Introduction
Lorsque vient le temps de congédier un employé, un employeur averti se pose normalement les questions suivantes :
- Est-ce que j’ai des motifs sérieux pour procéder au congédiement?
- Est-ce que l’employé a droit à un délai de congé (préavis)?
- Si oui, quelle doit être la durée de ce délai de congé (préavis)?
- Or, une quatrième question est malheureusement trop souvent oubliée : Comment devrais-je procéder au congédiement?
En effet, avoir le droit de procéder au congédiement d’un employé ne signifie pas devoir le faire cavalièrement. Au-delà des considérations de rétention du personnel et d’image, l’employeur a une responsabilité légale quand vient le moment de laisser aller un employé. Passer outre ces obligations peut représenter un coût financier important, et ce, en plus de compromettre la réputation de l’employeur.
Afin de permettre aux conseillers en ressources humaines d’accompagner efficacement les employeurs dans la gestion des congédiements, nous croyons qu’il est opportun de faire une présentation sommaire de l’enjeu du congédiement abusif. Malheureusement, encore aujourd’hui, des employeurs croyant avoir comme seule limite l’obligation d’offrir un délai de congé raisonnable se voient condamnés à payer des dommages-intérêts en raison de la manière dont ils ont congédié un employé.
Certaines notions importantes
Avant de plonger dans le sujet qu’est le congédiement abusif, nous croyons pertinent de rappeler certaines notions juridiques entourant la fin d’emploi.
Tout d’abord, il est important de rappeler qu’en vertu du Code civil du Québec, un employeur est tenu d’offrir un délai de congé raisonnable à son employé lorsqu’il met fin à son emploi[1]. Toutefois, cette obligation est applicable uniquement en cas de congédiement sans motifs sérieux[2]. Le délai de congé peut prendre la forme d’un préavis travaillé ou d’une indemnité monétaire[3].
Le délai de congé a une vocation indemnitaire et a comme objectif principal de permettre à l’employé de jouir d’une période raisonnable pour se replacer sur le marché du travail sans subir de perte économique[4]. Ainsi, afin de déterminer la durée du délai de congé, l’employeur doit tenir compte de plusieurs facteurs, dont notamment :
- La nature de l’emploi;
- La durée du service du salarié;
- L’âge du salarié;
- La possibilité que le salarié obtienne un poste similaire compte tenu de son expérience, de sa formation et de ses compétences[5].
Ainsi, selon le Code civil du Québec, à condition d’offrir un délai de congé raisonnable, il est dans le droit de l’employeur de congédier un employé sans motifs sérieux; il ne s’agit pas d’une faute[6]. Par conséquent, en vertu du Code civil du Québec, sont permis :
- un congédiement avec motifs sérieux;
- un congédiement sans motifs sérieux accompagné d’un délai de congé raisonnable.
Cependant, avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités[7]. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il est possible d’abuser de ses droits[8]. Par conséquent, s’il est effectué de manière abusive, un congédiement autrement permis peut mener à une condamnation en dommages-intérêts.
Le congédiement abusif
L’abus de droit
Un congédiement cause nécessairement un préjudice par sa nature traumatisante et humiliante; il n’est donc pas suffisant qu’un employé ressente de telles émotions pour qu’on soit en présence d’un congédiement abusif[9]. Pour qu’il s’agisse d’un abus de droit, il doit y avoir une faute additionnelle, causant des dommages distincts de ceux normalement provoqués par un congédiement[10].
Dans le contexte d’un congédiement, les tribunaux concluront qu’il y a abus de droit dans deux types de situations :
- lorsque l’employeur abuse de son droit de congédier avec malice, méchanceté et intention de nuire;
- lorsque l’employeur abuse de son droit de congédier, sans être animé par l’intention de nuire, mais avec une maladresse, insouciance, malveillance ou négligence excessive et déraisonnable. Dans un tel cas, l’employeur perd de vue les dommages qu’il peut causer à l’employé du fait d’un exercice exagéré de ses droits, se limitant à ne considérer que ses intérêts propres[11].
