Vous êtes gestionnaire dans une organisation au Québec. Un conflit éclate entre deux de vos employés, eux aussi gestionnaires. Le premier, Gestionnaire A, est le supérieur hiérarchique du second, Gestionnaire B.
La doctrine, la jurisprudence et la loi sont claires : l’employeur doit adopter des moyens raisonnables et efficaces afin de prévenir le harcèlement[1]. Les conflits sont un des principaux facteurs de risque qui peuvent mener à du harcèlement psychologique ou sexuel au travail. La prévention des conflits favorise donc la prévention des situations de harcèlement[2].
Un conflit survient habituellement lorsqu’un désaccord émerge entre des personnes sur un sujet donné et peut prendre plusieurs formes. Par exemple, on peut parler de conflit interpersonnel, de conflit de valeur, de divergences de points de vue sur l’organisation du travail ou d’un conflit de pouvoir[3].
Alors qu’il est rare que le conflit soit perçu comme positif, il peut constituer une opportunité de dialoguer et de développer une nouvelle dynamique relationnelle. D’ailleurs, ce côté plutôt positif du conflit est démontré dès 1997 par Françoise Picouleau qui apporte la réflexion suivante dans son ouvrage intitulé Le conflit, une opportunité de changement :
« Le conflit renvoie de manière sous-jacente à un désir de changement dans ce sens où il marque une limite à ce qui se passait auparavant. Or le désir de changement se porte fréquemment sur l’autre. […] Il est bien difficile de prendre conscience que c’est l’interaction des relations qui le permet »[4].
Cet article a comme objectif la présentation de trois outils qui s’offrent aux gestionnaires en cas de conflit ainsi que leurs avantages et inconvénients respectifs :
- La médiation;
- L’enquête;
- La facilitation de groupe.
1. LA MÉDIATION
Cas no 1 : Le Gestionnaire B se présente à votre bureau dans un état agité et vous explique qu’il en a assez de sa relation avec le Gestionnaire A. Il réfléchit même à déposer une plainte de harcèlement à son endroit. Que faites-vous?
Une des options qui s’offre à vous est la médiation.
Pour citer l’arbitre Maureen Flynn au sujet de la médiation, ce moyen de règlement de conflit est en fait un processus conduisant ou pouvant conduire à une décision à la suite d’un dialogue ou d’une négociation assistée ou facilitée par un tiers neutre et impartial, sans pouvoir décisionnel, et librement choisi par les parties, en vue de régler une problématique de façon amiable et mutuellement acceptable et, idéalement, de rétablir ou de bonifier la relation entre les parties[5].
Il s’agit d’un processus volontaire, ce qui signifie qu’une partie n’a ni l’obligation d’y participer ni d’accepter un règlement. Il s’agit d’un processus souple et informel, non coercitif et confidentiel, ce qui permet la participation active des parties dans l’objectif de parvenir à un consensus.
Avantages
- Processus plus rapide que la voie judiciaire.
- L’entente est adaptée aux besoins et aux intérêts des parties.
- L’aspect volontaire de la participation des parties favorise un échange franc et ouvert.
- Les parties ont le contrôle sur le processus; elles ne sont pas jugées ou évaluées par le médiateur ou la médiatrice.
- Les coûts sont minimes par rapport à ceux d’une audition ou d’un procès.
- Si la médiation se conclut par une entente, celle-ci est finale et lie les parties[6].
Inconvénients
- La médiation ne permet pas d’obtenir un précédent jurisprudentiel, en raison de sa nature privée.
- Certaines situations ne se prêtent pas à la médiation et devraient être traitées par d’autres avenues que la médiation (ex. : cas d’inconduite sexuelle, violence physique).
- L’approche ou le comportement du médiateur ou de la médiatrice peut avoir une influence sur le processus de médiation et son aboutissement[7].
2. L’ENQUÊTE
Cas no 2 : Le processus de médiation a débuté. Le Gestionnaire B dépose une plainte de harcèlement psychologique à l’endroit du Gestionnaire A.
Que faites-vous?
La médiation peut être suspendue, et une enquête peut être déclenchée afin de conclure quant à la présence ou à l’absence de harcèlement ou d’autres manquements de la part du Gestionnaire A. Puisque les parties impliquées sont des gestionnaires, il peut être judicieux de faire appel à un enquêteur externe agissant à titre de tierce partie neutre et impartiale.
Avantages
- Fait la lumière sur la situation.
- Protège plus adéquatement l’intégrité physique et/ou psychologique de la personne plaignante, par exemple par l’imposition de mesures provisoires pendant l’enquête.
- Évite l’instauration d’un climat de travail malsain pour les autres employés.
- Démontre l’engagement de l’employeur à prévenir et à maintenir un climat de travail exempt de harcèlement.
- En cas de litige, permet d’établir que l’employeur a répondu à ses obligations légales de prévenir et de faire cesser le harcèlement[8].
Inconvénients
- Peut occasionner des perturbations sur le lieu de travail (rencontres confidentielles avec plusieurs employés, maintien de la confidentialité, suspensions pendant l’enquête).
