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Les conséquences d’une démission pour le salarié et l’employeur et les obligations post-contractuelles du salarié

Dans cet article, l’auteure démythifie la démission d’un salarié en abordant les conséquences qu’elle a sur lui et son employeur ainsi que ses obligations. Elle s’appuie sur plusieurs affaires pour illustrer son propos.
22 mars 2023
Me Sara Poisson

On peut penser que le fait pour un salarié de donner sa démission est synonyme de liberté, de nouveau départ et de détachement envers l’employeur qu’il choisit de quitter. Or, un certain niveau de prudence est tout de même de mise en cas de démission puisqu’il s’avère qu’elle pourrait ouvrir la porte, en certaines circonstances, à des recours entrepris par un employeur s’estimant lésé par ce départ.

D’un autre côté, un employeur peut être surpris, choqué, voire vexé par la démission de l’un de ses salariés. Cette situation ne donne toutefois pas nécessairement ouverture à un recours contre ce salarié démissionnaire.

Voyons ce qu’il en est à ce sujet.

Préavis de rupture du contrat de travail :

La Loi sur les normes du travail régit le préavis minimal que doit donner un employeur à un salarié lorsqu’il met fin à l’emploi. En ce qui concerne l’obligation du salarié envers son employeur, il faut alors se tourner vers le Code civil du Québec[1], plus précisément à l’article 2091, qui édicte que :

« Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.

Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail. »

Une démission ne doit ainsi pas se faire à contretemps ou en violation des droits de l’employeur, qui, en tant que partie au contrat de travail, a le droit de recevoir un préavis suffisant.

Le salarié démissionnaire peut toutefois invoquer l’article 2094 du Code civil du Québec en soutenant avoir un motif sérieux de quitter son emploi sur-le-champ, sans donner de préavis. Or, comme le rappelle le Tribunal dans l’affaire 9345-4569 Québec inc. (Chez Jim Pizza)[2], une insatisfaction par rapport aux conditions de travail, les demandes injustifiées de l’employeur, le surplus de tâches et l’attitude de l’employeur ne peuvent constituer des motifs sérieux permettant d’outrepasser l’obligation de donner un préavis raisonnable en application de l’article 2091 du Code civil du Québec.

En effet, dans cette affaire, trois employés avaient choisi de quitter leurs fonctions au même moment, en plus pour le service de midi, en l’absence de leur employeur et surtout en l’absence de renfort pour maintenir le commerce ouvert. Les actions posées par les salariés démissionnaires ont été jugées comme étant le fruit d’une décision « cavalière »[3].

Dans l’affaire Simard (Coiffure MaShop) c. Bernier-Sergerie[4], le seul employé du commerce exploité par l’employeur quitte ses fonctions en prenant la décision de ne plus revenir au travail après l’heure du dîner, sans avis préalable. Le salarié invoquait alors avoir une mauvaise relation avec le conjoint du propriétaire du commerce, en l’occurrence le gérant de l’établissement. Le Tribunal a jugé que ce départ hâtif n’était pas justifié puisque le salarié était le seul employé et que le carnet de rendez-vous de l’employeur était plein. Il se devait ainsi de donner un préavis raisonnable à l’employeur.

Les questions qui se posent alors sont les suivantes : de combien de temps doit être ce préavis? Et l’employeur a-t-il droit à des dommages lorsque le salarié abuse de son droit à la démission?

Dans le cadre des deux affaires précitées, le Tribunal rappelle que l’employeur n’a pas droit à une double indemnisation. En effet, il ne peut être indemnisé pour les dommages causés par le départ à contretemps de son employé en plus de recevoir un préavis raisonnable[5]. La somme à laquelle peut avoir droit l’employeur doit être modulée selon ses pertes véritables, en fonction de l’emploi occupé par le salarié, de son expérience, de la perte de clientèle et de la perte de profit en lien avec le travail qu’aurait pu effectuer le salarié.

Obligations post-contractuelles du salarié :

Malgré sa démission, le salarié demeure lié par des obligations post-contractuelles de loyauté, de discrétion et d’honnêteté[6].

Ces obligations ne peuvent toutefois empêcher un salarié de préparer son départ alors qu’il demeure en poste chez l’employeur qu’il s’apprête à quitter. Dans l’arrêt Shalaoui c. 2330-2029 Québec inc. (Médicus)[7], la Cour rappelle qu’un salarié détient la liberté de travail et que cette liberté est exclue de l’obligation de loyauté. Ainsi, un salarié démissionnaire qui fonde sa propre entreprise dans le même domaine que son employeur précédent ne commet pas nécessairement une faute génératrice de dommages. La Cour ajoute que : « La loyauté post-contractuelle […] est donc un concept qui doit être appliqué avec modération et mesure et qui n’impose à l’ex-salarié qu’une obligation temporaire »[8]. L’intensité de l’obligation ne sera pas la même d’un salarié à l’autre, notamment en fonction du poste occupé ainsi que du niveau de responsabilités et d’accès aux informations sensibles de l’entreprise. En l’absence de preuve démontrant qu’un salarié a détourné des clients, s’est approprié des informations confidentielles et qu’il en fait un usage inapproprié, il n’y a pas de faute.

Dans l’affaire Traffic Tech inc. c. Kennell[9], la Cour rappelle qu’il ne suffit pas pour l’employeur d’alléguer que la démission sans préavis de son employé lui cause des dommages. Encore faut-il prouver l’existence même de ces dommages. Dans cette affaire, la Cour aborde l’obligation de loyauté imposée aux salariés et que cette même obligation est enfreinte lorsqu’il y a sollicitation de clients actuels de l’employeur alors que le salarié est toujours à l’emploi. Cette obligation est aussi enfreinte lorsque le salarié sollicite ses collègues afin qu’ils démissionnent avec lui. Dans l’affaire Traffic Tech, le défendeur avait justement sollicité ses collègues. De par son statut de cadre, il avait approché trois employés subalternes afin qu’ils le suivent dans le cadre de son nouvel emploi[10]. La Cour est claire et condamne sans hésitation cette pratique qu’elle qualifie de déloyale et fautive[11]. Or, comme il n’y avait aucune preuve concernant l’impact ou encore des dommages potentiellement causés par un tel geste, aucun préjudice n’a été établi. Aucun dommage n’a pu être octroyé à l’employeur dans cette affaire, malgré la présence d’une faute de la part du salarié démissionnaire.

Force est donc de constater que même si certaines actions posées par des salariés démissionnaires sont questionnables ou carrément fautives, il ne faut pas sauter aux conclusions puisqu’elles ne se traduisent pas forcément par une compensation en dommages. Encore faut-il que le préjudice qui résulte d’une démission ou d’un bris à l’obligation de loyauté soit identifiable et matérialisable.

Le genre masculin est utilisé dans le présent texte comme genre neutre.


Me Sara Poisson Avocate Pineault Avocats, CNESST

Source : Vigie RT, mars 2023

1 RLRQ, c. CCQ-1991.
2 2021 QCCQ 8609.
3 Ibid, par. 74.
4 2022 QCCQ 4417.
5 9345-4569 Québec inc. (Chez Jim Pizza) c. Martel, précitée note 2, par. 52 à 54.
6 Article 2088 Code civil du Québec, précité note 1.
7 2021 QCCA 1310.
8 Ibid, par. 49.
9 2016 QCCS 355.
10 2016 QCCS 355, par 69.
11 Ibid, par 71.