ressources / relations-travail

Abuser de la procédure d’arbitrage peut coûter cher!

Le comportement d’une partie lors de la négociation d’une convention collective peut entraîner sa responsabilité quant au dommage subi ultérieurement par l’autre partie.
10 mai 2023
Me Mélanie Morin, CRHA | Me Valérie Leroux, CRHA

Ce principe a été rappelé plus récemment aux dépens de la partie syndicale par la Cour supérieure dans l’affaire Université du Québec à Montréal c. Lamy[1] alors qu’il est ordonné au syndicat de dédommager l’employeur pour toutes les sommes qu’il ne pourra récupérer relativement au retrait de la clause de récupération salariale négociée entre les parties.

La preuve révèle que l’employeur, face à des contraintes budgétaires lors de la négociation pour le renouvellement de la convention collective, a proposé de réduire le salaire des professeurs de la moitié de leur rente de retraite. En réponse à cette proposition, le syndicat a accepté, exigeant toutefois un ajout visant à préciser l’âge à partir duquel il y aurait réduction de salaire. L’employeur a accepté cet ajout, et les parties ont conclu leur convention collective.

Peu de temps après, le syndicat a déposé un grief contestant le caractère discriminatoire de ladite clause. En réponse à celui-ci, l’employeur a déposé un grief patronal reconventionnel alléguant le recours abusif à l’arbitrage dans les circonstances et demandant l’annulation des clauses d’augmentations salariales consenties. Cette demande a par la suite été modifiée pour réclamer plutôt le remboursement des sommes qu’il pourrait devoir verser aux professeurs. Ainsi, l’employeur demande d’être dédommagé intégralement par le syndicat dans l’éventualité où la clause récupératrice est annulée.

L’employeur déplore le comportement syndical qu’il considère comme abusif en portant le grief des professeurs à l’arbitrage tout de suite après avoir soutenu la clause pour obtenir une entente, refusant même toute approche pour négocier le retrait de la clause discriminatoire de la convention collective. Si l’employeur avait été au fait des intentions véritables du syndicat, cette clause n’aurait pas été introduite, et une autre contrepartie aurait été négociée. C’est pour cette raison que l’employeur a déposé un grief reconventionnel réclamant au syndicat un dédommagement concernant le préjudice subi. Dit autrement, l’employeur reproche au syndicat d’utiliser la procédure de grief pour empêcher l’application de la clause de récupération négociée sur le salaire.

L’arbitre saisi du grief a retenu la faute du syndicat, mais n’a pas reconnu le lien de causalité concernant la réclamation de l’employeur sur les indemnités qu’il devra verser aux salariés visés. La Cour supérieure, lors du contrôle judiciaire, a quant à elle accueilli partiellement le recours à la seule fin de conclure qu’à sa face même le lien de causalité était évident, ordonnant ainsi au syndicat d’indemniser l’employeur sur ce volet, alors qu’initialement l’arbitre avait uniquement ordonné le paiement des honoraires d’avocats.

Cette récente affaire nous rappelle le principe fondamental de l’exigence de la bonne foi entre les parties, notamment dans le contexte des relations de travail. Ne pas être honnête, mentir, induire l’autre partie en erreur, retenir de l’information ou exercer ses droits de façon à nuire à une autre partie sont des exemples de comportements qui ne sont pas conformes à la bonne foi. Voici un rappel des dispositions pertinentes du Code civil du Québec à ce sujet :

6. Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.

[…]

1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction.

Évidemment, l’arbitre rappelle à juste titre qu’un syndicat n’abusera pas nécessairement de la procédure chaque fois qu’il a pu accepter une clause lors de la négociation d’une convention collective, pour ensuite la contester par voie de grief : il faut plutôt s’attarder au contexte particulier de chaque situation.

Or, en l’espèce, selon l’arbitre, la preuve a démontré un cas exceptionnel où le syndicat a sciemment toléré l’inclusion dans la convention collective d’une clause discriminatoire eu égard aux professeurs visés en acceptant la proposition patronale pour éviter de devoir négocier une autre contrepartie, sachant fort bien ou ne pouvant ignorer qu’il contesterait par la suite la validité de cette clause, détournant ainsi à des fins illégales la procédure de grief.

