’entreprise à laquelle il participe ou l’entraver; il doit faire primer (dans le cadre du travail) les intérêts de l’employeur sur les siens propres; il ne doit pas se placer en situation de conflit d’intérêts (ce qui pourrait l’amener à privilégier l’intérêt de tiers ou le sien propre plutôt que celui de l’employeur); il doit se conduire à tout moment avec la plus grande honnêteté envers l’employeur ». Ainsi, le salarié qui émet publiquement des commentaires inappropriés à l’endroit de son employeur pourra se voir imposer une sanction disciplinaire.
Plusieurs décisions traitent de ces obligations du salarié dans le cadre de ses activités sur le web. À titre d’illustration, citons l’affaire Montour Limitée dans laquelle un arbitre a rejeté le grief d’un salarié qui avait été congédié en raison de certains propos au sujet de son emploi sur le site d’un club de voiture dont il était membre. Quelqu’un en a informé l’employeur qui a fait une enquête en imprimant les propos tenus par le salarié sur le web. Ce dernier identifiait clairement son employeur et mentionnait qu’il était très bien payé en ne travaillant que quatre heures par quart de travail de huit heures. Le salarié précisait qu’il jouait aux cartes le reste du temps. Il devait vraisemblablement avoir l’impression de ne s’adresser qu’à des amis! L’arbitre arrive à la conclusion que le salarié a manqué à son devoir de loyauté et que ce comportement justifiait son congédiement. Il écrit : « Le plaignant a été déloyal envers son employeur en publiant ses propos sur Internet. Par ses gestes, il a détruit la confiance de son employeur. »
Avant l’arrivée de l’internet et des médias sociaux, ce salarié aurait probablement tenu les mêmes propos au sein d’un club automobile, sans perdre son emploi. Il aurait été presque impossible pour l’employeur d’en prendre connaissance et même de pouvoir en faire la preuve. En tenant ses propos sur le web, le salarié s’est trouvé à les partager avec des millions d’internautes dont son employeur. Par ses propos, le salarié a porté atteinte à l’image de l’organisation en utilisant un média qui peut être lu par des millions de personnes. Or, il est reconnu que l’impression malencontreuse laissée par un libelle peut subsister indéfiniment. Il est rare que la victime de diffamation puisse répondre et dissiper le doute de manière qui remédie véritablement à la situation.
Et le droit à la vie privée?
Un autre excellent exemple du phénomène concerne les commentaires formulés par des salariés sur leur page Facebook. Ceux-ci peuvent être utilisés par les employeurs afin d’entacher la crédibilité d’un employé devant les décideurs. À titre d’exemple, dans l’affaire Garderie Les «Chat» ouilleux inc., l’employeur contestait une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à l’effet que la travailleuse avait subi une lésion professionnelle et qu’elle avait droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. La travailleuse, une éducatrice en garderie, alléguait s’être blessée au travail et avoir toujours des problèmes de dos l’empêchant d’effectuer plusieurs mouvements. L’employeur a déposé en preuve certaines photographies provenant de Facebook. La juge constate que les « photographies montrent la travailleuse en compagnie d’ami(e)s, dans différentes positions et s’adonnant à des activités diverses (baignade, aérobie) » et que « ces photographies ne laissent pas voir que la travailleuse était souffrante à ce moment-là ou qu’elle avait de la difficulté à se mouvoir ». C’est ainsi que la Commission des lésions professionnelles (CLP) infirme la décision de la CSST en déclarant que la plaignante n’a pas subi de lésion professionnelle, les photos provenant de Facebook ayant grandement entaché sa crédibilité.
Signalons également l’affaire Rassemblement des techniciens ambulanciers du Québec – CSN et Services préhospitaliers Laurentides-Lanaudière ltée dans laquelle non seulement l’arbitre de griefs a permis le dépôt en preuve d’éléments provenant de la page Facebook de la salariée, mais l’employeur a aussi pu le faire après avoir déclaré sa preuve close. En effet, c’est après avoir terminé la présentation de sa preuve que l’employeur a découvert des photos sur Facebook qui pouvaient affecter sérieusement la crédibilité des deux seuls témoins de la partie syndicale. Rappelant que la réouverture d’enquête « n’est pas une procédure habituelle » et qu’elle « doit être fondée sur des éléments juridiques sérieux », l’arbitre a accueilli la demande de réouverture d’enquête de l’employeur.