- Les conclusions d’une enquête ne contiennent habituellement pas de solutions afin de régler le conflit. Des recommandations peuvent toutefois être formulées afin de favoriser l’établissement d’un climat de travail sain.
3. FACILITATION DE GROUPE
L’enquête terminée a pu avoir un impact important sur le milieu de travail, peu importe la conclusion. Les employés rencontrés dans le cadre de l’enquête à titre de témoins n’ont, en principe, pas été tenus au courant des développements et de la conclusion de l’enquête. Il est possible que des mesures administratives ou disciplinaires aient été prises à l’endroit du Gestionnaire A. Que faites-vous?
Une des options qui s’offre à vous est un processus de facilitation de groupe.
Selon l’Institut canadien pour la résolution des conflits, la facilitation est le processus par lequel une personne qui est acceptée par tous les membres du groupe, qui est essentiellement neutre et qui ne possède aucun pouvoir décisionnel, intervient auprès d’un groupe. La tâche principale du facilitateur consiste à aider le groupe à augmenter son efficacité en améliorant le processus auquel il recourt[9].
En l’occurrence, le facilitateur peut aider un groupe à améliorer sa manière d’identifier et de résoudre les problèmes, par exemple lorsqu’un membre est témoin d’un conflit entre deux gestionnaires.
Avantages
- Contribue à une compréhension commune des attitudes de professionnalisme et de coopération à démontrer lors d’un conflit.
- Prévient les conflits futurs en démontrant les avantages des mécanismes de résolution des conflits et de la responsabilisation individuelle et collective.
- Est efficace d’un point de vue du temps et de l’argent : un facilitateur peut permettre au groupe d’accomplir davantage en moins de temps qu’en enquête et peut éliminer le besoin de réunions multiples.
- Crée des conditions favorables à la contribution de tous quant aux solutions, y compris de ceux qui parlent peu ou de ceux dont les idées divergent de celles du leader ou de la majorité.
- Permet de trouver des solutions créatives afin de résoudre les différends, notamment en élaborant des accords soutenus par tous les membres du groupe, ce qui amène à un sentiment d’engagement partagé[10].
Inconvénients
- Il peut être difficile de quantifier les avantages et de suivre les effets de la facilitation[11].
Pour conclure, la médiation, l’enquête et la facilitation de groupe sont des outils qui peuvent être utilisés, à l’occasion de manière simultanée, afin de prévenir les conflits et de potentiellement les dénouer.
1 | Article 81.19 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ c. N-1.1. |
2 | CNESST, « Prévenir les conflits au travail », en ligne < Prévenir les conflits au travail>; Association du personnel de soutien du Collège A et Collège A (F.S.), (T.A., 2008-09-29), SOQUIJ AZ-50515118, D.T.E. 2008T-853, [2008] R.J.D.T. 1762, au paragraphe 91; Suivi : Requêtes en révision judiciaire accueillies (C.S., 2010-04-09), 500-17-037967-075 et 500-17-045671-081, 2010 QCCS 1371, SOQUIJ AZ-50625599, 2010EXP-1501, 2010EXPT-1086, J.E. 2010-825, D.T.E. 2010T-305, [2010] R.J.Q. 1160, [2010] R.J.D.T. 498. Requête pour permission d’appeler accueillie (C.A., 2010-09-21), 500-09-020642-104, 2010 QCCA 1729, SOQUIJ AZ-50674060. Appel accueilli; le dossier est renvoyé à l’arbitre (C.A., 2012-03-07 (jugement rectifié le 2012-03-21)), 500-09-020642-104, 2012 QCCA 441, SOQUIJ AZ-50837656, 2012EXP-1162, 2012EXPT-592, J.E. 2012-632, D.T.E. 2012T-192, [2012] R.J.Q. 352, [2012] R.J.D.T. 55. |
3 | CNESST, « Prévenir les conflits au travail », en ligne < Prévenir les conflits au travail>. |
4 | PICOULEAU, Françoise. Le conflit, une opportunité de changement. In : Autres Temps. Cahiers d’éthique sociale et politique. N° 53, 1997. pp. 18-27. |
5 | FLYNN, Maureen. Les facettes méconnues de la médiation en 2016, Service de la formation continue, Barreau du Québec, vol. 422, Développement récent en matière de cessation d’emploi et d’indemnité de départ (2016), Cowansville, Éditions Yvons Blais, p. 77, à la page 79; article 2 du Code de procédure civile, RLRQ c. C-25.01. |
6 | FLYNN, Maureen. Les facettes méconnues de la médiation en 2016, Service de la formation continue, Barreau du Québec, vol. 422, Développement récent en matière de cessation d’emploi et d’indemnité de départ (2016), Cowansville, Éditions Yvons Blais, p. 77. |
7 | DESROSIERS, Philippe, CRIA. « La médiation est-elle une bonne option? », février 2018, VigieRT. |
8 | BRUNET, Élodie, CRHA. « L’importance de l’enquête en milieu de travail », avril 2019, VigieRT. |
9 | Institut canadien pour la résolution des conflits, « Facilitation », en ligne, Facilitation. |
10 | International Association of Facilitators (IAF), en ligne, <https://www.iaf-world.org/site/home/the-value-of-facilitation>. |
11 | Id. |