Cette décision se distingue du corpus jurisprudentiel existant en matière de négociation de mauvaise foi où l’une des parties peut saisir le Tribunal administratif du travail dans le but de remédier aux conséquences découlant de la mauvaise foi. En effet, en vertu de l’alinéa 2 de l’article 53 du Code du travail, les parties sont tenues de négocier de bonne foi durant la phase des négociations :

53. (…) Les négociations doivent commencer et se poursuivre avec diligence et bonne foi.

En cas de défaut, le Tribunal administratif du travail dispose d’un large éventail de pouvoir afin de sanctionner un tel comportement, allant même jusqu’à l’annulation d’une entente[2].

De même, cette décision démontre qu’il est également possible d’invoquer l’abus de procédure en matière d’arbitrage de griefs, même si le grief est fondé, alors qu’il est exercé dans une intention malveillante ou dans le but de nuire.

En conclusion, il convient de se rappeler que le comportement d’une partie à toutes les étapes de sa relation contractuelle peut être scruté par les tribunaux lorsqu’il convient de déterminer si elle a manqué à son obligation de bonne foi à un moment précis. Bien que les exemples de mauvaise foi soient plus nombreux dans le cadre de la négociation collective, la présente affaire illustre bien que cette obligation existe en tout temps, notamment dans le cadre de la procédure de grief et qu’elle ne peut être utilisée comme un continuum pour perpétuer une manœuvre contraire à la bonne foi.


Author
Me Mélanie Morin, CRHA Associée Pelletier & Cie avocats Inc.
Me Mélanie Morin est associée au bureau de Pelletier & Cie avocats inc. Mélanie axe sa pratique principalement en droit du travail et de l’emploi. Elle s’occupe également de dossiers de litige civil et de droit professionnel.

Me Morin représente les employeurs tant du secteur privé (petites, moyennes et grandes entreprises) que du secteur public. Elle est appelée à représenter ses clients devant les tribunaux civils et administratifs en matière d’arbitrage de griefs, de relations de travail, d’accréditation, de congédiement et de santé et sécurité au travail. Elle axe également sa pratique sur les recours extraordinaires, tels que la révision judiciaire et l’injonction.

Me Morin agit à titre de conseillère en relations de travail, en plus de s’occuper de la négociation de conventions collectives.

Elle est conférencière en matière de relations de travail, de gestion d'employés et des enjeux reliés à l’utilisation des réseaux sociaux. Son expertise est plus particulièrement mise à contribution en matière de rapports collectifs et individuels de travail ainsi qu’en matière santé et sécurité au travail. Elle conseille également sa clientèle en matière de droit administratif, de Charte des droits et libertés et en matière d’immigration pour la clientèle d’affaires.

Author
Me Valérie Leroux, CRHA Avocate Pelletier et Cie Avocats inc.
Valérie Leroux, CRHA est avocate recherchiste-rédactrice au cabinet de Pelletier & cie avocats inc. Elle fournit principalement des services de recherche et de préparation de dossiers en droit du travail et de l’emploi, de droit professionnel et de droit disciplinaire à l’intention des avocats plaideurs du cabinet. En outre, elle apporte assistance aux employeurs dans la gestion quotidienne des ressources humaines, notamment dans le cadre de l’application de la législation du travail, des droits de la personne, de la Charte de la langue française et des conventions collectives, de même qu’en matière de régimes de retraite et d’avantages sociaux. Elle assiste aussi les employeurs et leurs employés en matière d’immigration des travailleurs qualifiés, notamment pour l’obtention de visas de résidents temporaires, de permis de travail et de résidences permanentes.

Source : Vigie RT, mai 2023

1 2023 QCCS 629, demande de permission d’appeler à la Cour d’appel, no 500-09-030492-235.
2 La récente décision Brandt Tractor Ltd. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc., 2023 QCCA 471, constitue d’ailleurs une illustration d’une affaire où il a été conclu que la partie patronale avait fait preuve de mauvaise foi dans le contexte de la négociation du renouvellement de la convention collective et où il lui a été ordonné de déposer une contre-offre devant répondre à certains critères particuliers.