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Entrée en vigueur imminente des modifications à la Loi sur la concurrence – Ce que doivent savoir les entreprises suivant la publication des lignes directrices officielles

À compter du 23 juin 2023, des modifications apportées à la Loi sur la concurrence auront une incidence sur les employeurs partout au Canada, qu’ils soient de compétence fédérale ou provinciale.
14 juin 2023
Me Catherine Méthot | Me Jessica Parent, CRIA | Me Béatrice Bull

Le 23 juin 2023, d’importantes modifications à l’article 45 de la Loi sur la concurrence[1] (la « Loi ») entreront en vigueur. Adoptées en 2022 par le Parlement fédéral, ces modifications ont notamment pour but d’harmoniser le droit canadien de la non-concurrence avec celui de certains autres pays, en particulier celui des États-Unis, qui restreint certaines pratiques commerciales jugées nuisibles aux travailleurs. Les modifications apportées à la Loi auront une incidence sur les employeurs partout au Canada, qu’ils soient de compétence fédérale ou provinciale.

À compter du 23 juin 2023, la Loi interdira à des employeurs « non affiliés » de conclure des accords visant à i) fixer les salaires ou les conditions d’emploi; ou ii) restreindre la mobilité des employés au moyen d’engagements mutuels de non-sollicitation et de non-embauche. À ce titre, il est à noter que les accords entre des entreprises affiliées (par exemple, des entreprises qui sont contrôlées par la même société mère) ne constituent pas une infraction à la Loi.

Le présent bulletin vise à présenter un sommaire des modifications d’intérêt pour les employeurs à la lumière de la version officielle des lignes directrices sur l’application de la Loi, publiées par le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») en date du 30 mai 2023[2] (les « Lignes directrices »). Bien que les Lignes directrices n’aient pas force de loi, elles décrivent l’approche que suivra le Bureau dans son interprétation des interdictions et défenses applicables.

Les accords de fixation des salaires et des conditions d’emploi

L’alinéa 45 (1.1) a) de la Loi interdit les ententes entre employeurs non affiliés portant sur la fixation, le maintien, la réduction ou le contrôle des salaires, des traitements et des conditions d’emploi.

À cet égard, le Bureau de la concurrence énonce aux Lignes directrices que le terme « conditions d’emploi » renvoie généralement à toute condition pouvant influer sur la décision d’une personne d’accepter un contrat d’emploi ou de le conserver, ce qui comprend, notamment, « les descriptions de poste, les indemnités quotidiennes, le remboursement de déplacements, la rémunération non monétaire, les heures de travail, le lieu de travail et les dispositions de non-concurrence ou autres directives susceptibles de restreindre les perspectives d’emploi d’une personne ».

Le Bureau donne, comme exemple de situations problématiques eut égard à la nouvelle disposition de la Loi, une situation où deux dirigeants-propriétaires d’entreprises non affiliées conviendraient, lors d’un dîner d’affaires, de limiter les primes annuelles de leurs employés respectifs à 5 % de leur salaire brut. Ce type d’entente sera vraisemblablement prohibé par la Loi.

Les engagements de non-débauchage ou de non-sollicitation

En vertu de l’alinéa 45 (1.1) b) de la Loi, sont également prohibés les accords entre employeurs non affiliés qui pourraient limiter les possibilités pour leurs employés d’être embauchés par l’autre employeur.

Cette nouvelle disposition concerne les engagements mutuels de non-sollicitation et de non-embauche entre employeurs que l’on retrouve assez souvent dans les contrats commerciaux notamment les contrats de fusion-acquisition, de coentreprise (joint-venture), de partenariat, de vente, d’approvisionnement ou de fourniture de biens et services, de franchise, de recrutement et placement de personnel, etc.).

Toutefois, tel que nous le mentionnons ci-dessus, il est important de noter que ce type d’entente ne contrevient à la Loi que dans les cas où les parties ont des obligations mutuelles de non-débauchage. Autrement dit, si l’obligation est « unidirectionnelle », c’est-à-dire qu’une seule des parties est assujettie à une telle obligation de ne pas solliciter ou débaucher les employés de l’autre employeur, il n’y a pas d’infraction à la Loi.