Les questions qui se posent à l’égard de la recevabilité et de la pertinence d’éléments provenant des médias sociaux sont presque infinies. Un salarié peut-il alléguer être victime de harcèlement psychologique en raison des propos tenus par des collègues de travail sur leur page Facebook? Cette situation qui peut paraître loufoque et irréaliste est pourtant bien concrète.
Dans l’affaire Landry et Provigo Québec inc. (Maxi et Cie), une travailleuse avait déposé une réclamation à la CSST, alléguant être victime de harcèlement au travail. Après le rejet de sa réclamation par la CSST et de la révision administrative, la CLP a été saisie de l’affaire. Afin d’appuyer son témoignage pour illustrer qu’elle était victime de harcèlement psychologique, la travailleuse souhaitait déposer certains extraits de commentaires publiés sur Facebook par ses collègues, ce à quoi l’employeur s’est objecté, avançant notamment qu’il s’agissait d’une violation du droit à la vie privée des auteurs de ces conversations. Le commissaire de la CLP a admis en preuve les extraits des pages Facebook des autres salariés. Selon la CLP, un salarié n’a pas d’expectative de vie privée sur Facebook. Il écrit : « (…) ce qui se retrouve sur un compte Facebook ne fait pas partie du domaine privé compte tenu de la multitude de personnes qui peuvent avoir accès à ce compte. La liste de ses amis peut être longue et chaque liste de ses amis peut être tout aussi longue. La preuve Facebook déposée par la travailleuse ne constitue donc pas une atteinte à la vie privée de tierces personnes ».
Enfin, toujours pour illustrer l’impact des médias sociaux sur les ressources humaines, soulignons qu’une demande d’injonction a récemment été demandée par un employeur contre un ancien salarié en raison, entre autres, de ses agissements sur LinkedIn. Dans l’affaire Exfo inc. c. Réseaux Accedian inc., le salarié a travaillé à titre d’ingénieur au sein d’une entreprise qui se spécialise dans la recherche, le développement, la fabrication et la vente d’instruments de tests et de mesures de la fibre optique. En juin 2011, il a quitté ses fonctions afin de se joindre à une entreprise concurrente. Invoquant les clauses de confidentialité et de non-concurrence figurant au contrat de travail, son ancien employeur a formulé une demande d’injonction visant, entre autres, à ce que le salarié ne puisse entretenir toute discussion ou communication par l’entremise notamment du site LinkedIn. La Cour supérieure a rejeté la demande d’injonction, notamment parce que la clause de non-concurrence était déraisonnable en raison de sa portée mondiale. En ce qui a trait aux agissements du salarié par l’entremise du réseau social LinkedIn, la Cour conclut que ce site est un réseau accessible à tous et non un réseau privé. En l’espèce, la preuve était insuffisante pour conclure qu’il y avait eu violation de la clause de non-sollicitation par l’entremise de ce site, et ce, même si le salarié recherchait des candidats pour des postes au sein de sa nouvelle entreprise en utilisant son profil et ses contacts.
Ce bref survol permet certainement d’affirmer que les gestionnaires des ressources humaines devront s’adapter aux médias sociaux et les utiliser de façon efficiente. Les enjeux peuvent être multiples : gestion de l’absentéisme, atteinte à l’image de l’entreprise, divulgation de renseignements confidentiels, sollicitation par le web, campagne de syndicalisation, etc. Les gestionnaires des ressources humaines doivent donc être proactifs et poser des gestes concrets en réaction à la nouvelle réalité que constituent les médias sociaux.
Il importe de rappeler qu’il revient à l’employeur d’encadrer l’utilisation de ses équipements informatiques et que le phénomène des médias sociaux justifie, dans bien des cas, le fait d’édicter des règles qui vont au-delà de ce qui se passe sur les lieux du travail. Ainsi, il ne suffit plus de traiter des équipements informatiques de l’entreprise dans le cadre d’une politique. Il faut rappeler aux salariés que l’obligation de loyauté perdure après la fin du quart de travail, et ce, même dans les commentaires qu’ils émettent sur leur compte Twitter ou sur leur page personnelle de Facebook. Bref, beaucoup de questions et beaucoup d’enjeux.
Rhéaume Perreault, CRIA, est avocat et associé chez Fasken (2024)*, et Benoit Brouillette est avocat, Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., s.r.l. (2011)
Note de la rédaction : Les informations contenues dans ce document ont été examinées et validées comme étant à jour au 16 octobre 2024 par Me Rhéaume Perreault, CRIA.