La jurisprudence contient de nombreuses illustrations de congédiements abusifs. Cela étant, nous avons choisi de donner, à titre d’exemple, deux types de comportements pouvant convertir un congédiement « anodin » en congédiement abusif. Ces comportements étant plus fréquents que d’autres, nous croyons qu’il est important de les analyser plus en détail.
Les comportements à risque
Le congédiement brutal ou intempestif
Il arrive qu’un employé ne soit pas à la hauteur des attentes ou qu’il ne s’intègre pas aussi bien que l’employeur le souhaite. Il arrive également qu’un candidat plus intéressant que l’employé en poste manifeste de l’intérêt pour le poste déjà comblé. Dans de tels cas, il peut être tentant pour l’entreprise de remplacer son employé le plus rapidement possible afin de continuer l’aventure avec un talent plus prometteur.
Toutefois, il est important de ne pas procéder au congédiement de manière brutale ou intempestive. En effet, les tribunaux nous ont rappelé plus d’une fois qu’une telle manière de procéder peut constituer un abus de droit.
C’est d’ailleurs ce que la Cour d’appel est venue rappeler cet été dans une décision rendue le 5 juillet[12]. Dans cette affaire, le président d’une entreprise de logiciels avait l’occasion d’embaucher une personne qu’il considérait être une perle rare afin de remplacer l’un de ses vice-présidents. Cependant, le vice-président qu’il comptait remplacer n’avait jamais été averti que son travail était insatisfaisant. Au contraire, on vantait ses succès au sein de l’entreprise.
Au moment des discussions avec le candidat potentiel, le vice-président en question était hors du pays pour ses vacances annuelles. Or, dès le matin de son retour, le président l’a convoqué à un appel téléphonique durant lequel il a mis fin à son emploi. Il lui a expliqué que la seule raison justifiant sa décision était un manque de cultural fit. Bien que l’employé lui en ait fait la demande, le président a refusé de lui offrir une lettre de recommandation ou de lui donner des raisons plus précises justifiant son congédiement.
Comme nous l’avons rappelé plus haut, l’employeur a tout à fait le droit de congédier ce cadre supérieur sans motifs sérieux, à condition de lui offrir un délai de congé raisonnable. Or, la Cour d’appel juge qu’il est raisonnable de conclure que l’employeur a abusé de son droit dans ce cas-ci. Selon elle, le caractère soudain et imprévisible du congédiement ainsi que la décision d’effectuer celui-ci au téléphone alors que l’employé n’y était pas préparé ont mené à un abus de droit.
En raison de son comportement brutal et intempestif, l’employeur a donc été condamné à payer des dommages-intérêts pour abus de droit, et ce, en plus de l’indemnité tenant lieu de délai de congé. Dans ce cas précis, il s’agissait de 13 mois de délai de congé et de 20 000 $ en dommages-intérêts.
Dans une autre affaire entendue par la Cour d’appel, cette fois-ci en 2020, il était également question d’un congédiement brutal[13]. Dans cette histoire, l’employé congédié était l’un des trois fondateurs de la Maison Carignan, un organisme sans but lucratif offrant des services thérapeutiques aux personnes en situation de dépendance. L’employé occupait la fonction de directeur général depuis 25 ans, soit depuis la fondation de l’organisme.
Les premiers problèmes sont survenus lorsque, au moment de réaliser l’audit annuel, l’auditrice nommée par l’organisme a découvert plusieurs irrégularités dans la gestion financière. De plus, l’auditrice et son équipe n’ont jamais été en mesure de trouver les pièces justificatives pour des dépenses importantes.
Afin de comprendre ce qui s’était passé et d’enquêter sur la gestion du directeur général, le conseil d’administration a fait appel à une firme externe. C’est aux termes de l’enquête que le conseil d’administration a procédé au congédiement du directeur général, notamment en raison de son laxisme dans la gestion financière de l’organisme.
