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L'obligation d'accommodement en matière de santé mentale

Les droits et libertés des individus sont protégés, notamment pour assurer une égalité des chances à chaque personne, et ce, malgré certaines caractéristiques personnelles. Par contre, ils ne garantissent pas le droit à l’emploi.
8 mai 2024
Anne-Marie Bertrand, CRIA

Il faut savoir que la discrimination fondée sur le handicap en matière d’emploi est interdite. Toutefois, une distinction, une exclusion ou une préférence fondée sur les aptitudes ou les qualités requises par un emploi est réputée non discriminatoire.

Seront considérées comme un handicap une maladie ou des limitations fonctionnelles ainsi que la perception subjective relative à l’un ou à l’autre de ces éléments. En matière de santé mentale, il a été reconnu que les diagnostics suivants constituent des handicaps, notamment le syndrome anxio-dépressif temporaire, la maladie bipolaire avec trouble de l’humeur et dépression, une personnalité paranoïaque et des troubles de comportement. Dans un tel contexte, l’employeur a l’obligation d’accorder un accommodement à un salarié qui a des problèmes de santé mentale.

L’obligation d’accommodement est essentiellement un concept élaboré par les tribunaux. En effet, c’est une notion qui n’est mentionnée dans aucune loi. Précisons que c’est une obligation de moyens et non de résultat. Ainsi, l’employeur est tenu de faire une tentative raisonnable d’accommodement et d’agir en collaboration avec le syndicat (le cas échéant) et le salarié, car cette obligation est bipartite ou tripartite en présence d’un syndicat. L’employeur, le syndicat et le salarié doivent donc participer à la recherche d’une solution, d’un accommodement.

Le rôle de l’employeur

L’employeur doit prendre l’initiative de trouver une solution d’accommodement. Il doit faire preuve non seulement d’initiative, mais également de créativité et d’ouverture d’esprit. Il doit considérer les différentes avenues possibles et, évidemment, fournir des efforts réels. Chaque cas étant un cas d’espèce, l’employeur doit analyser chaque situation de façon individuelle et essayer de trouver, dans la mesure du possible, des aménagements pour un salarié atteint d’une maladie mentale. Par ailleurs, dans la décision Talbot[1], le Tribunal réitère un principe bien connu selon lequel l’obligation d’accommodement n’impose pas à l’employeur de modifier fondamentalement les conditions de travail d’un travailleur ni de créer un poste sur mesure.

Le rôle du syndicat

Pour sa part, le syndicat ne doit pas faire entrave aux tentatives de solution, mais il doit plutôt participer à l’élaboration d’une solution acceptable. Il doit ainsi collaborer de façon active avec l’employeur à chercher un compromis raisonnable qui tiendra compte non seulement des droits des salariés visés, mais aussi des contraintes que la situation crée pour l’employeur.

Le rôle du salarié

Le salarié ne peut de son côté demeurer passif. Il doit collaborer; mais d’abord et avant tout, il doit informer l’employeur de ses besoins et de ses limitations afin d’éviter tout litige relativement à leur détermination. Il doit collaborer à la recherche d’un compromis raisonnable. Dans certains cas, il doit faire le deuil de son poste et de ses fonctions et ne doit pas non plus s’attendre à une solution parfaite.

Quelques conseils pratiques

Dans la majorité des cas, pour en arriver à un accommodement, il faut être flexible, imaginatif et innovateur. Il faut être à l’écoute des propositions du syndicat.

Afin de faciliter la gestion des échanges tenus avec les partenaires syndicaux et le salarié, il est suggéré de tenir compte des éléments suivants :