Les exemptions et défenses possibles

La principale défense qui pourrait être opposée à des procédures intentées en vertu du paragraphe 45 (1.1) est celle fondée sur les restrictions accessoires (la « DRA »). Pour se prévaloir de cette défense, les employeurs devront démontrer que :

  • la restriction est accessoire à un accord plus large entre les parties (ou à un accord distinct entre les mêmes parties);
  • la restriction est directement liée à l’objectif de cet accord plus large (ou distinct) et est nécessaire à sa réalisation; et
  • l’accord plus large (ou distinct) ne contrevient pas autrement au paragraphe 45 (1.1) de la Loi (lorsqu’il est considéré indépendamment de la restriction).

À titre d’exemple, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une agence spécialisée dans le placement de personnel chez ses clients veuille éviter que ceux-ci puissent embaucher ce personnel au cours de la durée de l’entente. Il serait possible dans ce cas pour l’agence d’invoquer la DRA.

L’entente devra toutefois être soigneusement rédigée afin que l’employeur puisse être en mesure de démontrer que l’accord était raisonnablement nécessaire à la réalisation de l’objectif. À ce titre, le Bureau indique que la durée, l’objet et la portée géographique de la restriction, parmi d’autres éléments, seront notamment examinés pour déterminer si l’entente est bel et bien « raisonnablement nécessaire ».

Les Lignes directrices prévoient par ailleurs que le Bureau « n’évaluera généralement pas les clauses de fixation des salaires ou de non-débauchage qui sont accessoires aux transactions de fusion, aux coentreprises ou aux alliances stratégiques en vertu des dispositions criminelles », mais qu’il « peut cependant commencer une enquête aux fins du paragraphe 45(1.1) lorsque ces clauses sont manifestement plus larges qu’il est nécessaire en ce qui concerne la durée, les employés couverts, ou lorsque l’accord ou l’arrangement commercial est un subterfuge. »

D’autres exemptions et défenses pourront également être invoquées, telles que la défense fondée sur des actes réglementés[3] ou l’exemption en matière de négociation collective[4].

Les sanctions applicables

Une contravention au nouveau paragraphe 45 (1.1) de la Loi pourra entraîner des poursuites criminelles. La sanction qui pourra être imposée à la suite d’un verdict de culpabilité est soit une amende dont le montant est fixé par le tribunal, à sa discrétion, soit une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans, soit les deux.

Par ailleurs, l’article 36 de la Loi permet aussi à une personne (vraisemblablement un travailleur) qui a subi une perte ou des dommages à la suite d’un manquement à diverses dispositions de la Loi, dont l’article 45 (ce qui comprendra donc le nouveau paragraphe 45 (1.1)) de réclamer de la personne qui a eu un tel comportement (ici l’employeur), une somme correspondant au montant de la perte ou des dommages subis.

Ainsi, une contravention aux dispositions en question de la Loi serait susceptible d’entraîner des poursuites civiles et possiblement, dans certains cas, un recours collectif.

Précisions sur les ententes existantes et mesures à prendre

Les Lignes directrices précisent que les interdictions du paragraphe 45(1.1) de la Loi s’appliquent non seulement aux accords conclus à compter du 23 juin 2023, mais aussi aux comportements qui réaffirment ou mettent en œuvre des accords conclus antérieurement à cette date. À cet égard, au moins deux des parties à ces accords antérieurs devront réaffirmer ou mettre en œuvre la restriction. On peut penser, par exemple, au renouvellement par deux parties ou plus d’une entente qui contiendrait un engagement prohibé.

Le Bureau précise également qu’il mettra l’accent sur l’intention des parties à compter du 23 juin 2023 et, dans ce contexte, il suggère aux entreprises de revoir leurs modèles de contrat et de mettre à jour leurs accords préexistants dans le cours normal des affaires.

Nous recommandons donc à toute entreprise, qu’elle soit de compétence provinciale ou fédérale, d’examiner les contrats actuellement en vigueur auxquels elle est partie et d’y relever toutes les clauses qui pourraient possiblement constituer une infraction en vertu de ces nouvelles dispositions de la Loi. Suivant cet exercice, différentes stratégies ou correctifs pour limiter les risques de l’entreprise pourront être évalués et mis en œuvre selon la nécessité et le caractère raisonnable des engagements (par exemple, renégociation d’un engagement ou adoption d’une directive visant à confirmer que l’employeur n’appliquera pas un engagement à compter du 23 juin 2023, etc.).

N’hésitez pas à communiquer avec les membres de nos équipes pour plus de détails et pour des conseils en lien avec ces modifications.

Publié avec l’autorisation de Lavery [https://www.lavery.ca/]

Cet article de Lavery est publié à titre informatif uniquement et ne constitue pas un avis juridique ni une opinion.