Pour annoncer au directeur général qu’il était congédié, l’employeur lui a fait parvenir une lettre de fin d’emploi par huissier. Les motifs de son congédiement qui y étaient énumérés s’appuyaient sur les conclusions de l’enquête menée par la firme externe. Or, les conclusions de l’enquête ne lui seront jamais communiquées.
Selon la Cour d’appel, une telle façon de faire est « brutale et dissociée de l’exercice raisonnable du droit de congédier ». Toujours d’après elle, il aurait été plus approprié de convoquer l’employé à une rencontre, de l’aviser des résultats de l’enquête ainsi que des motifs pour lesquels on le congédiait et de lui permettre de s’exprimer avant de procéder à sa fin d’emploi.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que la Cour d’appel s’appuie sur une communication de l’Ordre des CRHA pour motiver sa conclusion. La Cour écrit :
« [34] Dans une communication du 12 novembre 2018, l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés décrit le congédiement comme “un processus délicat à réaliser dans les règles de l’art”. Lorsqu’il faut congédier, y est-il écrit, “il faut garder l’humain au cœur du processus”. En l’espèce, l’intimée a failli à cette tâche de garder l’humain au cœur du processus, une tâche pourtant simple, élémentaire et fondamentale. »
En raison du comportement jugé abusif, la Cour condamne l’employeur à payer 20 000 $ en dommages-intérêts à l’employé. Pourtant, selon la Cour, l’employeur avait bel et bien des motifs sérieux pour congédier l’employé. Il s’agit d’un autre exemple illustrant qu’un droit comporte des limites.
Conditionner le délai de congé à la signature d’une quittance
Lorsque vient le temps de congédier un employé et que l’employeur reconnaît que la fin d’emploi ne repose sur aucun motif sérieux, comme dans le cas d’un licenciement (fin d’emploi découlant de motifs économiques ou organisationnels), il est recommandé de demander à l’employé de signer une quittance en échange du paiement de l’indemnité de fin d’emploi. Or, il arrive que l’employeur et l’employé n’arrivent pas à s’entendre sur la durée du délai de congé raisonnable. Dans un tel cas, quelle approche devrait favoriser l’employeur?
Certains employeurs vont rendre le paiement de l’indemnité de fin d’emploi prévue au Code civil du Québec conditionnelle à la signature d’une quittance[14]. D’autres vont préférer payer à l’employé ce qu’ils croient lui être dû, malgré l’absence de quittance.
Bien que la première solution puisse sembler intéressante pour certains employeurs, certaines décisions rendues dans les dernières années indiquent qu’il pourrait s’agir d’un abus de droit.
Dans une décision rendue en 2006 par la Cour d’appel du Québec, il était question du congédiement sans motif sérieux d’un directeur commercial travaillant pour une compagnie ferroviaire[15]. Dans cette affaire, l’employeur avait refusé de payer un délai de congé à l’employé en raison de son refus de signer une quittance.
Dans ses motifs, la Cour d’appel a conclu que l’employeur avait commis un abus de droit, notamment en raison du comportement décrit plus haut. En raison du congédiement jugé abusif, l’employeur a été condamné à payer 30 000 $ en dommages-intérêts à son ancien employé.
La question a également été explorée dans une décision rendue en 2016 par la Cour supérieure[16]. Dans cette affaire, l’employeur avait exigé que l’employé signe une quittance, mais celui-ci avait refusé. Devant ce refus, l’employeur avait décidé de ne payer que deux semaines de délai de congé. Pourtant, et comme dans la décision présentée plus haut, l’employeur reconnaissait qu’il s’agissait d’un congédiement sans motif sérieux et que l’employé avait droit à un délai de congé raisonnable. Pour la Cour, en maintenant son refus de payer l’indemnité tenant lieu de délai de congé, l’employeur n’a pas agi selon le standard de conduite d’un employeur responsable.
