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L’encadrement unilatéral du télétravail en milieu syndiqué : est-ce possible?

L’adoption du télétravail s’accompagne de nombreux changements auxquels les employeurs doivent s’adapter et pour lesquels de nouvelles règles doivent être mises en place. Cet article s’appuie sur une affaire impliquant Hydro-Québec et son syndicat d’ingénieurs pour en illustrer les enjeux.
29 mars 2023
Me Marie-Gabrielle Bélanger, CRIA, et Me Valérie Gareau-Dalpé

* Les autrices remercient Me Shawn Foster pour sa contribution au présent article.

Introduction

La transition vers le télétravail ou le travail hybride a sans contredit amené son lot de changements sur le plan organisationnel dans plusieurs industries. Les employeurs ont dû s’adapter et établir de nouvelles règles dans le but de s’assurer que cette transition s’effectue de façon positive, tant pour leurs employés que la poursuite de leurs opérations.

Qu’en est-il, toutefois, de la mise en place unilatérale par l’employeur de règles modifiant certaines conditions de travail, particulièrement en milieu syndiqué? Un employeur syndiqué peut-il, en vertu de son droit de gérance, établir un code d’éthique encadrant le télétravail sans consulter le syndicat? La croisée entre l’encadrement du télétravail et la protection des droits fondamentaux est-elle évidente? C’est dans ce contexte d’interrogation que s’inscrit l’affaire Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec et Hydro-Québec (grief syndical), 2022 QCTA 518, décision rendue par l’arbitre Me Nathalie Massicotte.

Les Faits

En 2022, Hydro-Québec (l’« employeur ») a adopté un code d’éthique (le « code »). Produit d’une révision de son ancien code de conduite datant de 2017, le nouveau code était applicable à tout employé et dirigeant.

Le Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec (le « Syndicat ») a déposé un grief pour contester l’adoption du code prétextant, d’une part, que l’employeur avait violé la convention collective en faisant défaut de le consulter préalablement à son adoption et, d’autre part, que certaines dispositions du code étaient contraires à la convention collective et/ou à la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte »). Le Syndicat demandait à l’arbitre de déclarer que l’employeur avait violé la convention collective, de lui ordonner de reprendre l’intégralité du processus d’adoption du code et de le déclarer nul et non avenu.

À titre préliminaire, l’employeur a notamment soulevé que l’arbitre n’avait pas compétence pour traiter du grief.

Sur le fond du grief, l’employeur soutenait que le code n’était pas arbitraire, abusif, ni discriminatoire et qu’il n’avait pas à consulter le Syndicat avant sa mise en vigueur.

Le tribunal d’arbitrage a conclu que l’employeur avait violé la convention collective en omettant de consulter le Syndicat avant d’adopter le code. Cependant, concernant les dispositions contestées, le tribunal a tranché qu’elles ne contrevenaient pas à la Charte et n’étaient ni arbitraires, ni déraisonnables ni discriminatoires.

L’analyse

  • A) La compétence de l’arbitre

    Sur ce point, le Syndicat prétendait que le code imposait certains engagements déraisonnables et/ou contraires à la Charte relativement au télétravail et à l’obligation de loyauté découlant de l’article 2088 du C.c.Q. Nonobstant l’obligation de loyauté contenue implicitement dans toute convention collective, le code adopté par l’employeur avait pour effet de préciser ses attentes et d’imposer des conditions de travail quant à l’obligation de loyauté. Une contravention au code pouvait être sanctionnée par voie disciplinaire, de sorte que les obligations imposées s’avéraient de véritables nouvelles conditions de travail.

    L’arbitre a conclu qu’elle avait compétence pour disposer du grief, puisque l’essence de ce dernier découlait de l’exercice, par l’employeur, de son droit de gérance en matière de télétravail et d’obligation de loyauté. Le tribunal a donc conclu que cet exercice du droit de gérance demeurait soumis au contrôle arbitral.

  • B) L’obligation de consulter le Syndicat

    Selon l’arbitre, en omettant de consulter le Syndicat préalablement à l’adoption du code, l’employeur a violé la convention collective. De fait, l’article 6.04 de la convention collective en l’espèce imposait l’obligation, pour l’employeur, de consulter le Syndicat et de l’informer par écrit avant de réviser ou d’appliquer une condition de travail non prévue à la convention collective et qui est susceptible d’affecter les employés. Or, la convention ne prévoyait pas de conséquence découlant du non-respect de cet article. En conséquence, pour les raisons ci-dessous (point C), l’arbitre considérait inadéquat d’ordonner la reprise du processus d’adoption du code.

    Il faut toutefois souligner que l’arbitre a réservé sa compétence afin de disposer de la réclamation du syndicat quant à la réparation pour les préjudices ou dommages subis ou qui seront subis, y compris les frais engagés pour la présentation du grief.