Author
Me Catherine Méthot Avocate principale Lavery
Catherine Méthot fait partie du groupe Droit des affaires du cabinet et sa pratique se concentre principalement en fusions et acquisitions mais aussi en droit commercial. Dans le cadre de sa pratique, Catherine négocie, rédige et révise différents documents juridiques afférents à des transactions commerciales et est régulièrement appelée à soutenir et conseiller les clients dans leurs activités commerciales et opérationnelles.
À ce titre, elle représente des entreprises dans une vaste gamme de transactions d’acquisition ou de vente et dans la négociation de plusieurs types d’ententes commerciales telles que des conventions de distribution, d’approvisionnement ou de fabrication.
Catherine est titulaire d’un baccalauréat en droit ainsi que d’un DESS en Droit des affaires de l’Université de Montréal et elle a débuté sa carrière en tant que stagiaire chez Lavery, puis comme avocate au sein du groupe Droit des affaires.
Elle a également travaillé comme conseillère juridique en contentieux. Pendant cette période, Catherine a continué de développer ses compétences en matière de fusions et acquisitions et droit commercial et a également développé une spécialisation en matière règlementaire dans le secteur pharmaceutique, notamment en ce qui a trait aux ententes de développement, de fabrication, de licence, d’approvisionnement, de distribution, de marketing, d’essais cliniques, de recherche et développement, de partenariats et de coentreprise.
Finalement, sa pratique en entreprise a permis à Catherine de développer ses compétences à titre de partenaire d’affaires pour ses clients, lui permettant de bien analyser et saisir les enjeux et les risques liés à la conclusion d’une entente commerciale et à la situation juridique particulière de ses clients. Elle est donc en mesure de donner les conseils les mieux adaptés à la situation respective de chacun.

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Me Jessica Parent, CRIA Avocate principale Lavery
Jessica Parent fait partie du groupe Droit du travail et de l’emploi du cabinet. 
Dans le cadre de sa pratique, elle est appelée à traiter de questions diverses et variées, touchant notamment l’embauche et la cessation d’emploi, les normes du travail, les droits et libertés de la personne, les décrets de convention collective, l’imposition de mesures disciplinaires et l’interprétation et l’application de contrats d’emploi et de conventions collectives de travail.
Me Parent est régulièrement impliquée dans des dossiers complexes d’acquisition et de vente d’entreprises, que ce soit au stade du processus de vérification diligente ou pour offrir des conseils stratégiques en lien avec l’intégration des employés. Elle a aussi développé une expertise particulière quant aux exigences réglementaires afférentes aux agences de placement de personnel et aux agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires.
Avant son arrivée chez Lavery, Me Parent a notamment travaillé à titre de conseillère en relations de travail dans le secteur hospitalier, où elle a acquis une expérience pratique en matière de rapports collectifs de travail et d’enquêtes en milieu de travail. Par ailleurs, durant ses études universitaires, elle a œuvré au sein de la Direction des affaires juridiques de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail.
Me Parent figure au palmarès du doyen de la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke et s’est vu décerner le Prix des Éditions Yvon Blais en rédaction juridique.

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Me Béatrice Bull Avocate Lavery
Béatrice est membre de notre groupe Droit des affaires et exerce principalement en droit transactionnel et en droit commercial. Elle a un double diplôme de droit civil et de common law à l’Université McGill.
De nature à s'impliquer, elle se fait élire à titre de Présidente de l'Association des étudiants en droit de McGill, où elle fait valoir ses talents en relations publiques et organisation événementielle et assure la supervision de tous les projets et de la santé financière de l'association.
Passionnée de musique depuis un jeune âge, Béatrice a complété un double-DEC en chant classique avant de décider de se diriger vers le domaine légal. Elle continue son engagement dans l'univers artistique en aidant l'organisation de charités variées de son université. Elle s'est également portée volontaire pour prendre en charge la direction artistique de la chorale de sa faculté pendant plus de deux ans.

Source : Vigie RT, juin 2023

1 L.R.C. 1985 c. C-34, tel que modifiée par la loi C-19, Loi no 1 d’exécution du budget de 2022,L.C. 2022, c.10.
2 Bureau de la concurrence. Lignes directrices sur l’application de la loi concernant les accords de fixation des salaires et de non-débauchageen ligne, 2023-05-30.
3 Paragraphe 45(7) de la Loi.
4 Article 4 de la Loi.