Dans ce cas, l’abus de droit, notamment causé par le refus de l’employeur de payer une indemnité raisonnable, a donné lieu à 10 000 $ en dommages-intérêts.
À la lumière de ces deux décisions, il semble toujours possible d’entamer les négociations des modalités de fin d’emploi en exigeant la signature d’une quittance. Toutefois, il semble maintenant risqué de poser cette signature en condition absolue au paiement de l’indemnité.
Conclusion
Il est important de se rappeler que lorsque vient le temps de congédier un employé, la forme est toute aussi importante que le fond. Congédier un employé de manière brutale ou intempestive, ou en rendant le paiement d’une indemnité de fin d’emploi conditionnelle à la signature d’une quittance lorsque l’employeur reconnaît n’avoir aucun motif sérieux justifiant la fin d’emploi, sont des comportements à risque. L’employeur avisé agira donc avec prudence lorsqu’il s’aventure dans ces eaux.
Le risque juridique n’est d’ailleurs pas le seul risque guettant l’employeur. En effet, procéder à un congédiement abusif constitue un risque réputationnel important. Adopter une attitude belliqueuse dans un contexte de fin d’emploi peut préjudicier l’image de l’employeur et le sentiment d’appartenance de ses ressources. À l’ère de la pénurie d’emploi, mieux vaut respirer par le nez avant de prendre une décision précipitée et souvent coûteuse…
[1] Art 2091 CcQ. Il est important de noter que la Loi sur les normes du travail prévoit à son article 82 qu’il est obligatoire de donner un préavis en cas de fin d’emploi, mais nous ne traiterons pas de cette loi dans ce texte.
[2] Art 2094 CcQ.
[3] Farber c Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846 au para 23; Aksich c Canadian Pacific Railway, 2006 QCCA 931 au para 118.
[4] Isabelle Jolicoeur, L’évolution de la notion de délai-congé raisonnable en droit québécois et canadien, Montréal, Yvon Blais, 1993 à la p. 59.
[5] Garon ltée c Tremblay, [2006] 1 R.C.S. 27 au para 172.
[6] Ponce c Montrusco & Associés inc., 2008 QCCA 329 au para 12; Standard Broadcasting Corporation Ltd. c Stewart, 1994 CanLII 5837 à la p 12, [1994] R.J.Q. 1751 (QCCA). Ceci ne tient pas compte des protections prévues par la Loi sur les normes du travail dont nous ne traitons pas dans ce texte.
[7] Stan Lee et Steve Ditko, « Spider-Man », Amazing Fantasy (1962) 15:1 à la p 13 (1962). Notre traduction.
[8] Art 7 et 1375 CcQ.; Houle c Banque canadienne nationale, [1990] 3 R.C.S. 122.
[9] Ponce c Montrusco & Associés inc., 2008 QCCA 329 aux para 18-19; Georges Audet et al., Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd, Montréal, Éditions Yvon Blais, 1991 (feuilles mobiles mise à jour 31:3), partie I au para 2.1.20.
[10] Structures Lamerain inc. c Meloche, 2015 QCCA 476, aux para 55-58.
[11] Georges Audet et al., Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd, Montréal, Éditions Yvon Blais, 1991 (feuilles mobiles mise à jour 31:3), partie I au para 2.1.22.
[12] Tecsys inc. c Patrao, 2023 QCCA 879.
[13] Carignan c Maison Carignan inc., 2020 QCCA 104.
[14] Si l’employé n’est pas un cadre supérieur, il a droit à l’indemnité compensatrice prévue à la Loi sur les normes du travail. Le paiement de cette indemnité ne devrait jamais être conditionnel à la signature d’une quittance et d’une transaction lorsque l’employeur reconnaît n’avoir aucun motif sérieux pour justifier la fin d’emploi.
[15] Aksich c Canadian Pacific Railway, 2006 QCCA 931.
[16] Kugler c IBM Canada Limited, 2016 QCCS 6576.