  • Les contraventions alléguées

    Malgré sa conclusion précédente quant au défaut de consultation, l’arbitre a rejeté les arguments du Syndicat prétendant que le code violait la Charte ou qu’il contenait des dispositions arbitraires, abusives, déraisonnables ou discriminatoires. Ce faisant, l’arbitre n’a pas accordé au Syndicat les remèdes recherchés, à savoir la reprise du processus d’adoption du code dans son intégralité et une déclaration à l’effet que le code soit nul et non avenu. Pareille mesure eût été disproportionnée dans les circonstances puisqu’elle aurait eu un impact sur tous les membres d’Hydro-Québec, que seulement certaines dispositions étaient contestées par le syndicat et que les dispositions contestées ne constituaient pas des violations à la Charte.

    Parmi les dispositions contestées :

    • Apparence: le code prévoyait, entre autres, qu’on s’attendait à ce que l’apparence des employés soit soignée et décente, en présence virtuelle de collègues, de clients ou de supérieurs. Le Syndicat prétendait que cet engagement violait le droit à la vie privée. À cet égard, l’arbitre a conclu que l’employeur pouvait raisonnablement, en vertu de son droit de gérance, émettre des directives et fixer des exigences relativement à l’apparence physique de ses employés. Le contexte de télétravail n’y fait pas obstacle. D’ailleurs, pareil engagement n’entraîne nulle violation au droit à la vie privée.

    • Devoir de réserve: le Syndicat prétendait qu’en ajoutant un devoir de réserve dans la manifestation publique des opinions politiques des employés dans le code, l’employeur agissait en violation des libertés et des droits fondamentaux, plus précisément de la liberté d’expression d’un salarié. Or, l’arbitre n’a pas retenu la prétention syndicale, considérant que l’obligation de loyauté impose elle-même un certain devoir de prudence, de diligence, de fidélité et de discrétion.

    • Réseaux sociaux: le Syndicat considérait aussi comme étant déraisonnable, car flou et imprécis, un engagement relatif à la prudence lors de la publication sur les réseaux sociaux lorsque le lien d’emploi avec Hydro-Québec était manifeste. Or, l’objectif derrière cette disposition était d’éviter que, par des images ou des propos publiés, le public confonde des opinions personnelles avec des informations officielles d’Hydro-Québec. Concluant que cette mesure découlait de l’exercice raisonnable des droits de direction de l’employeur, l’arbitre a rejeté l’argument syndical.

    • Utilisation des ressources: finalement, le Syndicat qualifiait de déraisonnable et d’arbitraire l’engagement relatif à l’utilisation des biens et des ressources d’Hydro‑Québec en télétravail de façon diligente et raisonnable. Plus précisément, l’employeur demandait aux employés de ne pas utiliser les biens et les ressources à des fins personnelles, y compris le courriel de l’entreprise. Toutefois, l’arbitre a rejeté l’argument syndical, notant que l’employeur était l’unique propriétaire des biens et des ressources qu’il mettait à la disposition de ses salariés, et qu’en conséquence, il possédait la latitude requise pour encadrer l’utilisation et la protection de ses actifs.

Ce Qu’il Faut Retenir

Bien que l’exercice du droit de gestion de l’employeur soit soumis au contrôle arbitral, un employeur peut raisonnablement émettre des directives et fixer des exigences, et ce, sans contrevenir au droit à la vie privée, ou sans que les dispositions ne soient considérées comme arbitraires, abusives, déraisonnables ou discriminatoires.

Ainsi, un employeur peut, par le biais d’une politique, émettre des directives et fixer des exigences en vue de s’assurer du bon fonctionnement du travail en certaines circonstances, notamment lors de la mise en place du télétravail ou d’un mode de travail hybride. Ce faisant, il peut décider, notamment, d’encadrer l’utilisation des biens qu’il met à la disposition des salariés, de s’assurer d’une constance dans l’apparence physique de ses employés en télétravail, de rappeler le devoir de réserve et de confidentialité, de veiller à la protection des données, etc.

Cela étant dit, lors de l’élaboration d’un nouveau code d’éthique, d’un code de conduite ou d’une politique qui touche notamment le télétravail ou d’autres conditions de travail, l’employeur doit être prudent afin de ne pas ajouter des conditions de travail qui ne sont pas prévues dans la convention collective applicable. Il devrait, en outre, toujours impliquer ou à tout le moins informer le syndicat de ses intentions afin de s’assurer de sa collaboration ou d’évaluer les risques de contestations potentielles afin d’éviter toute conséquence, pouvant aller du paiement de dommages jusqu’à l’annulation de la politique dans son ensemble, selon le cas.

Le genre masculin dans cet article est utilisé comme genre neutre.


Me Marie-Gabrielle Bélanger, CRIA, et Me Valérie Gareau-Dalpé

Source : Vigie RT, mars 2023