  • ne pas agir avec hâte;
  • s’assurer d’obtenir un écrit (clair) du médecin traitant qui définit les limitations fonctionnelles permanentes (ou temporaires) du salarié; le cas échéant, ne pas hésiter à demander des précisions supplémentaires ou des éclaircissements et/ou à faire examiner le salarié par un médecin expert;
  • ne jamais refuser d’écouter toutes les propositions possibles et suggérées par le salarié ou le syndicat;
  • prendre note des besoins exprimés par le salarié et tenter, dans la mesure du possible, d’y répondre;
  • mandater une personne pour procéder à l’étude des postes disponibles et à leur réaménagement possible en tenant compte des limitations fonctionnelles du salarié;
  • procéder par étape, toujours confirmer par écrit et bien documenter les différentes conversations téléphoniques, rencontres et discussions avec les parties intéressées;
  • envisager toutes les solutions possibles :
    • ajustement du poste occupé;
    • vérification des postes vacants;
    • modification des horaires;
    • modification du quart de travail;
    • possibilité d’échange entre salariés;
    • modification du statut du poste (ex. : temps partiel par rapport à temps plein);
  • avant de prendre une décision, s’assurer d’avoir reçu une position finale de toutes les parties et documenter le refus de la partie syndicale ou du salarié quant à une solution proposée.

Il faut se rappeler que chaque cas constitue un cas d’espèce. Les aménagements à envisager peuvent prendre plusieurs formes et doivent être adaptés à chaque situation particulière. Il n’y a donc pas de formule toute faite pouvant être appliquée comme une recette. Il faut éviter de gérer ces cas par des approches automatiques ou systématiques.

Il faut faire preuve d’ouverture et d’imagination et surtout amener le syndicat, le cas échéant, ainsi que le salarié à collaborer dans tout effort d’accommodement. L’employeur doit adopter, dans chaque situation, une stratégie proactive et créative et proposer, dans la mesure du possible, des aménagements favorisant le retour au travail.

Divers aménagements possibles

  • Éliminer des tâches contrevenant aux restrictions médicales imposées (restructuration du poste);
  • Aménager les horaires de travail (quart de jour, horaire comprimé, horaire plus flexible, etc.);
  • Aménager l’espace ou le poste de travail;
  • Réduire le nombre de jours de travail;
  • Offrir des congés sans solde, mobiles ou additionnels;
  • Offrir un poste réservé;
  • Offrir une mutation permanente ou temporaire de poste;
  • Permettre un retour au travail progressif.

La contrainte excessive

L’obligation d’accommodement a une limite : la contrainte excessive. Le coût financier, l’atteinte à la convention collective, l’importance de l’atteinte aux droits des autres employés, l’interchangeabilité relative des effectifs et des installations, la taille de l’entreprise et les risques pour la sécurité sont des éléments qui peuvent démontrer une contrainte excessive en matière d’accommodement. Il s’agit évidemment d’une liste non exhaustive.

On parle donc en résumé de limites aux ressources financières ou matérielles de l’entreprise, du respect des droits de la victime de discrimination, des collègues de travail et du public en général et, finalement, du bon fonctionnement de l’entreprise ou de l’institution de qui l’on requiert l’accommodement.

L’accommodement dans un contexte de santé mentale

Mais qu’en est-il lorsqu’un employeur est aux prises avec un salarié ayant des problèmes de santé mentale? Un accommodement peut-il être possible en pareille circonstance, et ce, sans contrainte excessive?

Un employeur peut adapter les conditions de travail du salarié, par exemple en aménageant son poste de travail, en autorisant un travail léger ou un retour progressif, ou encore un horaire à temps partiel. Un retour progressif au travail ou un horaire à temps partiel pourraient s’avérer une mesure d’accommodement raisonnable. Il peut être difficile pour un employeur de démontrer qu’un tel retour progressif au travail lui impose une contrainte excessive. Ainsi, dans l’affaire Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais[2], l’arbitre ordonne la réintégration d’une employée. Il conclut que rien ne prouve que le fait d’autoriser le retour progressif au travail de la plaignante, souffrant de maladie bipolaire, constitue une contrainte excessive pour l’employeur.

Toutefois, en cas d’absentéisme chronique, si l’employeur démontre qu’en dépit des accommodements déjà accordés, l’employé ne reprendra pas son travail dans un avenir raisonnablement prévisible, il pourrait avoir satisfait à son fardeau de preuve et avoir établi l’existence d’une contrainte excessive pour justifier de mettre fin à l’emploi. Dans une sentence arbitrale rendue au CISSS de la Montérégie-Est-CSN[3], l’employeur a prouvé la persistance de l’absentéisme d’une salariée en raison d’un trouble anxieux généralisé pendant plus de trois années et de nombreux échecs de retours progressifs. De plus, il a démontré que cet état de santé n’était pas en voie de résolution et que la salariée ne serait pas en mesure d’offrir une prestation régulière et soutenue de travail dans un avenir prévisible dans son poste, même en y apportant certains aménagements. Il a aussi montré que ces limitations fonctionnelles rendent virtuellement impossible l’occupation d’un poste susceptible de générer, même à un niveau raisonnable, du stress ou des conflits interpersonnels se traduisant par une hausse des manifestations d’un trouble d’anxiété généralisée chronique incurable. L’employeur n’avait pas à créer un poste conçu sur mesure pour la salariée et la mettant virtuellement à l’abri de tout stress et de toute source de conflit. La terminaison de l’emploi a été confirmée.

Il peut être difficile de satisfaire un salarié aux absences fréquentes et chroniques qui prennent leur source dans des phénomènes exogènes, hors du contrôle de l’employeur (problèmes familiaux, séparation ou divorce, maladie d’un parent, problèmes avec son enfant, etc.). Ainsi, peu importe l’accommodement envisagé, il est possible qu’il ne modifie en rien le pronostic selon lequel des rechutes se produiront en toute probabilité.

Lorsque le seul accommodement possible consiste à tolérer les absences du salarié, parfois tout en continuant de lui verser des prestations d’assurance salaire, cela pourrait constituer une contrainte excessive. Prenons l’exemple d’un salarié qui a bénéficié dans le passé de nombreux retours progressifs au travail et qui a même conclu des ententes lui ayant permis d’obtenir un congé partiel sans solde et qui continue de s’absenter. Il peut s’avérer que l’employeur ne peut rien faire de plus, sauf continuer à accepter un taux d’absentéisme important, ce qui pourrait constituer une contrainte excessive.

Conclusion

La gestion des cas d’invalidité, particulièrement des cas de salariés présentant des problèmes de santé mentale, est très complexe et nécessite des efforts de la part du gestionnaire.

L’accommodement accordé au salarié atteint d’un problème de santé mentale peut prendre la forme d’un retour progressif au travail, d’un congé partiel sans solde ou d’un aménagement des tâches. Il faut toujours garder à l’esprit que chaque cas est un cas d’espèce et que l’employeur se doit d’être proactif et imaginatif. Toutefois, ces efforts sont limités par la contrainte excessive.

Dans la gestion de ces cas, le gestionnaire impliqué ne doit pas seulement faire preuve d’imagination, d’originalité et de souplesse… Il doit très bien documenter ses dossiers et suivre de très près l’évolution de la jurisprudence au cours des mois et des années à venir.


Author
Anne-Marie Bertrand, CRIA Avocate Monette Barakett

Anne-Marie Bertrand est avocate depuis 1986 et est associée auprès de l’étude Monette Barakett. Elle se spécialise depuis le début de sa pratique dans le domaine des relations de travail et de la santé et sécurité du travail – gestion de la présence au travail. Elle est particulièrement sollicitée pour des questions à incidence médico-légale, notamment les questionnaires médicaux préemplois, les questions concernant les drogues et alcool, l’obligation d’accommodement et toute question relevant des droits et libertés de la personne. Son expertise est aussi recherchée en matière de harcèlement psychologique, soit pour réaliser les enquêtes, à titre de formatrice ou de représentante des employeurs. Elle est consultée dans des dossiers litigieux et plaide régulièrement devant les tribunaux administratifs, tel le Tribunal administratif du travail, ainsi que les arbitres de griefs. Elle agit pour les employeurs des secteurs public et privé.

Elle est membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréées et, à ce titre, a rédigé de nombreux articles, donné des conférences et des webinaires. Finalement, elle est médiatrice accrédité par le Barreau du Québec, spécialisée en relations de travail et est membre de l’Institut de médiation et d’arbitrage du Québec (IMAQ).


Source : VigieRT mai 2024

1 Talbot et Garant GP, 2021 QCTAT 348.
2 Syndicat des travailleurs et travailleuses de la santé de Gatineau - CSN et Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais, 2020 QCTA 220.
3 Syndicat des travailleuses et travailleurs du CISSS de la Montérégie-Est-CSN et Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est, 2022 QCTA 86.